La crise sanitaire a d’abord été marquée par la période du confinement où les acteurs de terrain ont tenté d’inventer une continuité pédagogique à distance la plus efficace possible, sans pour autant éviter le décrochage d’une partie des élèves. Le retour à l’école se fait dans le cadre d’un protocole sanitaire très strict qui impose de prioriser l’accueil des élèves mais selon des critères qui sont facteurs de confusion : d’une part le volontariat affiché des familles et d’autre part la définition de publics de natures très différentes, telles que l’activité professionnelle des parents et la situation de décrochage des élèves. La situation est d’autant plus complexe que les équipes pédagogiques doivent articuler collectivement et dans l’urgence un enseignement à la fois en présentiel et en distanciel.
Dans le même temps, le ministre de l’Éducation nationale déclare vouloir promouvoir le développement dans le temps scolaire d’activités 2S2C (sport, santé, culture, citoyenneté) en ouvrant largement les portes de l’école à des intervenants de toute nature : clubs sportifs, artistes mais aussi organismes marchands bien au-delà des associations complémentaires de l’école traditionnellement agrées pour ce faire. L’Education nationale souhaite par ailleurs déléguer l’organisation de cette partie du temps scolaire aux collectivités territoriales, pour assurer ces activités 2S2C. Les collectivités peuvent à leur tour, les déléguer aux intervenants évoqués ci-dessus. En effet ce dispositif prévoit la signature d’une convention entre une collectivité et l’Education nationale, visant à mettre en place des « activités sur le temps scolaire qui se déroulent dans le prolongement des apprentissages et en complémentarité avec l’enseignement. » La annonçont les 2S2C notre indique également que lorsque des intervenants seront à l’oeuvre, « Ils assureront leur intervention sous la responsabilité pédagogique des enseignants ».
À l’heure des remises en question du système politique, économique, social et éducatif, les choix qui seront faits pour remettre liant et sens dans le projet éducatif, préfigureront la société qui en émergera.
A ce stade, se posent trois types de problèmes préoccupants :
· L’externalisation d’activités (sport, culture, citoyenneté) qui doivent rester au cœur des pratiques pédagogiques de l’école et des enseignants et qui participent du socle des savoirs fondamentaux, en complémentarité de ce qui peut se faire en dehors de l’école
· L’irruption dans le temps scolaire d’intervenants sans aucune garantie pédagogique, ni conditions d’agrément qu’offre depuis plusieurs décennies les réseaux d’éducation populaire, partenaires de l’école publique
· Le risque d’être source d’immenses inégalités tant les moyens dont disposent les villes sont disparates. Aux situations financières qui sont antérieures à la crise sanitaire, il faut en effet ajouter l’évolution différenciée de l’épidémie sur le territoire. Ca n’est pas la compensation financière annoncée par le ministre, qui est de l’ordre de 110€ par jour et par groupe de 15 enfants, qui rattrapera ces inégalités. Les coûts réels, chiffrés par le RFVE, sont en effet de plus du double de cette somme.
A ce jour, près de 200 municipalités ont signé une convention avec l’Education nationale, mais toutes les communes ne sont pas logées à la même enseigne en terme de disponibilité des locaux, d’équipements sportifs, de fonds suffisants et de ressources en personnel susceptibles d’animer les 2S2C. Des inégalités d’accès à ces espaces éducatifs, et des impossibilités de mise en oeuvre sont à envisager ; des remontées font état de mises en œuvre où la concurrence d'accès aux équipements entre le 2S2C et les enseignements donne priorité au 2S2C privant les enseignants de leurs possibilités d'exercer !
Plus grave, lors de son intervention au Sénat le 19 mai dernier, Jean-Michel Blanquer indique que cette organisation devrait préfigurer la rentrée de septembre 2020. Ces déclarations soulèvent une vive inquiétude parmi les représentants de collectivités territoriales, les syndicats enseignants, les fédérations d’éducation populaires et les représentants de parents d’élèves réunis dans notre collectif.
Si la crise sanitaire a de fait obligé à modifier le fonctionnement de l’Ecole, l’institutionnalisation de mesures conjoncturelles prises en urgence, remettrait en cause les principes fondateurs de notre école républicaine. Nous savons depuis longtemps que l’externalisation d’une partie du travail scolaire dans les familles est une source d’inégalités, ce que la crise, à travers l’école à distance, n’a fait que confirmer en amplifiant ces fractures.
Nous croyons fermement à une approche globale de l’Education qui s’appuie sur la complémentarité éducative entre l’Ecole et ses partenaires. Nous pensons que l’abandon de l’école obligatoire, la réduction des temps scolaires, et la délégation d’une partie de ses missions ne répondent nullement à cette complémentarité et font courir un grave danger au service public de l’éducation.
Le ministre persévère sa voie de hiérarchisation des enseignements, entre ceux qui seraient fondamentaux, donc scolaires, d’autres enseignements qui en seraient dissociables. Même si nous ne pensons pas que le 2s2c porte un risque d’externalisation d’apprentissages à des collectivités, cette lente inoculation d’idées va à contresens de l’évolution historique de notre système scolaire, et enracine de fausses références sur la nature même de l’Ecole républicaine.
Jules Ferry déclarait en 1882 «Tous ces (enseignements) accessoires auxquels nous attachons tant de prix, que nous groupons autour de l’enseignement fondamental et traditionnel du ‘’lire, écrire, compter’’: les leçons de choses, l’enseignement du dessin, les notions d’histoire naturelle, les musées scolaires, la gymnastique, les promenades scolaires, le travail manuel de l’atelier placé à côté de l’école, le chant, la musique chorale. Pourquoi tous ces accessoires? Parce qu’ils sont à nos yeux la chose principale, parce que ces accessoires feront de l’école primaire une école d’éducation libérale. Telle est la grande distinction, la grande ligne de séparation entre l’ancien régime, le régime traditionnel, et le nouveau.»
L’Ecole est l’institution ou s’articule le commun et le particulier. Elle ne peut pas se résumer à la seule acquisition de savoirs fondamentaux conçus de façon réductrice.
Le pédagogue ne se confond pas avec le support pédagogique. On ne le remplace pas par un support de transmission, encore moins unique en cas de besoin, comme le numérique par exemple.
L’Ecole est un lieu éminemment social, un lieu de cohésion, un lieu de vivre-ensemble qui développe la collaboration et la solidarité. Elle ne se réduit pas à l’instruction, elle éduque. C’est sous cette forme qu’elle doit être préservé et développée.
La capacité à créer, à innover, à imaginer doit être favorisée dans les politiques nationales et locales d’éducation formelle et informelle, de culture et de soutien aux pratiques artistiques et sportives, d’information, de formation et de recherche, de soutien à la vie associative.
C’est pour cela que les signataires de cet appel se mobiliserons solidairement pour défendre, redéfinir et promouvoir une école d’après, œuvrant réellement à la réussite de tous les enfants, dans le cadre d’un projet éducatif global conçu à une échelle territoriale pertinente et prenant en compte l’ensemble des temps éducatifs de l’enfant, dans le cadre d’un véritable service public éducatif non soumis au secteur marchand et mobilisant l’ensemble de la communauté éducative, particulièrement les parents, les enfants et les jeunes, dans un pilotage partagé entre l’éducation nationale et les collectivités territoriales, prenant appui sur les réseaux associatifs de l’éducation populaire.