Normandie : encore des retraits de postes pour la rentrée 2024

Le jeudi 18 janvier, la rectrice de l'Académie de Normandie a présenté à l'ensemble des organisations syndicales représentatives le projet de répartition des emplois pour la rentrée scolaire 2024. Drôle de priorité à l’Éducation en Normandie : pour l'essentiel, ce sont des suppressions de postes qu'on nous présente. Nous avons voté contre ce projet.

DÉCLARATION DE L’UNSA-ÉDUCATION AU CSA DU 18 JANVIER 2024

Madame la rectrice, mesdames et messieurs les membres du CSA.

On nous annonçait un « choc des savoirs ».  On nous annonçait une « priorité à l’Éducation ».  Mais, les principales mesures actées au plan national se déclinent désormais localement et, en Normandie comme ailleurs, elles vont à nouveau fragiliser notre système éducatif et dégrader les conditions de travail des personnels.  A l’évidence, notre nouvelle ministre pourra continuer de légitimer le contournement de la carte scolaire, continuer de dénoncer avec morgue les fragilités de l’École de la République, en feignant d’ignorer que c’est là le résultat de la politique éducative menée depuis bientôt 7 ans.

En effet, cette année encore, la Normandie sera sévèrement touchée par les suppressions de postes. 

Dans le premier degré, c’est 110 ETP qui seront supprimés.   Comme chaque année, l’institution justifie ces retraits par la baisse démographique normande.  C’est un argument aussi usé que spécieux.  Personne ne conteste la baisse démographique.  Mais le graphique de la page 11, qui présente l’évolution des P/E, relève de la manipulation.   L’UNSA-ÉDUCATION le réaffirme : il n’y a pas de quoi se réjouir d’un P/E normand qui reste stable à 6.   On est toujours en deçà de la moyenne de l’OCDE, et très en deçà des pays de l’UE.  On est même en dessous du P/E de l’école Stanislas.  Ajoutez, sur votre graphique, le P/E de la Pologne (10), des pays baltes (10), de l’Espagne (7,5) ou de l’Italie (9) : on prendra alors la mesure véritable de l’effort consenti par la nation.  La réalité est cruelle : en Normandie, le fonctionnement du service public d’éducation du 1er degré restera, à la rentrée prochaine, embourbé dans des difficultés majeures, notamment en ce qui concerne les remplacements.

Dans les collèges et les lycées, on nous annonce encore des retraits d’emplois : à hauteur cette année de 60 ETP.

Pour les collèges, ce sera 23,5 postes en moins (-15 et – 8,5, pour 292 élèves de moins attendus).

On voit mal, Mme la rectrice, comment il sera possible de créer des groupes de niveaux.  Même en tenant compte de la suppression de l’heure supplémentaire d’accompagnement personnalisé en mathématiques et en français pour les élèves de 6ème, le compte n’y est pas.  L’Unsa-Éducation l’affirme :  ces groupes de niveaux constituent une mauvaise nouvelle pour les élèves, nous y reviendrons. C’est aussi une mauvaise nouvelle pour les marges d’autonomie et les capacités de choix des établissements, qui seront inévitablement impactées : disparition des groupes de sciences ou de langues, réduction de l’offre d’option (d’ailleurs, où va-ton placer le théâtre ?)  Une mauvaise nouvelle enfin, pour les conditions de travail des personnels : la qualité des emplois du temps des professeurs de mathématique et de français sera affectée ; le travail de suivi des élèves sera rendu plus complexe, du fait de l’éclatement des groupes classes et, surtout, les BMP et postes partagés risquent de se multiplier.

Dans ce contexte, on peine à se réjouir de la création de 23 ULIS.  Créer des structures ne suffit pas.  Encore faut-il faire en sorte de ne pas dégrader l’environnement dans lequel on les établit.  Pour l’Unsa-Éducation, il est urgent de mettre à plat le fonctionnement de l’École inclusive et de se donner les moyens de répondre effectivement et pleinement aux besoins, sans nier les difficultés croissantes de la communauté éducative, sans les accroître par ailleurs.  Fragiliser le collège et les personnels qui accueillent les ULIS, c’est se contenter de faire une politique d’affichage, c’est faire de l’inclusion un simple slogan.

