Le
projet de loi annoncé par le chef de l’État à l’occasion de son
discours des Mureaux le 2 octobre 2020 a été présenté en Conseil des
ministres le 9 décembre.
DĂ©cryptage...
Initialement
nommĂ© projet de « loi contre les sĂ©paratismes », la nouvelle
dénomination a subi une édulcoration manifeste. Il faut désormais
l’appeler « loi confortant le respect des principes de la RĂ©publique ».
Les 51 articles qui le composent traitent de thèmes abordés par
Emmanuel Macron, et en oublient d’autres de façon regrettable, notamment
ceux qui concernent le rĂ´le social de la RĂ©publique et la lutte contre
les ségrégations persistantes dans de nombreux territoires qui minent le
pacte républicain en formant un terreau fertile au repli religieux et
aux entrepreneurs identitaires.
Des apports justifiés
Après
l’attentat islamiste qui a visé Samuel Paty, un nouveau délit a été
introduit dans le projet de loi. Il cible la « mise en danger de la vie
d’autrui par diffusion d’informations relatives à la vie privée,
familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier
ou de la localiser ».
De même, la formation des agents publics sera renforcée. Le principe
de neutralité sera étendu aux agents de droit privé chargés d’une
mission de service public, à l’instar des personnels des CPAM (SNCF,
AĂ©roports de Paris, par exemple).
Enfin, la délivrance de
certificats de constatation de virginité, déjà proscrits par l’Ordre des
médecins, sera illégale. Pour restreindre les mariages forcés, il sera
obligatoire à l’officier de l’état civil de s’entretenir séparément avec
les futurs époux lorsqu’il existe un doute sur le caractère libre du
consentement.
Des mesures qui laissent perplexe
Toute
demande de subvention émanant d’une association fera l’objet d’un
« engagement de l’association Ă respecter les principes et valeurs de la
RĂ©publique ».
La
violation de ce contrat d’engagement rĂ©publicain a pour consĂ©quence « la
restitution de la subvention ». MĂŞme si ce point semble tomber sous le
sens, l’angle mort des associations ne demandant aucune subvention
demeure. Cet article prévoit aussi la possibilité d’imputer à une
association les agissements qui sont commis par ses membres agissant en
cette qualité. Plus largement, il serait utile de clarifier à quels
principes de la République il est fait référence, en énonçant de manière
précise des exemples d’infraction. Ici, la loi suit une ligne de crête
périlleuse, qui sépare le flanc de la liberté d’association de celui de
l’action politique.
Organisation des cultes
Les
organisations religieuses régies par la loi de 1901 sur les
associations, seront incitées à s’inscrire sous le régime de 1905 visant
les cultes, plus transparent sur le plan comptable et financier.
Cependant le projet de loi porte la possibilité pour les cultes de
posséder et gérer leur patrimoine foncier au-delà de leur fonction
cultuelle.
De plus, les legs reçus par ces associations cultuelles seront
« protĂ©gĂ©s » du droit de prĂ©emption. Bien sĂ»r, le jackpot ira aux cultes
dont le patrimoine foncier est constitué de longue date dans notre
pays.
Instruction en famille et écoles hors contrat : trop d’incohérences
Le
2 octobre, Emmanuel Macron avait indiqué que l’instruction en famille
serait strictement circonscrite à des situations médicales. Bien que ce
mode d’instruction conduise à ce que des enfants et des adolescents
soient enseignés en deçà des standards éducatifs, faute de personnels
qualifiés en nombre suffisant pour opérer les contrôles légaux, le
principe constitutionnel de liberté d’enseignement est avancé par ses
défenseurs.
Ainsi,
l’article 21 de projet de loi indique que « l’instruction obligatoire
est donnée dans les établissements ou écoles publics ou privés. Elle
peut également, par dérogation, être dispensée dans la famille sur
autorisation » (au lieu d’un rĂ©gime de dĂ©claration). Or, les motifs de
dérogation sont tellement étendus qu’il est difficile de prédire si ça
freinera l’essor de l’instruction en famille. Le projet prévoit des
dĂ©rogations pour « l’état de santĂ© de l’enfant ou son handicap, la
pratique d’activités sportives ou artistiques intensives, l’itinérance
de la famille en France ou l’éloignement géographique d’un établissement
scolaire, l’existence d’une situation particulière propre à l’enfant,
sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de
leur capacité à assurer l’instruction en famille dans le respect de
l’intĂ©rĂŞt supĂ©rieur de l’enfant… ».
L’article
22 évoque un énième durcissement du contrôle des établissements privés
hors-contrat qui renforce les modalités de fermeture des sites posant
problème ainsi que ceux ouverts illégalement.
Pour
le SE-Unsa, le vrai problème est que la législation française n’exige
aucune autorisation des pouvoirs publics pour ouvrir une Ă©cole
hors-contrat. Une déclaration d’ouverture est suffisante, et elle ne
contient ni la transmission du projet pédagogique de l’établissement, ni
l’identité et les qualifications des personnels chargés de le mettre en
Ĺ“uvre. La seule demande sur le plan scolaire est de faire rĂ©fĂ©rence Ă
l’acquisition progressive des exigences du socle commun de
connaissances, de compétences et de culture. Même si l’autorité
académique ou la collectivité peuvent s’opposer à son ouverture, cela
reste difficile Ă justifier sans ces informations cruciales.
