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SE-UNSA 80


 Par SE-UNSA 80
 Le  mardi 3 octobre 2023

Cours d’empathie contre le harcèlement : de quoi s’agit-il ?Nouvel article

 

Le ministre a annoncé que les « cours d’empathie », appelés également des « cours du respect de soi et de l’autre », seront généralisés progressivement dans les écoles françaises dans moins d’un an. Il a précisé vouloir s’inspirer de ce qui existe dans d’autres pays, notamment au Danemark. En quoi cela consiste-t-il et d’abord qu’est-ce-que l’empathie ?

Définition de l’empathie

Omar Zanna, maître de conférences en sociologie et en psychologie à l’université du Maine, définit la notion d’empathie comme étant la compréhension de l’autre, à distance.
Il ne s’agit pas de “se mettre à la place de l’autre” comme on l’entend souvent mais d’avoir la capacité d’appréhender le paysage intérieur de l’autre sans s’y confondre. On n’est pas l’autre, mais à distance de l’autre on peut le comprendre.
Ce n’est pas non plus la contagion émotionnelle qui mène à la compassion où il n’y a plus de différence entre la douleur de l’autre et nous.
 

Toujours selon Omar Zanna, l’empathie comporte deux dimensions complémentaires : l’empathie émotionnelle et l’empathie cognitive. 

L’empathie émotionnelle est celle qui nous permet d’identifier les émotions d’autrui, l’empathie cognitive c’est notre capacité à comprendre autrui qui ne nécessite pas forcément une dimension émotionnelle. C’est cette dernière que les enseignants activent principalement pour accompagner leurs élèves.
L’empathie mature, qui s’installe vers 5-6 ans, est une combinaison de ces deux empathies. 

L’empathie se développe davantage et plus complètement quand on est amené à côtoyer des personnes différentes. Le manque d’empathie provoque une objectivation de l’autre qui disparaît alors de notre paysage mental et devient “une chose”. Enfin Omar Zanna insiste sur la dimension corporelle, l’empathie doit s’éprouver physiquement, en transitant par le corps pour s’imprimer au-delà de la cognition.  

La méthode danoise

La méthode danoise évoquée par le ministre se nomme “Fri For Mobberi” que l’on peut traduire par “sans brimades” ou “libéré de l’intimidation”. Elle est axée autour de quatre valeurs fondamentales qui sont enseignées dans des moments dédiés, et même au-delà, dans tous les temps de l’enseignement : la tolérance, le respect, le soin et le courage. L’empathie n’en est qu’une des composantes. 

Elle vise à développer les compétences psychosociales dès le plus jeune âge, à favoriser les interactions positives dans le groupe en promouvant un climat scolaire inclusif et respectueux. 

Actuellement expérimentée par la Ligue de l’Enseignement en France, la méthode est composée de divers outils pour les professionel·les, les parents et les enfants : guides, cartes dilemmes, planches de discussion, livrets d’activité…
Elle suppose une formation préalable de 6 heures à destination de la communauté éducative (professionnel·les et parents).

Elle comporte un volet nommé “massage” mais le terme est inadapté, car il ne s’agit pas que les enfants se fassent des massages à proprement parler, mais qu’ils s’amusent en dessinant avec leurs doigts dans le dos les uns des autres. Ces contacts physiques ne sont pas obligatoires, mais permettent d’intégrer l’aspect corporel mentionné par Omar Zanna et de rendre concrète la notion de consentement. Cette dénomination peut générer des réticences chez nous, le toucher est plus libre et plus développé au Danemark. On voit dans cette vidéo de quel type d’exercice il s’agit. 

Et en France ? 

Il existe aussi en France des exercices pour développer l’empathie chez les élèves comme le jeu des 3 figures du psychologue Serge Tisseron qui consiste en un jeu théâtral original centré sur les 3 figures de l’agresseur, de la victime et du tiers, animé chaque semaine par les enseignants après une formation initiale de 18h. Il est adapté pour les élèves de la MS à la 6e incluse.
Pour les plus grands, on a le jeu des mousquetaires d’Omar Zanna, où les enfants sont en équipe de quatre. Trois d’entre eux sont dans une position inconfortable, l’un assis avec une jambe tendue en l’air, l’autre tenant un ballon à bout de bras etc. Le quatrième est le joker, il court autour de ses coéquipiers et les observe. Il doit remplacer celui qui en a besoin avant qu’il lâche sa posture. Dans une première version du jeu, les enfants peuvent parler, dans une seconde, le joker doit remplacer un camarade en évaluant visuellement ses difficultés. À l’issue du jeu, chacun s’exprime sur la façon dont il a vécu la séquence.  

On voit dans ces deux exemples que le corps est en jeu, sans l’aspect “massage” qui ne nous est pas forcément familier en France. 

Questions en suspens et points de vigilance


Comment et quand les enseignants vont-ils être formés pour être prêts dans moins d’un an à mener des séances de ce type avec leurs élèves ? Alors que l’annonce a été faite qu’il ne devrait plus y avoir de formation sur le temps de cours et à un moment où les programmes de formation continue de l’année sont déjà définis, cela ne va pas être simple !

Sur quels temps ces cours vont-ils avoir lieu ? Sur l’EMC peut-être, mais ce n’est pas forcément compatible avec le travail en cours du conseil des programmes pour recentrer l’EMC autour des valeurs et principes de la république et de l’éducation aux médias et à l’information. 

Enfin il va falloir se montrer très vigilant à ce que ces cours ne deviennent pas un nouveau réceptacle pour les pratiques se réclamant de la psychologie positive et du développement des compétences psychosociales mais qui ont plus à voir avec des pratiques de développement personnel, voire carrément new-age ou ésotériques.
Ce n’est pas en prônant un bien-être individuel “obligatoire” via des pratiques qui n’ont pas leur place dans une école laïque, que nous allons agir positivement sur les dynamiques de groupe à même d’enrayer les dynamiques de harcèlement !