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« En finir avec les idĂ©es fausses sur la laĂŻcitĂ© » : interview de Nicolas Cadène
Article publié le jeudi 17 décembre 2020.
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Le SE-Unsa donne la parole Ă  Nicolas Cadène, rapporteur de l’Observatoire de la laĂŻcitĂ©, Ă  l’occasion de la parution de son livre « En finir avec les idĂ©es fausses sur la laĂŻcitĂ© ».
La nécessité d’avoir des éléments de clarification s’impose dans une actualité troublée.
 
L’attentat islamiste qui a visĂ© Samuel Paty a Ă©tĂ© fomentĂ© Ă  partir de contestations d’un cours portant sur la libertĂ© d’expression. Quel sens politique donnez-vous Ă  cet Ă©vĂ©nement ?
 
Un professeur a été assassiné simplement parce qu’il apprenait à ses élèves la liberté d’expression, à travers l’explication de caricatures de presse. Très clairement, Samuel Paty a été la victime d’un fanatisme islamiste qui glorifie l’instinct de haine, alors que cet enseignant transmettait à ses élèves les outils leur permettant de toujours se fonder sur la raison. Le terrorisme issu de cette idéologie islamiste veut nous diviser en s’en prenant à des symboles et à nos valeurs communes par des actes d’une immense barbarie, pour convoquer les instincts.
 
Face Ă  cela, nous devons faire bloc. Mais, très concrètement, nous devons aussi apporter un soutien sans faille Ă  tous les personnels de l’Éducation nationale. Ils ne doivent jamais se sentir seuls et doivent toujours pouvoir compter sur l’ensemble de l’administration qui doit ĂŞtre en capacitĂ© d’immĂ©diatement intervenir chaque fois que nĂ©cessaire.
 
Plus largement, il y a bien sĂ»r deux types de rĂ©ponses Ă  apporter : celles qui relèvent de l’ordre public, de la rĂ©pression, et celles qui relèvent de la prĂ©vention. Pour les premières, je vous renvoie au discours du prĂ©sident de la RĂ©publique aux Mureaux le 2 octobre dernier qui reprend plusieurs prĂ©conisations de l’Observatoire de la laĂŻcitĂ©. Pour les secondes, outre ce qui se fait et doit se faire Ă  l’École, une attention particulière doit ĂŞtre portĂ©e sur la mixitĂ© sociale et le mĂ©lange des populations. Cela a d’ailleurs Ă©galement Ă©tĂ© Ă©voquĂ© par le prĂ©sident de la RĂ©publique. C’est un vrai point de vigilance, tant il est Ă  la racine de grandes difficultĂ©s.
 
Car s’il y a trop peu de mixitĂ© sociale (dans certains quartiers, mais aussi dans certains Ă©tablissements scolaires), les individus sont amenĂ©s Ă  se constituer en communautĂ©s relativement homogènes, porteuses du risque d’une pression sociale, notamment religieuse, sur des habitants ou des Ă©lèves. La commission Stasi le rappelait dans son rapport en 2003, et Jean Jaurès l’affirmait dĂ©jĂ  un siècle plus tĂ´t lorsqu’il dĂ©clarait : La RĂ©publique doit ĂŞtre laĂŻque et sociale. Elle restera laĂŻque que si elle sait rester sociale.
 
Lorsque cette insuffisante mixitĂ© sociale concerne des populations fragilisĂ©es, avec notamment un taux de chĂ´mage important et donc une faible interaction sociale par le travail ; lorsqu’elle se concentre dans des quartiers oĂą les services publics se font rares, oĂą l’éducation populaire est affaiblie par un manque de moyens, alors il peut y avoir une diffusion aisĂ©e (et certains pays du Golfe y ont contribuĂ© depuis les annĂ©es 1990) de thèses rigoristes comme celles du salafisme, surtout auprès de jeunes dont l’esprit critique n’est pas suffisamment construit.
 
Et ce d’autant plus que les contre-discours sont trop rares, en raison de logiques clientĂ©listes ou d’un culte musulman insuffisamment structurĂ© dans l’hexagone (il l’est bien plus Ă  La RĂ©union par exemple), notamment du fait de ce qu’on appelle « l’islam consulaire ». Dans cette situation notamment, il peut y avoir un risque sĂ©rieux de radicalisation.
 
Vous venez de publier un livre intitulĂ© Pour en finir avec les idĂ©es fausses sur la laĂŻcitĂ©. Quelles sont selon vous les principaux contresens que vous avez observĂ©s ?
 
Le plus courant est sans doute celui selon lequel la laĂŻcitĂ© supposerait la neutralitĂ© DANS l’espace public. En rĂ©alitĂ©, la laĂŻcitĂ© suppose la neutralitĂ© DE l’espace public (donc pas des citoyens et usagers qui y circulent). Comme le dispose la loi du 9 dĂ©cembre 1905, il est interdit, pour la collectivitĂ© publique, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit (notamment bien sĂ»r dans les Ă©coles et Ă©tablissements scolaires), Ă  l’exception des Ă©difices servant au culte, des terrains de sĂ©pulture, des monuments funĂ©raires, ainsi que des musĂ©es ou expositions. La laĂŻcitĂ© impose la neutralitĂ© de l’administration publique et donc de toute personne qui exerce une mission de service public. Cette neutralitĂ© dĂ©coule de la sĂ©paration des Églises et de l’État dĂ©finie par cette loi de 1905.
 