Dans les LGT, après les 63 postes de 2023, on nous annonce un retrait de 38,5 ETP.   Depuis 2017, le lycée est profondément maltraité.  Nous déplorons que, chaque année, il faille réclamer le projet de ventilation des DHG des lycées normands.  A l’époque de Nicolas Sarkozy, dont le gouvernement semble avoir la nostalgie, on nous le transmettait pourtant sans problème.   Mais le plus gênant, c’est que, sur cette question, les documents de travail sont encore une fois, très pauvres, alors que c’est la seule instance où l’on examine la dotation des LGT.  Pourquoi ne pas soumettre à notre examen les évolutions de H/E, en remontant comme vous le faites dans le premier degré jusqu’en 2010 ? Vous nous l’aviez promis en 2023 et en 2022 ! Surtout, pourquoi ne pas nous donner les moyens de comparer avec les lycées normands du privé sous contrat ?  Vous nous l’avez promis lors du CSA de novembre dernier.  La transparence est-elle si gênante ?  Risquerait-on de s’apercevoir, comme c’est le cas pour certains lycées du 6ème arrondissement de Paris, que les établissements privés normands sont surdotés en termes de moyens, alors qu’ils trient les élèves ?

La seule précision que nous avons concerne l’évocation d’une maigre dotation de 7,5 ETP pour mettre en place les « Prépas lycées ».  Cette mesure reste bien confuse, beaucoup de questions se posent et l’on peine à en cerner les modalités concrètes d’application pour la rentrée prochaine.  « Un lycée par département », faut-il comprendre que c’est à titre expérimental ?  On sait que la plupart des élèves qui n’ont pas le DNB se destinent plutôt à la voie professionnelle : dès lors, pourquoi positionner cela sur les LGT et pas sur les LPO ? Il est vrai que la barque des LP est déjà bien chargée…

Dans les LP, on nous annonce la création de 2 ETP, alors qu’on attend 110 élèves de plus.   Il faut 7 élèves en moins pour supprimer un poste en LGT ; mais il faut 50 élèves de plus pour créer un poste en LP.  Comme quoi, la prise en compte des réalités du terrain n’est toujours pas à l’ordre du jour.  La réforme de la voie professionnelle a été imposée d’en haut par le président de la République.  Cela, sans réel bilan partagé de la réforme précédente, et sans que nous en soyons demandeurs.  Cette réforme n’est pas satisfaisante.  Pour le SE-UNSA, il était toutefois indispensable d’interroger des dispositifs décriés par la profession : le chef d’œuvre par exemple, uniforme pour toutes les filières et donc rendu très artificiel pour certaines d’entre-elles ; la réduction horaire de certaines disciplines ou encore la rigidité des dispositifs de co-intervention.  Il fallait améliorer les conditions d’apprentissage des élèves et éviter les suppressions de postes.  C’est pourquoi le SE-UNSA a choisi de dialoguer. La grille horaire du bac professionnel a ainsi évolué grâce à nos interventions. Sur les 22 semaines du tronc commun de Terminale, il y aura davantage d’heures de mathématiques, de français/histoire-géo/EMC et d’EPS. Nous avons obtenu par ailleurs une augmentation conséquente du ratio de calcul des heures complémentaires pour effectif réduit en classe de seconde et première, dont une partie sera dédiée aux mathématiques et au français. Le chef d’œuvre disparait sans que la pédagogie de projet à laquelle nous sommes attachés ne soit supprimée.  Pour autant, cette réforme imposera à nouveau des baisses horaires élèves, ce que nous dénonçons. Par ailleurs, les DHG sont transmises aux établissements sans que les textes réglementaires ne soient parus. Cela devient malheureusement une habitude et montre à nouveau le peu de considération que l’institution porte à ses personnels. C’est inacceptable !

