La journée internationale des droits des femmes que l’on célèbre tous les 8 mars depuis des dizaines d’années ne doit pas cacher un amer constat identifié par la grande historienne Michelle Perrot : « Le silence est l’ordinaire des femmes ». Du silence à l’oubli et à l’effacement des mémoires, il n’y a qu’un pas : ainsi, on ne trouve aujourd’hui qu’à peine 5% de noms de femmes pour dénommer les rues des 36 000 communes françaises ! Autre exemple : on ignore trop souvent d’où vient l’idée d’une journée annuelle pour défendre les droits des femmes, laissant parfois circuler des informations erronées. Alors quelles sont les origines du 8 mars ?
Les origines pas si simples d’une journée pour les droits des femmes
C’est en 1910 à Copenhague que naît l’idée, lors de la deuxième Conférence internationale des femmes socialistes, d’une journée pour la mobilisation féminine au sein des organisations ouvrières : il s’agit aussi de défendre le droit de vote des femmes et plus largement de manifester pour l’égalité des sexes. C’est donc dans les milieux socialistes que l’idée d’une journée pour se mobiliser en faveur de l’égalité pour les femmes est née sans qu’une date précise ne soit encore fixée.
On en trouve d’ailleurs les prémices aux États-Unis quelques années auparavant, en particulier à Chicago où il existe alors un mouvement ouvrier important, marqué par des vagues migratoires en provenance d’Europe. Ces journées de mobilisation intitulées « Woman’s day » mettent en avant les revendications salariales ainsi que le nécessité d’obtenir le droit de vote. Mais s’y affirment également la nécessité de l’éducation des femmes et des jeunes filles afin de favoriser leur émancipation.
Clara Zetkin, militante allemande, et Alexandra Kollontaï, militante russe, ont peine à convaincre l’ensemble du mouvement international socialiste de se mobiliser pour ce type d’action. Les hommes, tout socialistes qu’ils soient, ont du mal à voir l’importance du combat féministe. Pour autant, à partir de 1911, à une date qui varie encore selon les années, les femmes socialistes partout dans le monde se mobilisent pour la défense de leurs droits. En 1914, cette journée est célébrée par facilité le 8 mars car il s’agit d’un dimanche. On voit plusieurs mobilisations en particulier en Allemagne, pays où le mouvement ouvrier est alors le plus influent. Pour la première fois en France, on assiste ainsi à des réunions féministes comme le relève le journal l’Humanité du 9 mars 1914. Peu à peu les préoccupations féministes s’intègrent aux revendications politiques et syndicalistes. Mais dans les années suivantes, cette journée de mobilisation n’a pas de date fixe et se situe au printemps, à des moments différents selon les pays.
Une journée officielle mais toujours revendicative
Ce n’est qu’en 1922 que le 8 mars est choisi par l’URSS, nouveau pays incarnant la révolution communiste, comme journée des droits des femmes. Ce pays s’approprie alors ce symbole en négligeant ses origines véritables : pour les Soviétiques, le 8 mars chaque année commémore l’action des femmes lors du 8 mars 1917 dans la période d’agitation que connaissait alors la Russie.
Cette journée est donc pendant plusieurs décennies associée à l’Union soviétique et au communisme, ce qui explique sa portée limitée. Néanmoins, en France, le mouvement syndical s’en empare également pour revendiquer de meilleurs salaires pour les femmes et de meilleures conditions de travail. C’est une des revendications premières du SNI, syndicat national des instituteurs et institutrices qui obtient très rapidement l’égalité salariale pour toutes et tous. Cette avancée est exceptionnelle à cette époque en France, où les inégalités entre les femmes et les hommes sont nombreuses. Cela explique aussi que de nombreuses militantes institutrices se sont trouvées à la pointe du combat féministe.
Il faut attendre une période plus récente pour que le 8 mars soit unanimement reconnu comme journée officielle de défense des droits des femmes : lors de l’année 1975 ( « année internationale de la femme »), l’ONU établit la nécessité d’instaurer une journée mondiale, ce qui est chose faite en 1977. En France, Yvette Roudy, ministre des Droits de la femme en fera une journée officielle à partir de 1982. Mais le 8 mars est alors trop souvent associée à une simple « journée de la femme » où l’on fête avant tout l’idéal féminin à grands coups d’opérations de marketing ! Plus récemment, et c’est heureux, le 8 mars a été l’occasion d’une réaffirmation nécessaire des revendications en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes devenant depuis quelques années un temps fort de la mobilisation sociale pour l’égalité salariale ou pour la création de nouveaux droits.
L’origine mal connue du 8 mars est une parfaite illustration d’une histoire et d’une mémoire du féminisme encore trop absentes. Pourtant, la défense des droits des femmes a été souvent associée à d’autres mouvements d’émancipation, au sein de partis politiques ou de syndicats. Ce fut particulièrement le cas, en dépit de difficultés nombreuses, lors des premiers temps du syndicalisme de l’éducation, avec des militantes déterminées comme Marie Guillot, Josette Cornec ou Suzanne Lacore. Cette génération de pionnières a ouvert la voie aux revendications féministes actuelles.
Pour aller plus loin :
Michelle Perrot, Les Femmes ou les silences de l’histoire, Flammarion, 1998.
Renée Côté, La Journée internationale des femmes, les éditions du remue-ménage, 1984.
Morgan Poggioli , « À travail égal, salaire égal » ? La CGT et les femmes au temps du Front populaire, Éditions universitaires de Dijon, 2012.
Christine Bard (dir.) avec la collaboration de Sylvie Chaperon, Dictionnaire des féministes, France XVIIIe-XXIe siècle, PUF, 2017, voir note de lecture sur l’ancien site du Centre Henri Aigueperse http://cha.unsa-education.com/spip.php?article178
NB : la première illustration de cet article est une affiche du parti socialiste allemand SPD pour le 8 mars 1914. La seconde illustration provient du fonds du SNI conservé aux Archives du monde du travail de Roubaix.