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À propos du Petit Manuel pour une laïcité apaisée
Article publié le lundi 7 novembre 2016.
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     J.BaubĂ©rot le cercle des enseignant.e.s laĂŻques, Petit manuel pour une laĂŻcitĂ© apaisĂ©e Ă  l’usage des enseignants, des Ă©lèves et de leurs parents, Paris, Ă©ditions La DĂ©couverte, 2016.

                                                                                              

         Trop souvent, on aime Ă  parler et Ă  dĂ©battre de livres que l’on n’a pas lu. On se contente d’avis parus dans la presse ou de jugements rapides dĂ©couverts sur des rĂ©seaux sociaux. Il suffit de quelques bonnes apprĂ©ciations pour se persuader d’avoir un avis dĂ©finitif sur la question. Au mieux, on reprend des arguments, au pire, on se contente d’accompagner le mouvement, dans un large copier/coller censĂ© illustrer la pertinence de l’avis initial. L’accueil reçu par le Petit manuel pour une laĂŻcitĂ© apaisĂ©e nous semble une illustration de ce mode de fonctionnement aujourd’hui si prĂ©sent. Beaucoup de recensions sont positives, beaucoup d’avis Ă©logieux (alors mĂŞme que le livre Ă©tait Ă  peine paru) nous sont parvenus, comme si forcĂ©ment ce livre comblait un trou, comme s’il Ă©levait, ne serait que par son titre, le dĂ©bat actuel sur la laĂŻcitĂ©. Ce petit manuel a de prime abord tout pour nous plaire : il est Ă©crit par un cercle d’enseignant.e.s laĂŻques sous la houlette d’un spĂ©cialiste de la question, Jean BaubĂ©rot. Il se prĂ©sente comme un guide accessible, et comme l’indique le sous titre, il se veut Ă  « l’usage des enseignants, des Ă©lèves et de leurs parents Â». Dans sa construction mĂŞme, autour de deux grandes parties, analyses et pratiques, il nous semblait correspondre Ă  nos attentes. La laĂŻcitĂ© est en effet un des principes essentiels que nous dĂ©fendons au SE-Unsa. Donc, nous l’avons lu avec intĂ©rĂŞt. Mais nous ne l’avons pas aimĂ©.

      Une histoire pas si neutre   

       La première partie de l’ouvrage, appelĂ©e « analyses Â» donne Ă  voir ce qu’est rĂ©ellement la laĂŻcitĂ©, Ă  la fois dans l’ensemble de la sociĂ©tĂ© et dans le milieu scolaire. Comme le disent les auteur.e.s, il est essentiel de bien comprendre la construction historique de ce principe, les hĂ©sitations, les cheminements qui ont abouti Ă  la mise en pratique des règles laĂŻques Ă  l’école. Ă€ plusieurs reprises, il est affirmĂ© que l’histoire de la laĂŻcitĂ© est mal connue. Mais dĂ©jĂ  sur ce point, le livre manque son objectif : en effet, de nombreux dĂ©bats complexes sont abordĂ©s dès les premières pages, et on risque de se perdre dans les mĂ©andres de ce sujet. On aurait prĂ©fĂ©rĂ© un historique clair et prĂ©cis sur les Ă©volutions depuis la fin du XIXème siècle. Ce n’est pas du tout le cas. On conseillera Ă  ce sujet le petit Que sais-je ? de Jean BaubĂ©rot sur l’Histoire de la laĂŻcitĂ© en France, qui est une excellente synthèse. Cette première partie est finalement dĂ©concertante et elle vise Ă  affirmer que la laĂŻcitĂ© doit obligatoirement ĂŞtre apaisĂ©e, qu’elle doit s’inscrire dans une neutralitĂ© scolaire dont les auteur.e.s se font les avocats. Cette mise en perspective n’a donc que ce but : affirmer qu’aujourd’hui la laĂŻcitĂ© a Ă©tĂ© dĂ©voyĂ©e Ă  l’école, contrairement aux idĂ©es initiales. Ă€ l’appui, on trouve donc de nombreuses rĂ©fĂ©rences piochĂ©es dans l’histoire. Nous n’en signalerons qu’une seule, illustration parfaite de la mĂ©thode employĂ©e dans l’ouvrage: un long extrait d’un article de Jaurès paru en 1908 est citĂ©. Les extraits montrent que le socialiste, lui-mĂŞme Ă  l’initiative avec d’autres de la loi de 1905, a une vision pacifiĂ©e, neutre de la laĂŻcitĂ© Ă  l’école. Si mĂŞme Jaurès pensait cela, vous comprendrez aisĂ©ment que oui il faut une laĂŻcitĂ© apaisĂ©e. Le hic, c’est que cet article (mal rĂ©fĂ©rencĂ© d’ailleurs au passage dans le livre) dit exactement le contraire ! Certes, les citations choisies laissent penser que Jaurès avait cette vision, mais c’est mal connaĂ®tre le mode de fonctionnement du leader socialiste : dans ses articles, il Ă©nonce longuement, discute, argumente et reprend ensuite l’argumentation pour affirmer son avis. Si on gomme l’essentiel (ce que font ici les auteur.e.s du livre) on peut faire dire tout et son contraire au grand socialiste. Non, Jaurès n’est pas pour la neutralitĂ© scolaire, puisqu’il affirme dans le mĂŞme article qu’il n’y a rien de neutre, hormis le nĂ©ant ! S’il fut un partisan de la loi de compromis de 1905, il ne faudrait pas lui faire dire pour autant n’importe quoi Ă  ce sujet.