Avec ces mesures sur poste, la Normandie manquera encore d’enseignants à la rentrée 2024.  Les difficultés de recrutement en contractuels ne permettront pas de pallier le nombre insuffisant de titulaires.  Cette carte scolaire 2024, c’est la dégradation programmée des capacités de remplacement de l’année prochaine.  La ministre pourra continuer à se plaindre du résultat de sa propre politique.

Pour ce qui concerne l’accompagnement de nos élèves, les nouvelles ne sont pas meilleures. 

La vie scolaire ne sera pas épargnée. Alors même que l’année dernière notre Académie n’avait pas reçu un seul des 100 postes créés à l’échelle nationale, alors même que de nombreux collèges normands n’ont toujours pas de CPE, c’est un retrait à la hauteur de 3 emplois qu’on nous annonce pour la rentrée prochaine.   Cela laisse songeur, sinon sur la sincérité du moins sur la cohérence de l’engagement ministériel proclamé quant à la lutte contre le harcèlement.

Dans le même temps, on nous annonce la suppression de 9 ETP administratifs et d’un poste de PERDIR.  Ce n’est pas acceptable.  Les équipes de direction sont loin d’être complètes en Normandie.  La surcharge de travail pour les personnels a atteint la limite du supportable, et rien n’est fait pour apporter une réponse.  Au-delà du problème central de la réduction des moyens humains, le ministère est incapable de tenir compte des dysfonctionnements passés et chaque réforme charrie désormais son lot de problèmes techniques : en témoigne par exemple la nouvelle application ministérielle dénommée APLyPro, laquelle fait peser sur les établissements tout le travail de mise en place des allocations de PFMP.  APLyPro n’est actuellement interopérable avec aucun des logiciels utilisés, ce qui démultiplie de fait les opérations de saisie.  Les ambitions du ministère en matière d’amélioration de la gestion des ressources humaines, pourtant affichées comme une priorité, sont d’emblée obérées par la réalité.  On assiste à une fragilisation de l’administration du système éducatif, préjudiciable à l’ensemble des élèves et des personnels.

Enfin, aucune création de postes de personnels sociaux et de santé n’est annoncée.  Dans notre Académie, nombre d’établissement ne bénéficient pourtant que d’un 50% de temps infirmier. Des postes d’AESH seront sans doute créés, mais beaucoup ne seront pas pourvus.  Quant à la question du recrutement de médecins de l’Education Nationale, c’est un dossier qui est au point mort, alors même que la situation est alarmante en Normandie.  La raison en est simple : l’Éducation Nationale n’est plus du tout attractive pour ces personnels.  Le ministère le sait, ne fait rien.

En ce mois de janvier, la question de l’attractivité de nos métiers est plus que jamais d’actualité.  

Les signes de la crise d’attractivité sont légion : des concours qui ne font plus le plein ; des remplacements qui ne sont pas assurés ; des démissions de stagiaires, des reconversions de titulaires ; le recours croissant à des personnels toujours plus précaires et moins formés.

La dégradation des conditions de travail est une cause majeure de ce manque d’attractivité, mais ce n’est pas la seule.

Nous le réaffirmons ici avec force :  pour l’Unsa-Éducation, la question de la revalorisation financière est très loin d’être soldée, contrairement à ce que laissent penser les déclarations satisfaites des ministres et du président.  Les rémunérations et les perspectives d’amélioration restent insuffisantes, et là encore les comparaisons internationales sont édifiantes.  Vous le savez, car nous avons développé ces points déjà des dizaines de fois dans cette instance.  En vérité, pour beaucoup de personnels c’est la simple question du maintien du pouvoir d’achat qui se pose aujourd’hui. L’inflation d’hier n’a pas été compensée pour la grande majorité des agents, et l’inflation de 2024 ne semble intéresser aucun responsable politique.  Pour l’Unsa-Education, envisager un gel du point d’indice en 2024 est inacceptable.

