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SE-UNSA VERSAILLES


 Par SE-UNSA VERSAILLES
 Le  mercredi 10 janvier 2018

De l’entraide dans le monde du vivant à la classe coopérative

 

À propos de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle, L’Entraide, l’autre loi de la jungle, éditions Les Liens qui libèrent, 2017.

 

                              

    Ce livre va à l’encontre de l’idée que le monde du vivant est obligatoirement soumis à la « loi du plus fort », à cette loi pour la lutte pour la vie que Darwin a le premier mis en évidence. De cette conception a découlé une vulgate qui fait du monde social une arène de la compétition, une bataille pour le rang ou le pouvoir dans toutes les strates de la société. Par les classements, les notes, la compétition entre élèves, c’est aussi toute une vision de l’école qui peut être parfois associée à une telle perception des relations humaines. C’est pourquoi le livre de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle, tous deux biologistes, est particulièrement bienvenu. Il a pour sujet l’entraide, cette alternative à la compétition dans le monde du vivant qui est également une loi universelle méconnue. Afin de compléter ce compte rendu, nous avons interrogé une enseignante qui travaille dans une classe innovante, où l’entraide est au cœur du projet pédagogique.

Aller contre la loi du plus fort

    L’ouvrage nous fournit tout d’abord de très nombreux exemples d’entraide en dehors de l’espèce humaine. La coopération et la réciprocité sont en effet des principes que l’on peut découvrir dans l’ensemble du monde du vivant. Cela concerne des mêmes espèces de la faune et la flore, mais on constate également des pratiques d’entraide entre espèces différentes. Les auteurs prennent ainsi l’exemple des pins et des sapins qui, dans un contexte favorable, s’opposent pour se développer davantage, mais dans un contexte difficile s’entraident pour croître au mieux. Deux plantes, l’armoise et le tabac s’entraident pour faire face aux insectes : dès qu’une espèce est attaquée, l’autre émet des substances toxiques contre ces mêmes insectes. Dans le monde de l’infiniment petit, de tels exemples sont également légion. L’agressivité dans le monde du vivant est bien présente, mais cela est coûteux en énergie, cela épuise, et des formes de coopération se développent pour affronter les affres de l’existence au moindre coût. On apprendra beaucoup de choses dans ce domaine de la biologie, qui vont à l’encontre du principe de la loi du plus fort. Mais les auteurs étendent leurs observations aux humains.

Le groupe et l’entraide

     Selon les auteurs, l’entraide est une tendance spontanée pour les individus. L’empathie, la réciprocité sont très présentes dans les relations humaines et on constate que ces principes de coopération acquièrent leur toute puissance en milieu hostile ou en période de crise. Ainsi, le culte de la compétition, qui se retrouve dans bon nombre d’opérations économiques et dans le néo-libéralisme, ne doit pas cacher les pratiques d’entraide que l’ethnologue Marcel Mauss avait mis en évidence au début du XXe siècle sous forme de don et de contre-don. Dans ce livre assez foisonnant, tant les auteurs manient la biologie comme la sociologie, on s’intéresse aussi à la dynamique des groupes et à la réussite de leur cohésion interne. Cela passe à l’intérieur d’un groupe quel qu’il soit, par un sentiment de sécurité, un sentiment d’égalité et un sentiment de confiance pour que la dynamique interne soit mise en pratique. Il faut donc tisser des liens entre chaque membre du groupe, ce qui est gage de réussite individuelle et collective.

     Si ce livre n’évoque que peu le monde de l’éducation, même si on y relate la réussite des pédagogies bienveillantes, il nous paraît essentiel pour aider à comprendre pourquoi l’entraide doit être également au cœur du projet éducatif. C’est pourquoi nous avons, en complément de ce compte rendu de ce livre que nous conseillons vivement, interrogé Sandra Murphy pour nous parler de l’expérience d’une classe coopérative, où elle enseigne l’anglais tout en étant co-professeure principale.

 

Entretien avec Sandra Murphy,enseignante d’anglais au lycée Louis Armand D’Eaubonne (95) , co-professeure principale d’une classe innovante

                                          

- Pourrais-tu nous expliquer en quelques mots en quoi consistent les classes innovantes dans ton lycée ?

   La coopération est un des axes des classes innovantes de mon lycée, avec   l’usage du numérique et les compétences. Elle permet de se concentrer sur le bien-être à l’école pour les élèves, afin qu’ils s’y sentent mieux. Il y a un système d’entraide, avec un fonctionnement par ilots pour la plupart des matières, ce qui a nécessité une nouvelle architecture de la classe. En plus, il y a une heure de conseil d’élèves par semaine, et deux heures d’AP en co-animation qui fonctionne sur le principe de l’entraide. Pour les enseignant.e.s, il y a en plus une heure de concertation et enfin nous avons deux professeurs principaux par niveau.

- Quelles sont les difficultés que l'on rencontre dans de telles expériences ?

En ce qui concerne les élèves, il y a au début de l’année des appréhensions : au niveau seconde par exemple, ces classes sont sans note ce qui peut en déstabiliser certains. Cette absence des notes d’ailleurs peut susciter des réflexions assez négatives pour les autres élèves du lycée, mais aussi pour certains collègues. Mais il ne faut pas oublier qu’un tel dispositif nécessite des moyens en plus (par le nombre d’heures) ce qui est difficile à obtenir du rectorat, en dépit des bonnes intentions ! Malgré cela, les équipes et les élèves sont enthousiastes et motivés pour continuer ce projet qui est né il y a quatre ans.

- Pourquoi selon toi le principe de classe coopérative correspond aux idées défendues par le SE-Unsa dans le domaine éducatif ?

Dans ces classes, nous pratiquons une pédagogie totalement différente, avec l’alliance des compétences, de l’utilisation du numérique dans un système de coopération, le tout se déclinant autour d’une pédagogie de projet qui permet l’interdisciplinarité, de faire des liens concrets entre des disciplines qui ne dialoguent pas forcément au lycée. Je suis aussi militante du SE-Unsa, et cela me permet de mettre en pratique les idées défendues par mon syndicat, que ce soit les pédagogies innovantes, l’inclusion des élèves à profil particulier, le travail en équipe, l’interdisciplinarité ou encore une éducation bienveillante.

- Si tu devais convaincre des collègues de tenter à leur tour un tel projet, que dirais-tu ?

Il est rare de travailler dans des équipes aussi motivées et solidaires, ce qui déjà est très important. Les relations avec les élèves sont plus apaisées, ils nous considèrent comme des éducateurs, nous travaillons côte à côte avec les élèves, et non pas face à eux. Par exemple, c’est une grande victoire pour nous que d’avoir réussi dans de telles classes à récupérer des élèves décrocheurs. C’est un apprentissage à la citoyenneté également, en faisant vivre concrètement les valeurs de solidarité et d’entraide.