     Mais on peut faire d’autres critiques. Pour les auteur.e.s, il importe de mentionner leur expĂ©rience de terrain. Ă€ ce titre, le livre prĂ©cise que beaucoup d’entre eux ont enseignĂ© en Seine-Saint-Denis, et que c’est Ă  partir de cette expĂ©rience, qu’ils ont rĂ©alisĂ© ce manuel. Le procĂ©dĂ© est simple : puisque les enseignant.e.s ont exercĂ© dans ce dĂ©partement, leur parole est plus audible. Mais la laĂŻcitĂ© Ă  l’école ne concerne-t-elle que le 93 ? Pas l’acadĂ©mie de Versailles, Toulouse ou Brest ? Pourquoi les problèmes liĂ©s Ă  ce principe ne concerneraient-ils pas l’ensemble du territoire ? Il y a lĂ  un tropisme et une Ă©vidence que nous avons du mal Ă  comprendre pour notre part. Enseigner dans tel ou tel dĂ©partement ne donne pas droit Ă  un passeport pour parler de la laĂŻcitĂ©.

 S'interroger sur les buts de ce manuel

     Dans une seconde partie, des cas pratiques sont abordĂ©s. On trouve plusieurs pages très intĂ©ressantes sur la mise en pratique pĂ©dagogique de la Charte de laĂŻcitĂ© dans les Ă©coles par exemple. C’est indĂ©niable, et c’est pourquoi on pourra lire ce chapitre avec intĂ©rĂŞt. Mais lĂ  encore l’idĂ©e des auteur.e.s est autre. Le but Ă  peine cachĂ© est de dĂ©montrer que la loi de 2004 sur l’interdiction des signes ostentatoires Ă  l’école va Ă  l’encontre des principes rĂ©els de la laĂŻcitĂ©, et qu’elle est destinĂ©e Ă  exclure les Ă©lèves musulmanes voilĂ©es des Ă©tablissements scolaires. Il faut donc pour eux revenir sur cette loi et construire une laĂŻcitĂ© apaisĂ©e oĂą tout le monde serait acceptĂ© Ă  l’école. Pour dĂ©montrer cela, on comprend mieux pourquoi il faut Ă  la fois convoquer l’histoire, de grands ancĂŞtres, et affirmer qu’on a une bonne connaissance du terrain, dans le 93 ou ailleurs. On peut toujours discuter de cette loi de 2004, mais quoi qu’il en soit, elle a permis de rĂ©affirmer la laĂŻcitĂ© dans les Ă©coles. Les auteur.e.s soulignent d’ailleurs qu’ils n’étaient pas en poste avant l’application de cette loi, ce qui explique peut-ĂŞtre leur propre vision assez Ă©tonnante sur ce point? Du coup, on affirme que la laĂŻcitĂ© actuelle serait trop centrĂ©e sur l’Islam et serait discriminatoire. Pour confirmer cela, ne sont citĂ©s que des auteurs qui vont dans leur sens, raccourci bien dommageable lorsque le livre se prĂ©sente comme un manuel. Pour renforcer encore l’argumentation, ils prennent Ă©galement des exemples rĂ©cents d’atteinte aux principes laĂŻques, que l’on aurait tolĂ©rĂ©s, venant des milieux chrĂ©tiens comme lors de l’affaire des ABCD de l’égalitĂ© : on reste perplexe sur ce point, car selon les auteurs, il n’y aurait eu que les associations catholiques intĂ©gristes Ă  l’œuvre. Nous ne savons pas ce qu’il en est dans le 93, mais dans l’acadĂ©mie de Versailles, c’est tout un ensemble bien plus complexe d’associations rĂ©trogrades qui sont intervenues. Il est indĂ©niable que des groupes musulmans ont agi aussi, souvent de manière très concertĂ© d’ailleurs. Pourquoi le nier, comme le font les auteur.e.s de l’ouvrage ? Mais on a bien compris ce qu’il faut avant tout: la laĂŻcitĂ© doit ĂŞtre maintenant apaisĂ©e en faveur de l’Islam, pas d’autres religions (puisque cela semble ĂŞtre dĂ©jĂ  le cas selon les auteur.es.). C’est une autre limite de l’ouvrage : pourquoi focaliser sur la religion musulmane en considĂ©rant que la laĂŻcitĂ© aujourd’hui serait avant tout un principe contre les croyants de cette religion? Y-t-a-il vraiment une diffĂ©rence de traitement entre les religions dans nos principes laĂŻques actuels ? Faut-il dès lors revoir entièrement la dĂ©finition de la laĂŻcitĂ© ? Il nous semble au contraire essentiel de dĂ©fendre des principes Ă  l’encontre de tous ceux qui sous prĂ©texte de religion, veulent donner davantage de rĂ´le Ă  leurs croyances dans la vie publique, peu importe la religion.

