« Choc des savoirs » : le manuel labellisĂ© est-il un petit livre rouge pĂ©dagogique ?
Article publié le mardi 7 mars 2023.
230 000 professeurs et personnels pédagogiques ont répondu à la consultation de la mission Exigences des savoirs.
Selon le document de proposition stratégique de la mission, la majorité
des enseignants réclament une organisation plus souple qui permette une
réponse adaptée aux besoins de leurs élèves. Parmi les répondants, 70 %
des professeurs des écoles souhaitent disposer d’un manuel pour les
aider dans la transmission des connaissances.
Des manuels labellisés obligatoires en primaire ?
Parmi
les annonces, il y a la labellisation des manuels scolaires de l’école
au lycée par des tiers certificateurs, à partir d’objectifs définis par
le ministère, suivant les programmes et les méthodes pédagogiques
déclarées efficaces par les recherches du Conseil scientifique de
l’Éducation nationale.
Les
premiers textes règlementaires présentés n’imposent pas l’utilisation
des manuels labellisés. Cependant, l’apposition d’un label va
nécessairement influencer les choix des éditeurs et pourrait amener des
tensions dans la communauté éducative, que ce soit au sein des équipes
pédagogiques comme avec les familles.
Besoins et repères
Bien
que le manuel, labellisé ou non, puisse faciliter le partage de
connaissances communes, son utilité peut être remise en question dans le
contexte d’une recherche de solution adaptée aux besoins diversifiés
des élèves, au-delà du simple niveau de classe. La rigidité du contenu
d’un manuel labellisé limite la variété des approches pédagogiques et la
complexité de la mise en situation des apprentissages des élèves. En ce
qui concerne le niveau de maîtrise des élèves, dans le contexte d’un
manuel, il est plus fréquemment évalué par rapport à la norme attendue
plutôt que par rapport à la progression individuelle vers la maîtrise de
la compétence. D’ailleurs la mission annonce des objectifs annuels,
voire infra-annuels.
On peut ĂŞtre
tenté d’espérer une équité sur le territoire puisque tous les élèves
devraient avoir accès aux mêmes types de manuels. Mais la labellisation
risque de conduire à une uniformité, voire une rigidité pédagogique
incompatible avec le principe de l’inclusion et de l’École pour tous.
Processus de labellisation
On
peut aussi craindre que les étapes de labellisation entraînent une
lourdeur dans la mise Ă jour des manuels, les rendant rapidement
obsolètes face aux avancées de la recherche, ou bien que les éditeurs
soient amenés à céder à un certain conformisme pour obtenir le label, au
détriment de la créativité et de l’innovation pédagogique. Dans le pire
des cas, on peut redouter que des pressions commerciales ou politiques
viennent perturber la labellisation et que les tiers certificateurs
soient influencés ou en conflit d’intérêts.
Seul
point positif, dorénavant en CP, comme c’est le cas dans le second
degré, les manuels seront financés par l’État, ce qui fera disparaitre
les inégalités territoriales actuelles. Cependant, les autres niveaux de
l’école élémentaire ne sont pas concernés et aucune ligne budgétaire
n’apparaît dans le projet de loi de finances 2024 alors que les premiers
manuels de lecture labellisés sont annoncés pour le CP dès la rentrée
2024 !
La
labellisation est déjà programmée pour le CP en français et en
mathématiques mais pour le moment, il n’y a pas de projection pour les
autres niveaux et disciplines.
L’avis du SE-Unsa
Pour
le SE-Unsa, l’approche par compétences est indispensable, tant l’acte
d’enseigner et de transmettre dépend de facteurs contextuels multiples
et ne peut être standardisé. Elle préserve l’autonomie professionnelle
des équipes éducatives et la liberté pédagogique, à la différence de
l’imposition d’un manuel.
Pour
le SE-Unsa, le manuel labellisĂ© est un nouvel Ă©cran de fumĂ©e destinĂ© Ă
faire oublier que la première réponse adaptée aux besoins des élèves, ce
sont des professeurs suffisamment et régulièrement formés à la prise en
compte des besoins spécifiques de leurs élèves, notamment des élèves
fragiles ou à besoins éducatifs particuliers. Un manuel, aussi labellisé
soit-il, ne sera jamais adapté à chacun des élèves de la classe. Le
manuel, labellisé ou pas, est compatible avec le fantasme d’une maîtrise
des savoirs et des compétences qui pourrait être à horodatage identique
pour tous et toutes dans un niveau de classe.
Dans
les instances où les textes sont présentés, le SE-Unsa se positionne
contre la labellisation telle qu’elle est proposée. Pour nous, la
conformité aux programmes nationaux et l’expertise des enseignant·es
sont suffisantes. C’est pourquoi nous avons demandé un dialogue social
autour du référentiel qui sera produit par le Conseil scientifique de
l’Éducation nationale, de façon à nous assurer qu’il ne cache pas de
prescriptions restrictives de méthodes.
Faut-il
attendre les prochains résultats d’évaluations pour se rendre compte
que les élèves de CP du territoire ne maîtriseront pas tous le chapitre 1
du tout dernier manuel de lecture labellisé le 9 septembre 2024 et
encore moins le chapitre 36 au 4 juillet 2025 ? Non. Les enseignants le
savent déjà .