Dès
lors, comment comprendre que demain, une autorisation soit nĂ©cessaire Ă
des parents voulant scolariser leur enfant en famille, alors que pour
ouvrir une école hors-contrat une simple déclaration de ses créateurs
est suffisante ?
Tout cela
s’explique par le lobbyisme intensif des réseaux d’écoles hors-contrat,
souvent proches des milieux catholiques intégristes, et des fondations
qui les chapeautent. Ce sont ces réseaux qui ont empêché, par un recours
devant le Conseil constitutionnel, qu’un régime d’autorisation
d’ouverture des établissements privés hors-contrat soit adopté en
2016-2017. C’est regrettable pour tous les enfants instruits en dehors
de la liberté de conscience.
Une loi sans volet social, Ă©conomique et Ă©ducatif : des impasses regrettables
Le
prĂ©sident de la RĂ©publique a dĂ©clarĂ© le 2 octobre aux Mureaux « notre
RĂ©publique a laissĂ© faire la ghettoĂŻsation ». Dès lors, comment
comprendre qu’au-delà du fait que cette problématique n’ait plus jamais
été évoquée depuis lors, le projet de loi soit mutique sur ce
point crucial ?
Tout
se passe comme si le projet de loi voulait s’attaquer aux fruits du
radicalisme religieux, notamment le fondamentalisme islamiste, sans
s’attaquer à tout ce qui compose son terreau fertile, notamment sur le
volet social et scolaire.
Sur
le plan scolaire, le Centre national d’étude des systèmes scolaires
(Cnesco) avait tiré la sonnette d’alarme en 2015 en exhortant les
pouvoirs publics à agir en direction des 100 collèges ghettos
répertoriés, de manière à lutter plus efficacement contre les inégalités
vécues dès l’école.
En effet, à ces cent collèges peuvent s’ajouter toutes les situations où
il est compliqué pour les enseignants et personnels éducatifs de
garantir à chacun l’accès à une éducation de qualité dans un
environnement péri-éducatif épanouissant. Depuis, toutes les mesures
mises en œuvre ont été arrêtées et cette séparation de la jeunesse est
une réalité enracinée dans notre pays.
Pour
le SE-Unsa, c’est une faute de laisser perdurer, les bras ballants,
l’archipellisation de la jeunesse, dans des établissements ségrégués ou
dans des établissements à accès préférentiel aux privilégiés, comme la
plupart des établissements d’enseignement privé sous contrat, ou encore
les EPLE internationaux crĂ©Ă©s par la loi « pour une École de la
confiance » sans oublier toutes ces entorses exercĂ©es au plan local,
comme les dérogations scolaires de complaisance.
Comment
expliquer les regrets quant à la mixité sociale et scolaire perdue,
tout en laissant hors de contrĂ´le son principal acteur, « quoiqu’il en
coĂ»te » ? Il est grand temps que soient Ă©valuĂ©s le coĂ»t global et
service rendu Ă la Nation de la politique de financement public des
établissements d’enseignement privés.
L’avis du SE-Unsa
Ce
projet contient des ajustements juridiques bienvenus, notamment pour ce
qui concerne les discours de haine par voie numérique ou la meilleure
protection des agents publics. Ces aspects relèvent du périmètre de la
sécurité publique qu’il est nécessaire de renforcer pour lutter contre
les violences et le terrorisme. Mais dans l’ensemble, ce projet de loi
est bancal car il relève d’un esprit républicain sélectif qui ne
rĂ©pondra pas (ou de manière très limitĂ©e) aux dĂ©fis qui se prĂ©sentent Ă
société française.
Alors
que la mixité sociale est considérée comme un puissant levier de
réussite scolaire, rien n’est envisagé pour rassembler des enfants et
des adolescents trop souvent éloignés par des ségrégations
résidentielles, économiques, culturelles et religieuses… les pouvoirs
publics et plus particulièrement le ministère de l’Éducation nationale
demeurent inactifs sur ce point. En outre, l’efficacité des mesures
restrictives en direction de l’instruction en famille restent à prouver
au regard de l’étendue des dérogations possibles. Quant aux
établissements privés hors-contrat, même si un durcissement des
contrôles est prévu, les pouvoirs publics seront toujours placés en
situation difficile, voire de fait accompli, puisqu’aucune autorisation
n’est nécessaire à leur ouverture.
Pour
le SE-Unsa, il est regrettable que ce projet de loi n’exprime pas la
nécessité de renforcer l’École publique et ses agents, en réaffirmant
notamment son importance capitale pour la cohésion de la société.
Enfin,
ce projet de loi ne confortera pas la République dans sa plénitude. En
effet, alors que le premier article de la constitution indique que « la
France est une République indivisible, laïque, démocratique et
sociale », ce dernier attribut n’est hĂ©las pas cultivĂ©. Dès lors, on a
le sentiment que ce projet de loi s’adresse à la partie la plus
favorisée et éduquée de la société de manière à contenir, sans bourse
délier, les agissements d’une autre partie de la population avec
laquelle elle n’a plus rien en commun, mais dont elle redoute les
dérives.
Ce projet de
loi va poursuivre son cheminement législatif dès le mois de janvier. Le
SE-Unsa, avec le Comité national d’action laïque (Cnal) interviendra
auprès des parlementaires pour faire valoir ses propositions afin
d’améliorer ce texte en profondeur.