Cinq organisations et deux heures d’échanges

Les cinq organisations représentatives dans l’Académie de Normandie, conviées par Mme la Rectrice au rectorat de Caen, se sont retrouvées à 18h00 pour échanger sur les conséquences du drame d’Arras et sur un bilan du déroulé de la journée du 16 octobre.

Après un rappel par Mme la rectrice des initiatives et actions menées par le rectorat depuis le vendredi 13 octobre (messages aux personnels de Direction et aux IEN, activation de la cellule d’écoute, répartition des équipes mobiles de sécurité…), l’Unsa-Éducation et les autres organisations syndicales ont, durant plus de deux heures, partagé leurs observations sur les événements, et formulé plusieurs demandes.

L’Unsa-Éducation a rappelĂ© que l’organisation de la journĂ©e du 16/10 n’était pas satisfaisante pour le premier degrĂ©.  Pour le second degrĂ© le ministre a Ă©vitĂ© de reproduire certaines erreurs, notamment en dĂ©gageant du temps pour les personnels. Mais cela n’a pas Ă©tĂ© le cas dans le premier degrĂ©.  L’employeur n’a pas donnĂ© concrètement de possibilitĂ© aux Ă©quipes de se rĂ©unir.  Cela a Ă©tĂ© perçu, Ă  juste titre, comme une marque de profond mĂ©pris par beaucoup de collègues.  Par ailleurs, bombardĂ©s de directives multiples sur la sĂ©curitĂ©, sans moyens supplĂ©mentaires, les directrices et directeurs d’école se sont retrouvĂ©s bien seuls.

La rectrice a rĂ©pondu en pointant du doigt les difficultĂ©s spĂ©cifiques posĂ©es par l’accueil des jeunes enfants dans le premier degrĂ©, tout en disant entendre que ce « temps avait dĂ» manquer Â».

L’Unsa-Éducation a soulignĂ© que ce nouveau drame, au-delĂ  de la sidĂ©ration, suscitait un malaise particulièrement profond chez les personnels.   Un malaise profond parce que le terrorisme islamiste cible et tue Ă  nouveau un enseignant,  3 ans après Samuel Paty.  Encore une fois, l’École de la rĂ©publique et ses personnels sont attaquĂ©s.  Mais il y a aussi une autre source de malaise : c’est aux personnels, aux victimes, qu’on demande d’assurer la mission d’explication auprès des Ă©lèves, voire de gĂ©rer les Ă©ventuelles tensions affĂ©rentes.  C’est toujours Ă  ces mĂŞmes personnels qu’on demande de redoubler de vigilance et de mettre en Ĺ“uvre avec diligence des consignes nouvelles (et nĂ©cessaires ) de sĂ©curitĂ©.  C’est Ă  eux aussi qu’il incombe de gagner en efficacitĂ© pour mieux transmettre la laĂŻcitĂ©, le respect d’autrui, le refus des solutions violentes… Bref, en rĂ©ponse Ă  son agression, le corps enseignant (ou Ă©ducatif), victime, est appelĂ© Ă  se mobiliser toujours davantage.  Or, plusieurs collègues nous ont signalĂ© qu’ils n’avaient pas, en cette journĂ©e du 16 octobre, « l’énergie nĂ©cessaire Â» pour cela. Plusieurs nous ont confiĂ© qu’ils ne « se sentaient pas la force » d’être debout.  L’Unsa-Éducation a demandĂ© Ă  Mme la rectrice de diffuser une consigne d’attention particulière quant Ă  la fragilisation de certains personnels.

