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SE-UNSA AIX-MARSEILLE


 Par SE-UNSA AIX-MARSEILLE
 Le  mercredi 13 mai 2015

Cette réforme du collège est un pas de plus vers un collège plus « unique », plus juste et plus performant.

 

Maya AKKARI fondation Terra Nova et Caroline VELTCHEFF fondation Terra Nova – tribune parue dans Libération le 12 mai 2015

L’opinion publique française est convaincue que notre collège est «unique» depuis les années 70. Plus précisément, depuis la loi Haby qui fête, cette année, ses 50 ans et qui a sonné le glas des filières à l’entrée de la classe de 6e.

Avant 1975, il y avait donc au collège deux voies (ou filières). L’une, le petit lycée, était réservée aux enfants des élites sociales et débouchait sur le lycée général ; l’autre, le cours complémentaire, était destiné aux enfants du peuple et menait vers les formations professionnelles. Des passerelles permettaient à une infime minorité d’élèves brillants, dits «méritants» et issus des classes populaires, de passer d’une voie à une autre. Mais ces cas particuliers sont l’arbre qui cache la forêt, puisqu’à niveau scolaire égal les enfants de riches et de pauvres n’avaient majoritairement pas accès aux mêmes filières, ni aux mêmes enseignements ni aux mêmes orientations. Lorsqu’on était pauvre, il fallait être meilleur que les autres, meilleur que le petit camarade enfant de riches ou de lettrés pour accéder aux voies «royales».

La loi Haby a donc été une loi d’égalité, puisqu’elle a officiellement aboli les filières de l’entre-soi social à l’entrée du collège. Elle a marqué un pas important vers une modernisation du collège en France, une amélioration de la qualification de la population nécessaire économiquement.

Toutefois, après cette avancée historique vers une plus grande démocratisation de l’accès à la réussite scolaire, force est de constater que notre modèle est resté depuis figé, et a peu évolué contrairement à des nations économiquement comparables à la nôtre (Europe du Nord; Sud-Est asiatique; Canada, etc.), qui ont de nouveau modernisé leur système dans les années 80.

Nous sommes ainsi bloqués depuis un demi-siècle dans une situation que l’on pourrait qualifier de «ni-ni». Ni collège moderne, réellement «unique», avec une sectorisation scolaire qui permette plus de mixité sociale et scolaire dans les établissements, des classes hétérogènes au sein des établissements, des contenus d’enseignement, des dispositifs pédagogiques et une organisation du travail des enseignants adaptés à l’hétérogénéité des élèves par davantage de personnalisation et d’individualisation des apprentissages. Ni collège «à l’ancienne» clairement filiarisé avec des voies différentes en fonction du niveau scolaire (ou de l’origine sociale, mais cela plus personne n’est prêt à l’accepter !) comme cela était le cas en Allemagne jusqu’aux années 2000.

Bien que nous n’ayons officiellement plus en France depuis cinquante ans de filières au sens strict du terme, la sectorisation dite «stricte avec dérogations» ne permet pas une réelle mixité scolaire dans les établissements. Le jeu d’options, a priori louable pour éviter un collège monochrome, (bilangues, sportives, musique, etc.) a servi l’entre-soi des familles initiées et est d’une telle complexité qu’il a été un frein à une égale répartition dans les classes des différentes typologies d’élèves. Sans réelle mixité entre les établissements ni en leur sein même, on se retrouve donc dans la majorité des cas face à des regroupements d’élèves d’un même niveau scolaire dès la 6e dans des classes à profil qui, de fait, créent des filières dites «cachées» (1).

Par ailleurs, la tentation du petit lycée a aussi conduit l’ensemble du système à tendre vers l’abstraction : le collège en France est très notionnel et les enseignements, peu fondés sur des projets, oublient en cours de route d’enseigner aux élèves des compétences pragmatiques et concrètes. L’émiettement des enseignements au collège (11 à 12 disciplines dès la 6e !) défavorise les enfants les moins autonomes et les moins soutenus, bien souvent les plus fragiles socialement. Donner du sens aux contenus, appréhender la transversalité s’acquiert, dans le système actuel, malheureusement plus auprès des familles qu’à l’école, ce qui est source d’inégalités.

Ainsi, les sociologues nous disent qu’à leur sortie de 3e, et toutes choses égales par ailleurs, deux enfants, l’un ayant été scolarisé dans un collège de centre-ville dans une classe bi-langues avec option latin, l’autre, dans un collège d’une banlieue populaire ou de zone rurale dans une classe lambda, ces deux enfants n’auront pas été confrontés aux mêmes apprentissages ni aux mêmes exigences ; que lorsqu’ils se retrouvent dans un même lycée, ils n’ont statistiquement pas les mêmes chances de réussite. On peut donc affirmer que le collège n’a jamais été pleinement «unique» en France.

