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Sur cette réforme, on a tout oublié du 11 janvier… sauf la caricature
Article publié le mercredi 13 mai 2015.
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Tribune de Philippe PRADEL, proviseur à Paris, parue dans Libération du 12 mai 2015

 

Depuis quelques semaines, d’improbables convergences se constituent contre la rĂ©forme du collège, et les conservateurs de tous bords se dĂ©chaĂ®nent Ă  grand bruit pour que rien ne bouge. Ce sont les enfants gâtĂ©s de la RĂ©publique, ceux Ă  qui l’école a offert de rejoindre l’élite ou, plus souvent, de s’y maintenir. A ce titre, ils ont accès aux mĂ©dias, et ne manquent pas d’en profiter, pour dĂ©fendre, coĂ»te que coĂ»te, une organisation scolaire qui les a servis.

«CoĂ»te que coĂ»te», il n’y a pas d’autres mots, car certains semblent prĂŞts Ă  tout. Accusation d’abandon du latin, du grec, de l’allemand, de l’histoire mĂŞme, ne soyons pas avares de contrevĂ©ritĂ©s. Accusation d’abandon des disciplines en faveur d’un galimatias infâme pour nourrir nos enfants de Jamel Debbouze ou d’une Ă©cole Nutella. Une association de professeurs n’hĂ©site pas Ă  comparer la ministre Ă  Al-Qaeda au Maghreb islamique, dĂ©truisant Ă  Tombouctou le Patrimoine mondial de l’humanitĂ©. Tous les coups sont permis. Il suffit de lire, en couverture d’un hebdomadaire, «le Massacre des innocents», pour comprendre qu’en trois mois, on a tout oubliĂ© de l’élan du 11 janvier… sauf la caricature !

Pourtant, il ne faut pas sortir des plus grandes Ă©coles pour comprendre que si tous les enfants de France apprennent une deuxième langue vivante un an plus tĂ´t (au lieu qu’un quart l’apprenne dès la 6e), l’enseignement des langues en sortira renforcĂ©. Ou que d’offrir Ă  tous les Ă©lèves la dĂ©couverte des langues et de la culture antiques, plutĂ´t qu’à 20% d’entre eux, est le gage d’en voir un plus grand nombre choisir ensuite de les Ă©tudier. On pourrait d’ailleurs les promouvoir sans chercher Ă  dĂ©truire la philosophie de la rĂ©forme du collège : en instaurant, pour tous ceux qui choisiraient, au lycĂ©e, une filière littĂ©raire, et pour rĂ©habiliter celle-ci, un enseignement et une Ă©preuve de langue ancienne au baccalaurĂ©at, par exemple.

Parmi les éditorialistes qui prêtent leur plume à ces entreprises, l’un d’entre eux, dont l’écharpe rouge est devenue célèbre, est relativement honnête lorsqu’il écrit : «Exigence intellectuelle, en n’envoyant que ceux qui le méritent vers le haut, en orientant les autres vers des tâches à leur niveau et en rétablissant la sélection dans toute sa saine nécessité.» Tout est dit ! Car la défense de l’allemand ou du latin ne vaut, finalement, que pour les moyens de ruser avec le système, de s’assurer l’entre-soi que permet le caractère optionnel de ces disciplines. D’ailleurs, nombreux sont ceux qui brandissent le spectre d’une préférence appuyée pour l’enseignement privé, si les filières d’élite disparaissent.

C’est donc bien l’enjeu d’une école démocratique qui est en débat. Qu’ont en commun la Finlande et bien d’autres pays réputés pour leur équité éducative ? Un objectif fort, et jamais remis en cause : construire une école fondamentale, unique, de qualité, pour tous les élèves en âge de la scolarité obligatoire. Partout, les énergies se sont alors mobilisées pour parvenir à cette démocratisation que la France, sans cesse ballottée par des courants idéologiques contradictoires, n’est toujours pas parvenue à mettre en œuvre.

Nous sommes nombreux Ă  souhaiter la refondation de l’école, et pas seulement quelques ajustements de circonstance. Une large majoritĂ© de Français est consciente que la mise Ă  l’écart du savoir de 150 000 jeunes chaque annĂ©e donne, après des dĂ©cennies d’hĂ©sitations, des millions de laissĂ©s-pour-compte qui sont le reflet d’une sociĂ©tĂ© profondĂ©ment injuste, dans laquelle nous ne nous reconnaissons pas. De nombreux Ă©lèves se sentent exclus, dès la 6e, en dĂ©couvrant que ce collège n’est pas pensĂ© pour eux. Leur expĂ©rience scolaire apparaĂ®t marquĂ©e par un sentiment d’injustice, par la frustration Ă  l’égard d’une orientation perçue comme imposĂ©e, et par l’idĂ©e que le système Ă©ducatif ne les aime pas ou les mĂ©prise collectivement. Le mal-ĂŞtre, s’il ne dĂ©bouche pas sur la rĂ©signation, se transforme plus tard en rĂ©volte : dans les citĂ©s, les vitrines des magasins explosent, et les voitures brĂ»lent.

A cet égard, la construction d’une école plus équitable est l’aspiration du plus grand nombre, et elle ne le sera qu’en accueillant les différences, et en diversifiant les modalités d’entrée dans les apprentissages.

Les enseignements pratiques interdisciplinaires sont justement l’occasion de relier des savoirs, de donner plus de sens à notre enseignement. Ce sont des leviers, des laboratoires où s’expérimentent d’autres pratiques en relation avec les programmes, faisant appel au travail collectif des enseignants et à leur expertise, avec des allers-retours entre les disciplines qui valorisent chacune d’elles. La priorité devient ainsi d’enseigner de sorte que les élèves apprennent sur le long terme.

Espérons que l’agitation médiatique qui est à l’œuvre ne détournera pas la ministre de sa route, et que sa ténacité permettra au navire de progresser, malgré les vents contraires, et de parvenir à destination. Nous comptons sur elle !

 
 
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