Vingt ans, cela peut paraitre très « jeune » au regard du temps nécessaire à la mise en œuvre des politiques publiques qui doivent découler d’une loi. Mais si l’on prend le prisme de la scolarité d’un enfant en situation de handicap né en 2005 : que pouvons-nous déjà analyser des avancées obtenues ou non à l’aune de cet anniversaire ?
11 février 2005 : Adoption de la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées dite « Loi Handicap »
Fruit d’un parcours très étiré dans le temps[1], la loi de 2005 introduit, pour la première fois, dans le Code de l’action sociale et des familles, une définition du handicap et sa classification en quatre familles : moteur, sensoriel, cognitif, psychique.
En se fondant sur le principe du droit à l’égalité des chances, la loi a réaffirmé que les personnes en situation de handicap ont les mêmes droits que tout.e citoyen.ne dans tous les aspects de la vie via le renforcement et la mise en place de dispositifs visant à favoriser l’inclusion et l’insertion.
Accès à la scolarité en milieu ordinaire : un projet trop ambitieux ?
La loi de 2005 modifie substantiellement le code de l’éducation par ces termes : « Pour satisfaire aux obligations qui lui incombent en application des articles L. 111-1 et L. 111-2, le service public de l’éducation assure une formation scolaire, professionnelle ou supérieure aux enfants, aux adolescents et aux adultes présentant un handicap ou un trouble de la santé invalidant. Dans ses domaines de compétence, l’Etat met en place les moyens financiers et humains nécessaires à la scolarisation en milieu ordinaire des enfants, adolescents ou adultes handicapés. »
En appui sur la création des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), un enfant porteur de handicap né en 2005 peut donc désormais bénéficier d’une scolarisation dans son école de référence, c’est à dire dans l’école publique du secteur géographique dans lequel il vit. Dans les faits, le parcours des familles concernées est bien plus complexe et les chiffres démontrent qu’une loi, aussi bien intentionnée soit-elle, ne suffit pas si elle ne se traduit pas dans le déploiement des moyens suffisants à son exécution.
Une scolarisation parcellaire des enfants en situation de handicap
Si l’on se réfère uniquement aux chiffres, on ne peut que constater la nette augmentation du nombre d’élèves en situation de handicap accueillis en milieu ordinaire : entre la rentrée 2005 et celle de 2024, ils ont en effet triplé, passant de 151 500 à 534 900[2].
Cependant, cette évolution positive sur 20 ans masque une réalité bien plus contrastée. En effet, selon la nature des troubles, la scolarisation en classe ordinaire passe de 86% pour les élèves ayant des troubles du langage ou de la parole à 47% pour les élèves porteurs de troubles intellectuels ou cognitifs, ces derniers étant plus fortement scolarisés en classe spécialisée ULIS (école ou collège)[3]. L’autre réalité occultée par cette évolution positive est la part de l’enseignement privé dans l’accompagnement du handicap en milieu ordinaire. Étonnamment à ce sujet il existe peu de chiffres, les derniers comparatifs globaux datent de 2011[4] : en primaire le public accueillait 90% des élèves en situation de handicap et 84,5% dans le secondaire. Au détour d’un document de travail édité en 2020[5], un seul tableau dissociant la répartition entre public et privé indique que ce dernier représente moins de 7% des effectifs accueillis dans les dispositifs ULIS du primaire en 2018-2019.
Un accompagnement des équipes éducatives insatisfaisant
La Loi prévoyait dans son déploiement que « Les enseignants et les personnels d’encadrement, d’accueil, techniques et de service reçoivent, au cours de leur formation initiale et continue, une formation spécifique concernant l’accueil et l’éducation des élèves et étudiants handicapés et qui comporte notamment une information sur le handicap tel que défini à l’article L. 114 du code de l’action sociale et des familles et les différentes modalités d’accompagnement scolaire. »
En ce qui concerne les enseignant.es, le passage des IUFM[6] devenus des INSPE6 sous tutelle des Universités a entrainé la transformation de la formation initiale avec un recentrage sur la didactique des disciplines et ce, au détriment d’une meilleure connaissance des élèves, de leur développement et in fine, des spécificités liées aux différents handicaps. La formation continue dans le primaire, quant à elle, pâtit depuis de nombreuses années, d’un très fort ciblage des matières « fondamentales » que sont le français et les mathématiques, régulièrement citées par les politiques au regard des résultats aux évaluations nationales et internationales.
