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SE-UNSA 50


 Par SE-UNSA 50
 Le  mardi 10 décembre 2019

RETRAITES : QUELLE STRATEGIE ?

 

Le 5 décembre : une grève réussie, des réactions.

 

La grève a été une vraie réussite.  Le gouvernement n’attendait pas autant d’enseignants dans les rues : cela a surpris et inquiété car du côté de LREM, on s’illusionnait encore sur le crédit de M. Blanquer. Mais les faits sont là : la colère enseignante a été nourrie avec application depuis des mois, la question de la réforme des retraites n’est que la « goutte d’eau qui a fait déborder le vase ». 

 

C’est donc un message fort qui a été envoyé au gouvernement.  Les réactions n’ont pas tardé. Dès vendredi, les prises de parole se sont multipliées pour tenter de rassurer : promesse de prise en compte de la situation des personnels de l’Éducation Nationale, ouverture de négociations, revalorisation. Encore rien de précis, mais des annonces sont prévues mercredi prochain.  Du vent ? On verra.  La balle est dans le camp du gouvernement.  Macron joue gros sur cette réforme, il a tout intérêt à réduire les oppositions et à faire un pas vers les grévistes, et notamment les enseignants.  Pas par sollicitude ou amour de la profession, par calcul.

 

Que faire maintenant ? Que s'agit-il d'obtenir ?

 

 Certaines organisations combattent pour le « retrait de la réforme ».  Dans, cette logique, il faut maintenir un haut degré de mobilisation jusqu’à faire « plier » le gouvernement.

  Supposons que cela fonctionne : qu’advient-il ensuite ?  Le « Grand Soir » ? Un beau projet alternatif de gauche, juste et socialement généreux ?  Il faut être lucide et ne  pas perdre de vue les réalités politiques du pays : qui le porterait ?  combien de divisions à gauche ?  De fait, il y a fort à parier qu’en cas de retrait, on resterait dans le système actuel, avec pour horizon une succession de réformes paramétriques qui, comme les précédentes, repousseraient toujours plus loin l’âge de la retraite sans décote.  Tout espoir de revalorisation serait alors enterré.   

 

 Le plus probable est l’échec de cette revendication.  D’abord parce que renoncer à la réforme, c’est pour le président risquer de perdre son socle d’électeurs du « premier tour 2022 ».  Ensuite parce que les mécanismes exposés dans le rapport Delevoye font certes des perdants, mais ils font aussi des gagnants, en nombre non négligeable.  Quant à l’opinion, elle soutient pour le moment les grévistes, mais chacun sait l’effet que peuvent avoir les problèmes de transport dans un contexte de fêtes de fin d’année.  Nous avons mis plus de 800 000 personnes dans les rues.  C’est considérable, mais pas supérieur à 2010, ne perdons pas cela de vue.

 

 Au SE-UNSA nous n’étions pas demandeurs d’une réforme, mais nous considérons que notre responsabilité est d’être utile aux collègues.  Nous demandons depuis longtemps une véritable présentation du projet, pour clarifier les enjeux.  Il faudra ensuite peser au maximum sur les décisions afin de faire en sorte qu’il n’y ait aucun perdant.  La grève est un levier à actionner avec intelligence, pas une fin en soi. Il s’agit donc de faire fructifier le coup de semonce du 5 décembre, qui constitue un point d’appui puissant pour porter des revendications et obtenir des garanties.     

 

Multiplier les appels à la grève ?

 

Un appel à la grève a été lancé pour mardi 10 décembre, c’est prématuré.  Nous ne sommes qu’au début de la bataille : nous refusons de prendre le risque d’épuiser financièrement les personnels, de griller de précieuses cartouches nécessaires pour les longues négociations à venir.  L’appel à la reconduction le vendredi 6 décembre a fait un flop dans l’éducation : en Normandie il a été suivi à hauteur de 2,6% dans le second degré et 0,78% dans le premier.  La grève de mardi mobilisera sans doute davantage : et après ? grève "non-stop" en décembre ? Janvier ? Février ?   Cette logique a montré ses limites en 2003 et en 2010.  Les grèves précoces à répétition nous exposent collectivement à un fléchissement du mouvement, et à un affaiblissement du pouvoir de négociation.  

 

Un syndicalisme responsable, et un gouvernement responsable ?

 

 A l’évidence, la radicalité est plus facile à porter dans une salle des profs ou dans une assemblée de collègues fortement mobilisés et en colère.   Mais il est temps de rompre avec une formule perdante, temps d’opter pour un syndicalisme responsable et de gagner la bataille de l’opinion publique, essentielle dans ce genre de conflit.  La colère du terrain doit déboucher à terme sur du concret pour les personnels, et pas sur un cocktail de déception, de pertes de salaires, de réforme subie et injuste.  Sinon, c’est tout le mouvement syndical qui s’en trouvera affaibli.

 

 La voie proposée ici est étroite, et la bataille s’annonce longue, nous en sommes conscients. Une inconnue de taille demeure : dans quelle mesure ce gouvernement est-il prêt à faire des concessions, à accepter de profonds remaniements du projet qu’il mettra prochainement sur la table ? à accorder aux enseignants une véritable revalorisation sans contreparties ?  Ces questions sont d’autant plus légitimes que le « nouveau monde » macronien a largement témoigné de son mépris pour le dialogue social et les corps intermédiaires.  Mais il serait temps pour lui aussi de prendre conscience des réalités, et de s’aviser que son socle politique dans le pays ne dépasse guère les 22-24% des suffrages exprimés.