Le SE-Unsa est un syndicat laĂŻque. Ce principe est un fondement de la
République, qui assure, au-delà de la liberté d’opinion, la liberté de
conscience.
Dans ce domaine, les actions percutantes et spectaculaires des Femen méritent un temps de réflexion.
Nous avons interviewĂ© Pauline Hillier, co-auteure de « Anatomie de l’oppression » et membre du mouvement Femen.
« Pauline Hillier, la laĂŻcitĂ©, c’est quoi pour vous ?
La laĂŻcitĂ© est un formidable outil rĂ©publicain. Beaucoup de pays Ă
travers le monde nous l’envient. Beaucoup de gens continuent de se
battre pour l’obtenir, certains au prix de leur vie ou de leur liberté.
Nous devons ĂŞtre fiers de cette loi qui garantit avant toute chose la
séparation de l’Etat et de la religion. Elle protège ceux qui croient
comme ceux qui ne croient pas, et offre à tous des espaces apaisés de
dialogue, de débat démocratique, et d’apprentissage, indépendants des
espaces privés de spiritualité. La laïcité nous protège, et nous devons
nous aussi la protéger. Sans la dévoyer, sans la négocier au rabais,
sans la compromettre, sans la déguiser.
Aujourd’hui, tout le monde fait l’éloge de la laïcité, mais
des faussaires s’en réclament. Quels sont vos critères pour démasquer ?
Dès lors qu’on appose des adjectifs à la laïcité, il y a danger. La
laïcité ne doit être ni inclusive, ni exclusive, ni positive, ni
modérée, ni tolérante... ni aucun de tous ces termes dont on a pu
l’affubler ces dernières années. Ils relèvent tous d’une tentative de
détournement. Il faut se méfier de son instrumentalisation, à droite
comme à gauche, du côté des religieux comme des non religieux, du côté
des xénophobes comme des communautarismes. La laïcité est la même pour
tous. C’est à nous de nous adapter au cadre qu’elle pose, il n’est pas
question de le redessiner au bon vouloir des uns ou des autres. La
laïcité est unique, elle n’est pas à géométrie variable. Nous devons
exiger de nos responsables politiques qu’ils la défendent et la
respectent avec exemplarité. Des candidats ou élus qui convoquent les
médias pour s’afficher, là à la messe de noël, ici à la fête de l’aïd,
pour draguer tel ou tel électorat, c’est inacceptable.
Dans l’ouvrage dont vous ĂŞtes co-auteure « Anatomie de
l’oppression », vous Ă©crivez que laĂŻcitĂ© et fĂ©minisme sont sĹ“urs.
Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Nous sommes en effet convaincues que la laïcité est un outil
décisif dans le combat pour les droits des femmes, et pour l’égalité
entre tous les humains de manière générale. Les tables de lois
religieuses prĂ´nent sans complexe un traitement inique des individus.
Les femmes y sont largement discriminées et méprisées. Elles sont
considérées comme des sous-humains, qui ne jouissent que de sous-droits,
comme bien souvent les homosexuels ou les incroyants. Si ces lois
divines se substituent Ă la loi des hommes, si leurs avocats
s’infiltrent dans le débat public, alors l’égalité entre les humains est
menacée. Ça n’est pas une hypothèse, c’est une réalité, historique et
contemporaine, qui prive les femmes de pays théocratiques ou sous le
joug de lobbies religieux, de leurs pleins droits, et les condamne Ă cet
état permanent de subordination. Les lois religieuses opposent et
divisent les humains, femmes et hommes, croyants et incroyants,
hétérosexuels et homosexuels, serviteurs de dieu et mécréants, quand la
laïcité, le féminisme, et l’humanisme, veulent les réunir, les
réconcilier, et les protéger toutes et tous, sans distinction.
Dans ce livre, vous illustrez un système de société basé
sur le patriarcat. Or, il est paradoxal que des femmes participent Ă
l’entretien de cet ordre patriarcal. Comment analysez-vous cela ?
C’est vrai, des femmes défendent et nourrissent le système
patriarcal. Toutes les femmes ne sont pas féministes, certaines sont
même carrément misogynes. Des femmes ont même hérité d’empires
patriarcaux, comme Marine Le Pen avec le Front National.
Il faut comprendre que les femmes ont intégré des siècles de
culture patriarcale. Tout autour d’elles défend et alimente ce système,
la politique, la structure familiale, les médias, les livres, la
culture, le sport, l’école, et l’Histoire qui les a invisibilisées.
C’est toute une culture à détricoter. Cela demande un certain
cheminement pour en prendre conscience. Le chemin est plus ou moins
long, plus ou moins escamoté. Dans certains pays il relève carrément du
parcours du combattant. Mais nous restons très optimistes, car il nous
semble que la prise de conscience est de plus en plus massive.
Ce n’est de toute façon pas le genre qui fait le féminisme. Des
hommes défendent eux aussi cet idéal d’égalité et rejettent le système
patriarcal qui les enferme dans des rôles sociaux qu’ils n’ont pas
choisis.
L’éducation est un levier essentiel de changement. Pour
autant, l’éducation des filles est encore à conquérir dans de nombreux
pays du monde. Selon vous, qu’est ce qui est fondamental à l’école ?
L’éducation c’est la clé. Aucune arme n’est aussi puissante que
l’éducation. C’est par elle que les bouleversements profonds de nos
sociétés arriveront. C’est par elle que nous changerons le monde.
L’éducation à tout âge d’ailleurs, jusqu’à la fin de la vie. Et la
transmission bien sûr, pour que sans cesse s’élève l’humanité.
La mixité, l’égalité, le dialogue, l’universalisme et l’ouverture
sont les valeurs fondamentales que je souhaite à tous les écoliers et
Ă©colières du monde. »