Or, toutes les études, tant nationales qu’internationales, convergent pour nous dire que dans un système scolaire, plus le collège est unique, plus il l’est longtemps, plus il est globalement performant : l’élite s’élargit, le nombre d’élèves en grande difficulté se réduit et les résultats d’ensemble augmentent. L’enjeu actuel pour nous, en France, n’est pas tant de protéger la petite élite que nous avons (et comparativement aux autres nations, on ne le dit pas assez, celle-ci n’est pas assez fournie) que de l’élargir en «poussant» l’ensemble du système vers le haut. C’est une idée difficilement compréhensible par nous toutes et tous qui sommes issus de ce modèle filiarisé, et dont l’organisation prend si peu en compte la question de l’hétérogénéité scolaire. Ce n’est pas une heure de remédiation par-ci ou par-là, une heure de dédoublement en maths et en français de temps à autre ou le peu de formation continue offerte aux enseignants qui va permettre une réelle prise en compte des élèves dans leur diversité. Penser le collège unique de demain, c’est penser avec un autre logiciel.

La suppression des classes bilangues et des options linguistiques, qui ont été détournées de leur propos initial et qui sont malheureusement devenues un frein à une égale répartition des élèves en fonction de leurs caractéristiques entre les classes d’un même établissement, est donc un signe fort de volonté politique pour en finir avec ces filières cachées si peu efficaces. La circulaire du 7 janvier, qui invite les établissements scolaires d’un même bassin de recrutement à travailler ensemble afin d’avoir plus de mixité scolaire dans les établissements, l’est aussi. Les heures - en petits groupes, d’accompagnement personnalisé (AP) - proposées aussi dans le cadre de cette réforme permettront un meilleur accompagnement des élèves dans leur diversité ; nous espérons que celles des enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) verront les élèves donner plus de sens à leurs apprentissages. La focalisation sur le «I», à savoir l’interdisciplinarité, est injuste. C’est le «P», comme pratique, qui doit attirer l’attention en premier lieu : des enseignements pratiques qui conduisent les élèves à utiliser leurs connaissances pour les mettre en œuvre dans des projets, pour des réalisations concrètes, permettant d’apprendre en faisant, en fabriquant, en inventant. Si la démarche pratique est première, alors la question de l’interdisciplinarité vient d’elle-même : il ne s’agit de faire de l’interdisciplinarité pour faire de l’interdisciplinarité, mais bien de la motiver parce qu’elle s’impose pour réaliser, fabriquer, inventer quelque chose. C’est donc très différent des enseignements d’exploration du lycée, car le «P» introduit une différence majeure pour le collège, pour accrocher, motiver des élèves qui pourraient être perdus dans l’abstraction pure.

Cette réforme du collège est donc indéniablement un pas de plus vers un collège plus unique, plus juste et plus performant. Elle permettra plus de mixité, et dans les établissements et dans les classes, tout en tenant compte de la diversité des élèves, et donnera des outils concrets pour une meilleure gestion de cette mixité (ou hétérogénéité). Rien n’interdit dans le cadre de l’AP et des EPI de proposer des EPI avec une langue étrangère comme support, de faire des groupes de besoins, de compétences. En effet, là aussi toutes les études convergent pour dire que plus on filiarise tard, plus le système est efficace. Le tout est de se donner les moyens de gérer les élèves dans leur diversité. Nous regrettons cependant qu’il n’ait pas été mis fin dans le cadre de cette réforme à la 3e prépa professionnelle, elle aussi une filière «cachée».

Reste cependant une réflexion urgente à mener sur la dimension protectrice de la «classe» d’une part, et sur l’organisation du travail des enseignants d’autre part. Les EPI et l’AP se feront-ils en interclasses (regroupement d’élèves de différentes classes pour ces enseignements) ou en intraclasses ? Qu’est-ce qui nous garanti que le choix des EPI ne sera pas l’occasion d’une nouvelle filiarisation «cachée» ? Pour finir, travail en équipe, formation continue, soutien aux établissements et aux équipes sont autant d’éléments de management et d’organisation qui restent devant nous.

(1) Cf. Démocratiser l’école : vers une nouvelle organisation des classes et des établissements, Terra Nova, sept. 2014.