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SE-UNSA 976


 Par SE-UNSA 976

Entretien paru dans le Monde de l’éducation avec le directeur des cahiers pédagogiques sur la Réforme

 

Jean-Michel Zakhartchouk : « Dire que tout doit venir de la base est une solution de facilité »

Jean-Michel Zakhartchouk, professeur honoraire de lettres, est rédacteur aux “Cahiers pédagogiques”

Les mouvements pédagogiques, dont la culture est celle du libre engagement, ne se sont-ils pas fourvoyés en soutenant une réforme du collège qui fait notamment de l’interdisciplinarité une obligation ?
Je ne parle pas au nom de tous les mouvements pédagogiques. Mais il est vrai que, comme la plupart d’entre eux, les Cahiers pédagogiques, dont je suis un rédacteur, ont soutenu cette réforme. C’est ce que nous avons toujours fait lorsque des réformes institutionnelles nous paraissaient aller dans le bon sens. Nous les avons soutenues, tout en conservant une distance critique.
La question de l’obligation ne peut être tranchée simplement, sur le mode du pour ou contre. Si l’on jugeait, par exemple, que les activités interdisciplinaires pourraient rester entièrement facultatives dans un univers de disciplines obligatoires, cela reviendrait à les considérer comme secondaires. Il est important aussi, même et surtout si elles ne représentent qu’une part modeste de l’horaire, que leur légitimité soit reconnue à travers les évaluations régulières et finales et en s’appuyant sur une formation continue conséquente. C’est pourquoi, si l’on pense que l’interdisciplinarité et l’accompagnement personnalisé, intégrés aux horaires normaux, sont essentiels, il faut aller jusqu’au bout et assumer une part d’obligation, même si l’on se situe dans une tradition qui s’appuie sur les initiatives et le volontariat.
D’autre part, en ce qui concerne les enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) - mais cela vaut aussi pour l’accompagnement personnalisé -, la contrainte n’est pas si pressante qu’on le dit. Tous les établissements doivent en faire, mais pas forcément chaque enseignant. C’est un peu comme pour les fonctions de professeur principal : on demande des volontaires mais s’il n’y a personne, cela se traduit par des désignations. Mais l’autonomie professionnelle des enseignants reste importante, la seule condition posée étant que les heures fléchées EPI soient bien effectuées. Par qui et comment, c’est une question de négociation interne, avec des choix à faire dans une palette de thématiques très large.

Vous faites bon marché d’un mouvement d’opposition très fort qui a duré longtemps...
Oui, comme dans beaucoup de cas, par le passé, de réformes qui, peu de temps après, ont été intégrées et acceptées. Un ministère qui a une légitimité ne peut-il pas prendre des décisions ? Un volontarisme de l’institution me paraît nécessaire. C’est une dialectique ancienne. Si l’on adopte une logique binaire -ou bien obligation pure et simple, ou bien pur volontariat-, on ne s’en sort pas. Il faut à la fois un cadrage et des marges d’autonomie, des règles et beaucoup de souplesse dans leur application, pour tenir compte des conditions locales. Il est vrai que certains cadres intermédiaires ne vont pas toujours dans le sens de cette souplesse, je pense par exemple à ceux qui ne reconnaissent pas pleinement le rôle des professeurs documentalistes. Ils sont à contre-courant de cette réforme. Cela étant, je remarque que les opposants ont aussi leurs contradictions. D’un côté, ils brandissent une accusation de « caporalisme », et de l’autre, ils déplorent une trop grande autonomie de l’établissement, où chacun fait à sa manière.

N’aurait-il pas été plus efficace, plutôt que d’imposer une mesure générale, de rechercher un accord préalable au niveau des établissements ?
Je n’y crois pas du tout. Cela rejoint l’idée de la « tache d’huile », qui verrait les innovations gagner petit à petit du terrain par leur seule attractivité. On voit bien que les établissements expérimentaux restent des îlots. Ils sont souvent des laboratoires tout à fait intéressants, mais on ne peut pas tirer de preuves à partir de l’engagement singulier de personnes volontaires, motivées, qui ne comptent pas leur temps. Il faut accepter une certaine banalité des dispositifs praticables dans des établissements ordinaires. Approuver une réforme, c’est un risque à prendre. Il faut être responsable. Dire que tout doit venir de la base est une solution de facilité. Je ne renie pas la défense de cette réforme, notamment par rapport aux attaques qu’elle a subies et dont certaines étaient et restent particulièrement outrancières.