Donner la priorité à l’Education, ce n’est pas supprimer des postes de titulaires ; ce n’est pas précariser toujours davantage nos métiers.  Ce n’est pas tourner le dos à ses personnels.  Cette année encore, c’est pourtant ce choix qui est opéré.  C’est un pas supplémentaire vers un service public d’Education dégradé.   Ce n’est malheureusement pas nouveau.

Ce qui l’est davantage, c’est de s’engager ouvertement vers un projet d’École élitiste. 

 

Car c’est bien cela qui se cache sous la formule du « choc des savoirs », un patchwork de mesures annoncées en réponse aux résultats PISA 2023.  On apprécie, dans la démarche, la validation à peine implicite de l’échec de M. Blanquer et de la politique menée depuis 2017.  On apprécie moins, en revanche, les propositions de M. Macron (ministre de l’Éducation), de M. Attal (ministre de l’Éducation) et de Mme Oudéa-Castéra (ministre de l’Éducation).  Oui, comme disait Montesquieu, « ce n’est pas les médecins qui nous manquent, c’est la médecine ».  Qu’on en juge.

 

Des manuels labellisés et obligatoires, pour porter la bonne parole pédagogique et didactique, dans une logique de standardisation quelque peu absurde.  Le Diplôme National du Brevet qui deviendrait ce qu’il n’a jamais été : un sésame pour accéder au lycée, en enterrant au passage le socle commun de compétences.  L’uniforme et le SNU : aussi stupides et couteux l’un que l’autre, étrangers à notre tradition, mais faisant écho aux aspirations d’une partie de la France vieillissante soucieuse de mettre au pas la jeunesse.  Le recours à l’Intelligence Artificielle, enfin, dont l’annonce en grande pompe a de quoi laisser perplexe : on perçoit surtout, pour le moment, l’intérêt économique de l’employeur.  Rien de tout cela n’existait pourtant il y a 30 ans, quand le niveau était supposé ne pas encore s’être effondré.  Rien de tout cela n’aura d’effet positif sur les apprentissages, rien de tout cela ne bénéficiera aux élèves les plus fragiles.

 

Pas plus que les groupes de niveaux, l’aménagement des horaires des élèves ou le retour en grâce du redoublement.  Les ministres présentent ces mesures comme la solution pour faire réussir tous les élèves.  Le cynisme atteint des sommets ! Les sciences de l’Éducation et les études sociologiques attestent en effet que les élèves de notre École ont besoin d’hétérogénéité et de mixité sociale, et que l’estime de soi est un élément clé de la réussite.  On sait pertinemment que ces mesures vont creuser des inégalités entre les élèves, lesquelles constituent déjà le principal point faible de notre système éducatif. Il n’est pas impossible, en outre, qu’elles génèrent davantage de harcèlement. L’UNSA-ÉDUCATION rappelle avec force son opposition à ces dispositifs.  Plutôt que de travailler à une réelle mixité sociale en demandant des comptes au privé sous contrat, l’État fait le choix de m aximiser une ségrégation interne aux collèges.  Ce n’est pas acceptable.

 

Madame la Rectrice, en Normandie comme ailleurs, 2024 ne s’annonce pas comme une bonne année pour l’École Publique, pour ses élèves et pour ses personnels.  On prétend « réarmer l’Éducation » ? On se flatte d’une École « Terre des Possibles » ?  On vise « l’épanouissement républicain » ? L’Unsa-Éducation affirme qu’il y a urgence à remplir ces formules de marketing creuses avec du concret : il faut créer des postes ; répondre au défi de l’attractivité, notamment par une réelle revalorisation et, enfin, mettre en œuvre une véritable mixité sociale, en cessant de financer un privé sous contrat dont l’existence dessert l’intérêt général.