Retour à l'article normal

SE-UNSA AIX-MARSEILLE


 Par SE-UNSA AIX-MARSEILLE
 Le  vendredi 18 novembre 2016

Intervention de C. Krepper à la conférence du 8 nov. 2016 à Aix-en-Provence

 

"L'école française les défis du changement", conférence organisée par le SE-Unsa Aix-Marseille à Aix-en-Provence le 8 novembre 2016

*****************

Claire Krepper répond à la question suivante : "réforme du collège : impasse ou amorce de solutions ?"

 

Notre école doit-elle changer ?

La réponse est sans hésitation oui. Pourquoi ? Parce que ses résultats sont globalement très moyens et que la part d’élèves en échec scolaire augmente. Parce que les inégalités se creusent de plus en plus entre les élèves les plus faibles et les  élèves les plus forts, faisant de notre pays le champion des inégalités sociales de réussite scolaire. Parce que notre système éducatif est particulièrement anxiogène. Les élèves français subissent une pression scolaire excessive, ils ont peur de l’erreur et prennent très peu de risques.

Notre école doit changer pour les élèves mais elle doit aussi changer pour les enseignants. L’enquête Talis montre des enseignants qui se disent eux-mêmes en difficulté, passant plus de temps que leurs collègues des autres pays de l’OCDE à corriger des copies, avec un fort déficit de sentiment d’efficacité personnelle dans leur travail, une conscience marquée de l’insuffisance de leur formation pédagogique et une absence de soutien collectif dans leur établissement (1 enseignant sur 10 seulement est allé voir un collègue au travail dans sa classe quand c’est 4 sur 10 en moyenne dans les autres pays de l’OCDE).

Notre école doit changer parce que prise dans des injonctions multiples (insérer les jeunes qui lui sont confiés, leur permettre de s’épanouir, leur faire acquérir une culture commune), elle finit par ne s’acquitter que  d’une seule mission, celle qui n’est pas affichée mais pour laquelle elle a été historiquement organisée, sélectionner l’élite qui aura accès grâce aux diplômes les plus prestigieux aux places sociales les plus convoitées.

Dans son dernier rapport,  le CNESCO fait remarquer que Tous les Français sont d’accord pour plus d’égalité à l’école, mais que chacun y met des interprétations différentes. Je cite toujours le CNESCO : Le pays souffre, en effet, dans ce domaine d’un retard conceptuel important par rapport aux autres pays de l’OCDE. Nos conceptions de la justice à l’école apparaissent peu clarifiées faute de débat publics de qualité sur les principes de justice qui doivent s’appliquer en éducation. Notre vision de la justice demeure à ce jour très rustique et monolithique. Ce n’est pas le débat éducatif dans primaires qui améliorera cette situation.

Aujourd’hui, la conception de la justice à l’école est, en effet, encore très marquée par le principe historique d’égalité des chances dans une perspective méritocratique : c’est dans le cadre d’une égalité stricte de traitement que doivent s’opérer, par une juste compétition, à travers un appareil de évaluation/notation rigoureux, les sélections successives, à des étapes communes pour tous les élèves, vers des filières, des formations et vers leurs futures positions sociales. Notre système éducatif français est fortement marqué, dans sa forme et son organisation, par cet idéal méritocratique : la difficulté à s’accorder sur des temps de progression des apprentissages différenciés selon les enfants, la place centrale de l’évaluation quantitative à travers la notation, même dans les classes de l’enseignement obligatoire qui pourtant ne nécessite ni sélection, ni classement des élèves, la forte concurrence entre les élèves et les phénomènes associés (anxiété des enfants face au stress de la notation, recours à des cours particuliers…).

Le concept de méritocratie néglige cependant le fait que le mérite est intrinsèquement lié aux conditions socioéconomiques des élèves.

Si l’introduction de l’égalité des chances peut éventuellement se comprendre après les paliers d’orientation, en ce qui concerne l’enseignement obligatoire qui doit transmettre un bagage de compétences obligatoires pour s’insérer dignement dans la société, c’est le principe de « l’égalité des acquis » qui devrait prévaloir : il ne s’agit pas seulement de garantir l’égalité formelle entre élèves, mais de tendre vers une plus grande égalité réelle des acquis, en instituant la période de scolarité obligatoire comme moyen de faire acquérir par tous un ensemble à partager socialement , ce que nous appelons  le socle commun de connaissances, de compétences et de comportements .

C’est bien cette évolution de fond que nous avons soutenue dans tout le travail que nous avons conduit dans le cadre de la loi de Refondation.

Car la réforme du collège fait partie d’un tout. Elle n’est pas une réforme structurelle isolée, comme ont pu l’être en leur temps la création des 4ème et 3ème technologiques ou plus récemment la DP6.

La réforme du collège est en partie structurelle puisqu’elle modifie l’organisation de l’offre de formation mais elle se veut surtout une réforme pédagogique.