Pour les personnels non enseignants intervenant auprès des élèves porteurs de handicap, désormais dénommés AESH[7], ces derniers peuvent prétendre à une formation initiale de 60 heures et participer aux plans de formation proposés par les académies, ainsi qu’aux formations nationales. Dans les faits, la rémunération faible n’encourage pas les agent.es à prendre sur leur temps personnel pour poursuivre au-delà du minimum pris en charge par le département recruteur.
Dans ces contextes, force est de constater que les personnels ne bénéficient aucunement de la formation nécessaire et suffisante à laquelle ils pourraient prétendre : dans une étude menée en 2016[8], seulement 24% des enseignants de classe ordinaire et 22% de ceux d’ULIS sont satisfaits ou très satisfaits des opportunités de formation qui leur sont données.
Notons enfin que les AESH, personnels indispensables, qu’ils accompagnent de manière individuelle ou collective les élèves dont ils ont la charge, ne sont devenus visibles dans les enquêtes de la DEPP portant sur le bien-être[9] au travail qu’en 2023 !
Un bilan mitigé symptomatique d’un mal-être scolaire grandissant
Cette reconnaissance tardive des AESH est symptomatique d’un système qui, au nom de l’obligation scolaire, se doit de fonctionner, quels qu’en soit les conséquences. Et malheureusement, les personnels éducatifs ne sont pas les seuls à faire les frais d’une organisation fonctionnant à rebours : définir les besoins après coup, c’est mettre en difficulté les familles des élèves à accueillir. La lourdeur des procédures pour faire reconnaître et caractériser le handicap dont leur enfant est potentiellement porteur, l’absence de moyens médicaux et paramédicaux pour poser les diagnostics ou élaborer un projet de soin, le nombre de postes vacants d’enseignants référents, pierre angulaire du dispositif d’inclusion scolaire, sont autant de facteurs aggravant le désarroi des familles pour lesquelles l’école est parfois le seul lieu de répit.
De plus, le soin prévalant sur le scolaire, les enseignant.es sont autant devenu.es des gestionnaires de plannings que des organisateur.trices de réunions ou des coordinateur.trices de parcours de soin devant redéfinir pour chaque élève accueilli un projet d’enseignement personnalisé. Il ne s’agit pas ici de dévaluer l’accompagnement individuel mais de questionner la faisabilité au regard des conditions d’exercice en milieu ordinaire : avec une moyenne de 22 élèves par classe en primaire, 26 au collège, 30 au lycée, et un accroissement global de l’hétérogénéité des élèves[10], comment s’assurer que tous avancent ensemble en tenant compte du rythme et des besoins de chacun ?
Par l’égalité des droits et des chances, viser la participation et la citoyenneté de toutes et tous
La Loi Handicap est fondée sur les principes généraux de non-discrimination et de libre choix de son projet de vie par chacun.e : cependant, n’est-ce pas le principe à défendre pour tout élève ? Cependant, comment un enfant porteur de handicap ou non né en 2005, ayant tenté de mener sa scolarité en milieu ordinaire est-il préparé à son entrée dans la vie active des adultes ? Est-ce que l’Ecole a des moyens suffisants pour accompagner décemment tous ses élèves sans en laisser aucun au bord du chemin ? Faire société signifie reconnaître à chacun une place dans le collectif, mais est-ce à l’Ecole de porter seule ce projet d’inclusion ? La reconnaissance du handicap et surtout l’insertion des personnes en situation d’exclusion méritent bien plus que ces 20 bougies à souffler.
[1] Pour un historique, voir : Jacqueline Roca, De la ségrégation à l’intégration. L’éducation des enfants inadaptés de 1909 à 1975, CTNERHI, 1992.
[2] Cf. « L’état de l’Ecole 2024 » et « Note d’information n°07.23, mai 2007 – La scolarisation des enfants et adolescents handicapés », DEPP
[3] ULIS : Unité Locale d’Inclusion Scolaire
[4] Cf. Note d’information n° 12.10, mai 2012 – La scolarisation des jeunes handicapés, DEPP
[5] Cf. Document de Travail 2020 S01 Les élèves en situation de handicap, DEPP
[6] IUFM : Institut Universitaire de Formation des Maîtres / INSPE : Institut National Supérieur du Professorat et de l’Éducation
[7] AESH : Accompagnant des élèves en situation de handicap
[8] Cf. Note d’information n° 18.26 Octobre 2018 – Les enseignants accueillant des élèves en situation de handicap à l’école, DEPP
[9] Note d’Information n° 24.03, janvier 2024 – Bien-être au travail des personnels de l’éducation nationale, DEPP
[10] Cf. L’état de l’École 2024, DEPP
Centre de Recherche de Formation et d'Histoire sociale - Centre Henri Aigueperse - Unsa Education