L’Unsa-Éducation a insistĂ© sur la nĂ©cessitĂ© de ne pas se contenter d’une « fraternitĂ© de larmes Â».  Le drame d’Arras a, Ă  nouveau, engendrĂ© de l’émotion et des discours d’attachement aux professeurs et Ă  la mission sacrĂ©e de l’École. Malheureusement, les beaux discours de la semaine sont de fait en totale contradiction avec les signaux envoyĂ©s Ă  la profession depuis des annĂ©es : mĂ©pris envers les reprĂ©sentants du personnel en commission parlementaire ; mĂ©pris financier constant  (Mme la rectrice semble plus que jamais croire que nous sommes rĂ©ellement revalorisĂ©s !) ; mĂ©pris absolu pour les revendications professionnelles  (Attal nous dit : « travaillez plus Â», « formez-vous en dehors des heures de cours Â» …).  On en demande toujours davantage Ă  la profession : Ă©duquer Ă  la laĂŻcitĂ© ; porter la lutte contre les discriminations ; travailler Ă  l’égalitĂ© femme-homme ; Ă©duquer Ă  la sexualitĂ© ; repĂ©rer les violences familiales ; Ă©duquer aux Ă©crans et lutter contre la dĂ©sinformation ; Ă©radiquer le harcèlement ; Ă©duquer au dĂ©veloppement durable ; former Ă  la gestion d’un « budget du mĂ©nage Â» ; porter l’éducation routière ; Ă©duquer Ă  la nutrition (lutter contre l’obĂ©sitĂ©) ; lutter contre les addictions ; apprendre les gestes de premier secours ; porter le SNU ; inclure et diffĂ©rencier toujours davantage, dans des classes trop nombreuses ; appliquer de nouvelles mesures de sĂ©curitĂ©.  Etc.   Si l’attachement Ă  l’École est sincère, si les paroles ne sont pas hypocrites, si l’on entend rĂ©pondre au profond malaise qui s’exprime, il faut le montrer par des actes et une prise en compte des demandes lĂ©gitimes des personnels.

L’Unsa-Éducation a rappelĂ© ses positions sur les questions de sĂ©curitĂ©.   La violence terroriste n’est Ă©videmment pas assimilable Ă  la « violence quotidienne » qui existe dans l’École.  Dans tous les cas, il y a Ă  l’évidence des marges de progrès possibles, des failles de sĂ©curitĂ© Ă  combler : cela peut concerner le bâti, l’organisation, les systèmes d’alerte, les plans de prĂ©vention.  Mais l’Unsa-Éducation le rĂ©affirme : la « bunkĂ©risation » n’est ni possible, ni souhaitable.   De plus, les solutions ne sauraient se traduire par du travail supplĂ©mentaire pour les personnels de terrain (les organisations syndicales ont pointĂ© que les AED ne sont pas de agents de sĂ©curitĂ©).  Nous avons rappelĂ© que les moyens humains ne pouvaient ĂŞtre oubliĂ©s dans l’équation : davantage d’adultes et d’encadrants sont une solution clĂ© pour agir face aux tensions et violences quotidiennes.

Mme la Rectrice a soulignĂ© son attachement aux exercices de prĂ©vention (PPMS..) ; elle a  indiquĂ© qu’un GT (groupe de travail)  Ă©tait ouvert / en cours sur les questions de sĂ©curitĂ©.  Beaucoup de points Ă©voquĂ©s sont Ă©tudiĂ©s par les services du rectorat et des collectivitĂ©s territoriales.  Il semblerait que les aspects matĂ©riels focalisent particulièrement l’attention (camĂ©ras, portails, portiques…) mais la question du  Â« gardiennage Â» fait aussi partie de la rĂ©flexion.  Pour les violences « ponctuelles Â», Mme la Rectrice a constatĂ© que la remontĂ©e « Faits Ă©tablissements Â» Ă©tait en train de devenir systĂ©matique, et que ses services se montraient particulièrement attentif dans le suivi et le soutien consĂ©cutif aux signalements (cette affirmation a suscitĂ© un dĂ©bat).  

Certaines difficultés dans l’application du plan Vigipirate renforcé ont été présentées et débattues, de même que le flou de quelques consignes avec des variations fortes entre les territoires.

Mme la Rectrice s’est Ă©galement fĂ©licitĂ© des progrès sensibles dans les relations et le travail commun entre rectorat, police et justice.  A l’échelle des Ă©tablissements, le correspondant sĂ©curitĂ© est de plus en plus identifiĂ© et « mobilisĂ© Â» : un chef d’établissement qui besoin ponctuellement d’une force de sĂ©curitĂ© peut en faire la demande.   