Depuis 2016, suite à un avis de l’Observatoire de la laïcité, la loi rappelle cette obligation de neutralité des fonctionnaires, y compris par l’interdiction du port de signes (qu’ils soient discrets ou ostensibles). En effet, les fonctionnaires, mais aussi d’ailleurs tous les personnels de droit privé qui exercent une mission de service public, ne représentent pas leur individualité mais bien l’administration publique dans son ensemble, neutre et impartiale, et ce tant auprès du grand public qu’auprès de leurs collègues. Or, la laïcité permet un parfait équilibre, fondé objectivement, entre la garantie des libertés individuelles et le respect du cadre collectif. Aller plus loin, c’est ouvrir le risque de fonder de nouvelles interdictions sur du ressenti. Ce serait offrir l’argument de la discrimination aux radicaux et endoctrineurs.
 
Pour parler de l’école, une autre idĂ©e fausse assez courante est celle prĂ©tendant que la laĂŻcitĂ© imposerait un menu unique Ă  la cantine. En rĂ©alitĂ©, la laĂŻcitĂ© suppose simplement le respect de la neutralitĂ© confessionnelle de cette dernière. Et dans une approche laĂŻque, le meilleur service de cantine scolaire est celui de l’offre de choix, Ă  savoir des menus diffĂ©renciĂ©s avec et sans viande. Bien sĂ»r, il ne s’agit pas de servir de la viande confessionnelle (halal ou casher). Par ailleurs, servir un « plat de substitution » (c’est-Ă -dire, gĂ©nĂ©ralement, un autre plat, sans porc, que celui servi le jour concernĂ© avec du porc) n’est pas suffisamment pertinent car cela renvoie Ă  un plat en particulier attachĂ© Ă  une croyance. Il s’agit donc d’instaurer l’« offre de choix », car cette offre entre un menu carnĂ© et un autre non carnĂ© permet Ă  tous, que les Ă©lèves soient croyants musulmans, juifs ou hindouistes par exemple, qu’ils suivent un certain rĂ©gime alimentaire pour des raisons de santĂ© ou de conviction, qu’ils soient vĂ©gĂ©tariens ou encore qu’ils n’aient tout simplement pas envie de viande ce jour-lĂ , de manger ensemble. Le plus important Ă©tant de ne pas assigner les Ă©lèves Ă  leur choix et Ă  leur conviction, et donc de ne pas les sĂ©parer selon ce qu’ils mangent. Il faut toujours prĂ©server le repas en commun, sur les mĂŞmes tables, quel que soit le choix de menu. Il s’agit ainsi, non pas de rĂ©pondre Ă  des intĂ©rĂŞts particuliers, mais d’offrir une rĂ©ponse d’intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral.
 
Le lien entre la laĂŻcitĂ© et l’École est au cĹ“ur du projet rĂ©publicain, nĂ©anmoins les personnels Ă©ducatifs connaissent parfois des difficultĂ©s Ă  faire vivre ce principe. Que prĂ©conisez-vous pour les aider dans cette dĂ©marche ?
 
C’est à l’école que se construit le futur citoyen. Il faut donc que les personnels éducatifs soient suffisamment formés, outillés et accompagnés pour délivrer les enseignements en ce sens. Or, nous savons que les enseignants sont trop peu formés sur la laïcité mais aussi sur l’enseignement laïque des faits religieux. C’est pourquoi l’Observatoire de la laïcité préconise depuis plusieurs années, d’une part de créer des modules communs de formation à la laïcité et à l’enseignement laïque des faits religieux dans les Inspé, d’autre part de relancer la formation continue sur ces sujets. Délivrer l’enseignement moral et civique (EMC), qui se veut très concret, sans avoir été suffisamment accompagné pédagogiquement pour ce faire est évidemment très délicat. L’enseignement laïque des faits religieux et des courants de pensée, qui doit être transdisciplinaire, n’est quant à lui quasiment pas délivré. Par manque de temps et par manque, là encore, de formation.
 
Nous demandons trop aux professeurs et Ă  l’École qui ne peut ni tout porter ni tout faire. Mais ces sujets sont d’une très grande sensibilitĂ© et d’une grande actualitĂ©. Il faut donc les rendre Ă  nouveau prioritaires dans la formation et l’accompagnement des personnels, car une simple interpellation en classe ou dans la cour peut vite dĂ©gĂ©nĂ©rer. Dans ce monde oĂą les faits religieux apparaissent en permanence dans l’actualitĂ©, nous pensons nĂ©cessaire d’apprendre aux Ă©lèves Ă  en reconnaĂ®tre les formes multiples, Ă  en comprendre la diversitĂ©, Ă  en saisir le sens, et Ă  bien distinguer ce qui relève de la croyance, et qui ne concerne pas l’École, de ce qui relève des savoirs et qui la concerne. Il s’agit ainsi d’aborder les faits religieux en tant que faits sociaux.

Enfin, pour revenir au renforcement de la mixité sociale à l’école, des expérimentations entre 2015 et 2018 ont abouti à de bons résultats, en jouant sur la carte scolaire, l’emplacement des établissements, le choix des équipes pédagogiques et celui des options proposées. Le plus souvent, il en est ressorti des populations plus mélangées, des résultats scolaires absolument pas détériorés, et un climat autour de la laïcité bien plus apaisé.

 
 
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