     Mais lĂ  encore, le but semble ailleurs pour ce manuel. Il faut essayer de prouver que le dispositif lĂ©gislatif actuel contredit la loi de 1905, et qu’en consĂ©quence la religion musulmane est discriminĂ©e. On le voit ainsi dans les rĂ©fĂ©rences utilisĂ©es par les auteur.e.s comme le livre de Pierre TĂ©vanian Ă  propos des jeunes lycĂ©ennes voilĂ©es, qui est repris longuement et qui dĂ©crit une situation bien Ă©loignĂ©e de la rĂ©alitĂ© de l’époque dans les lycĂ©es mentionnĂ©s (l’auteur de ces lignes, lui aussi enseignant de terrain, exerçait dans l’un d’entre eux Ă  cette pĂ©riode). On signalera enfin que les auteur.e.s du manuel ont d'abord appartenu, avant de prendre le nom de cercle des enseignant.e.s laĂŻques, Ă  un collectif qui milite en faveur de l'abrogation de la loi de 2004, le CEAL. Ce changement de nom est signifiant, indĂ©niablement.

 Qu'est-ce que la laĂŻcitĂ© pour nous?

     On le voit donc, et cela nous semble le plus important, le contenu du livre ne correspond pas au titre : il ne s’agit ni d’un manuel, ni d’une lecture apaisĂ©e de la laĂŻcitĂ©. Que l’on se comprenne bien, les auteur.e.s, tout comme BaubĂ©rot, ont le droit d’affirmer ce que devrait ĂŞtre Ă  leurs yeux le principe de laĂŻcitĂ© ou critiquer le dispositif lĂ©gislatif de 2004, le tout  dans les limites d’un dĂ©bat dĂ©mocratique. Cela ne fait aucun doute. Ce n’est pas cela qui est en jeu ici : il s’agit davantage de faire croire que ce livre est ce qu’il n’est pas. Il ne s’agit ni d’un manuel pratique, ni d’un recueil de conseils applicables Ă  la lettre. C’est un livre d’opinion qui offre une vision connotĂ©e de la laĂŻcitĂ©, c’est en cela que nous critiquons le contenu, mais aussi la rĂ©ception de l’ouvrage, car bien souvent, on a prĂ©sentĂ© ce livre comme un manuel utile, dĂ©pourvu d’intentions particulières. Cela s’inscrit dans un dĂ©bat actuel oĂą l’on peine Ă  affirmer des principes simples, fĂ©dĂ©rateurs et constructifs Ă  propos de la laĂŻcitĂ©. Dans ce dĂ©bat, le SE-UNSA et l’UNSA Ă©ducation ont toujours eu Ă  cĹ“ur de dĂ©fendre une vision dĂ©mocratique, avec des principes forts, oĂą la laĂŻcitĂ© n’est ni discriminante ni injuste. Ce n’est pas d’une laĂŻcitĂ© apaisĂ©e que nous voulons, mais d’une laĂŻcitĂ© qui apaise. Cela n’est pas la mĂŞme chose ! Oui, il faut dĂ©battre encore aujourd’hui de la laĂŻcitĂ©, mieux connaĂ®tre son histoire et son actualitĂ©, mais certainement pas au prix de raccourcis et de positionnements opposĂ©s Ă  sa nature mĂŞme.

 

Pour aller plus loin :

Le SE-UNSA a publiĂ© un guide  Et si on parlait LaĂŻcitĂ©...  Ă  l’occasion du 110e anniversaire de la loi de 1905. On y lira plusieurs mises au point et entretiens sur ce sujet. Vous pouvez nous demander par courriel un exemplaire papier de ce petit guide, n'hĂ©sitez pas !

L’UNSA Ă©ducation a publiĂ© un numĂ©ro de Questions de sociĂ©tĂ© sur  La Morale laĂŻque

L’observatoire de la laĂŻcitĂ© a publiĂ© en octobre 2016 un guide très pratique  LibertĂ©s et interdits dans le cadre laĂŻque 

 
 
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