Pour le plan Vigipirate, elle a rappelĂ© que la mise en Ĺ“uvre Ă©tait très exigeante, et que les « FAQ Â» rĂ©pondaient Ă  certaines difficultĂ©s.  Certains problèmes restent toutefois Ă  rĂ©gler.  Pour les consignes, il y a des diffĂ©rences entre les territoires car il faut trouver un Ă©quilibre entre sĂ©curitĂ© et vie des Ă©tablissements, ce qui est compliquĂ©.  La sĂ©curitĂ© s’apprĂ©cie toujours localement : une certaine marge de manĹ“uvre a Ă©tĂ© donnĂ©e aux chefs d’établissement et aux IEN.

Pour l’Unsa-Éducation, une large formation aux premiers secours est Ă©galement cruciale : nous avons rappelĂ© que depuis la rentrĂ©e il n’y avait plus de CADS (chargĂ© acadĂ©mique de dossier du secourisme).  Pour que la formation PSC1 soit large et effective, il ne faut pas demander aux agents de se former sur leur temps personnel. Il ne faut pas non plus refuser les formations syndicales de ce type.

Mme la rectrice a pris bonne note de ces Ă©lĂ©ments et a assurĂ© que le poste acadĂ©mique serait bientĂ´t pourvu. 

L’Unsa-Éducation a enfin attirĂ© l’attention sur le fait que certains Ă©tablissements du privĂ© sous contrat se dispensaient d’appliquer les directives ministĂ©rielles concernant le temps attribuĂ© aux personnels.  C’est semble-t-il le cas pour plusieurs d’entre eux dans l’AcadĂ©mie. Pour l’Unsa-Education, le financement du privĂ© sous contrat revient Ă  subventionner un sĂ©paratisme scolaire porteur de divisions, d’inĂ©galitĂ©s et de fractures dans notre pays.  C’est nuire sciemment Ă  l’intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral.  Ce refus aux personnels du temps de concertation confirme l’indiffĂ©rence de certains Ă©tablissement du privĂ© pour les douleurs infligĂ©es Ă  notre RĂ©publique.

Un dĂ©bat a aussi eu lieu sur les « manquements Ă  la minute de silence Â».  Mme la rectrice insiste sur l’importance de  « ne rien laisser passer… Â» (la collecte d’information lui apparaĂ®t utile, au titre de la logique des « signaux faibles Â»). L’Unsa-Éducation considère que la vigilance et la fermetĂ© sont  effectivement nĂ©cessaires.  Mais pour que cette politique ne se rĂ©duise pas Ă  une simple opĂ©ration de communication, il convient Ă©galement de faire confiance au professionnalisme et au discernement des acteurs de terrain qu’on entend accompagner et protĂ©ger.

L’Unsa-Éducation a rĂ©affirmĂ©, avec une partie des syndicats prĂ©sents, la nĂ©cessitĂ© de lutter contre les idĂ©ologies extrĂ©mistes : l’islamisme radical bien entendu ; mais Ă©galement toutes les autres formes de pressions venues des droites extrĂŞmes (« Parents vigilants Â»).

Mme la Rectrice nous a assurĂ© de l’attention particulière de ses services Ă  ces problèmes : les rĂ©seaux sociaux en posent beaucoup.  Un Ă©change a lieu sur ce point et notamment sur la question des agressions de personnels par des tiers sur des rĂ©seaux sociaux.   

La rectrice a Ă©galement indiquĂ© sa grande vigilance pour tout ce qui concerne l’instruction en famille, source particulière d’inquiĂ©tude. 

Cet Ă©change, initiĂ© par Mme la Rectrice, Ă©tait nĂ©cessaire.  Que restera-t-il de tout cela une fois l’émotion passĂ©e ?  Quelques portiques et camĂ©ras de surveillance ? Un ou deux plans de formation ? Quelques ajustements de protocole ? Le budget qui s’annonce est en rĂ©alitĂ© porteur d’un bien mauvais signal : pour le gouvernement, investir rĂ©ellement dans l’École Publique n’est pas Ă  l’ordre du jour, seuls les discours comptent…