Du point de vue structurel, la réforme du collège tente de mieux affecter les moyens au service de tous les élèves. Je voudrais  rappeler ici les dérives du collège unique vers un collège de plus en plus différencié en faveur des élèves les plus en réussite. Les moyens importants consacrés aux enseignements facultatifs, aux classes bilangue, la constitution très répandue de classes de niveaux (50% des collèges d’après une étude de Thierry Son-Ly), cette tendance devait être stoppée. C’est bien un des objets de la réforme avec la réduction des horaires des enseignements facultatifs et le nombre de classes bilangue et la réaffectation des moyens récupérés pour abonder au-delà des 4000 postes promis les moyens mis au service de la différenciation pédagogique. C’est un trait fort du projet politique au sein du collège qui est accompagné également d’une volonté politique de réduire les écarts entre les établissements et les territoires avec une évolution assumée de l’allocation des moyens entre les académies et au sein des académies entre les territoires avec un effort marqué vers les REP+.

Mais la réforme est d’abord pédagogique :

- le socle et les programmes ont été totalement refondés pour être davantage articulés entre eux. Surtout ils présentent des entrées très intéressantes qui explicitent pour tous les attendus du travail scolaire, qui clarifient le rapport aux savoirs à construire avec tous nos élèves, y compris et surtout ceux qui sont les plus éloignés de la culture scolaire et qui souffrent des fonctionnements et attentes implicites de l’école. Dans chaque discipline, cette dimension est présente et un domaine du socle y est totalement consacré, le domaine 2.

Le socle et les programmes font aussi une large place au travail des compétences de communication orale, là aussi une compétence trop longtemps négligée et peu travaillée pour elle-même.

- travail collectif : promotion de la coopération (élèves et profs), une compétence indispensable dans le monde professionnel mais qui n’est pas naturellement travaillée, voire rejetée dans un système qui veut sélectionner : seul le travail individuel correspond à la logique méritocratique.

- donner du sens aux contenus travaillés autres que le seul passage dans la classe supérieure : les parcours transversaux dessinent ces entrées qui font sens pour construire les citoyens de demain.

- L’évaluation : de nouveaux outils sont mis à la disposition des équipes. Ils offrent des possibilités intéressantes de choix entre une évaluation chiffrée « traditionnelle » et une évaluation par compétences sur des niveaux de maîtrise. Surtout, le DNB et Affelnet ne réclament plus obligatoirement des notes pour fonctionner, ce qui est un encouragement marqué en faveur de la logique des compétences et d’une évaluation plus qualitative.

- des marges d’initiative importantes qui nécessitent une solide formation continue pour être mises au service de la réduction des inégalités.

Cette réforme est très plastique, elle est à la fois très ambitieuse et très modeste. Ambitieuse parce qu’elle prétend toucher au cœur du réacteur, modifier ce qui se passe à l’intérieur des classes ; modeste parce qu’elle s’adapte au niveau d’engagement de chaque équipe. Vous le savez tous, les changements sont très variables d’un collège à l’autre. Ils sont plus ou moins visibles. Ils sont plus ou moins présents.  Cela dépend en grande partie de 2 facteurs, la qualité du travail en équipe (y compris l’équipe de direction) et la proximité des pratiques déjà existantes avec celles qui sont promues dans le cadre de la réforme. Cette proximité existe de manière assez nette dans les collèges de l’éducation prioritaire et dans les collèges dont une partie importante du public est en difficulté dans le modèle traditionnel. La réforme du collège n’invente rien, elle tente d’élargir à l’ensemble des collèges des démarches et dispositifs qui ont déjà fait leurs preuves en termes d’accrochage aux apprentissages, de construction de compétences complexes, d’accompagnement de tous les élèves dans le travail scolaire. Le nouveau socle et les nouveaux programmes apportent sur ces points des aides précieuses aux équipes pour sortir des implicites du travail scolaire.

La généralisation de dispositifs innovants comme les ateliers interdisciplinaires pose plusieurs  questions :

  • Perte de sens par rapport à l’intention de départ : passer d’ateliers interdisciplinaires centrés sur le développement de compétences (avec une réflexion didactique et pédagogique exigeante) à  des ateliers occupationnels sans apprentissages réels ou ne profitant qu’à ceux qui savent déjà faire au risque de creuser les inégalités. (CF TPE au lycée dans certains cas)
  • Place pour l’initiative et l’innovation ? Des dispositifs plus riches que ceux qui sont inscrits dans la réforme peuvent se voir mis en difficulté. Paradoxe ? Les espaces de liberté continuent à exister, il faut s’en saisir. Oser. Oser d’autres organisations du temps par exemple.  Oser d’autres pédagogies.

Approfondir la réforme prendra plusieurs années.

  • Il faut réaffirmer quelques principes pour la mise en place de la réforme dans de bonnes conditions : la confiance aux équipes, aux enseignants avant tout, la formation (les 4 jours de l'an passé n'ont pas épuisé les besoins), du temps de travail collectif à aménager au mieux dans les collèges, de l'exigence dans la mise en œuvre (il faut le faire) et de la bienveillance (la réforme se digérera en deux trois ans, droit à l'expérimentation, devoir d'ajuster pour la rentrée prochaine). Même si les stages ont eu lieu, les collègues ont la tête dans le guidon et ne connaissent pas toutes les possibilités de la réforme. Certains établissements mettent en place des organisations non négociées, parfois parce que les collègues n’ont pas voulu s’impliquer dans les choix mais parfois aussi parce que les équipes de direction ont préempté le débat… Bref, il reste beaucoup à faire sur le dossier, et le SE-Unsa demande au ministère de poursuivre l’accompagnement de la réforme cette année ainsi que dans les années à venir, qu’il y ait alternance politique ou pas.