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SE-UNSA 30


 Par SE-UNSA 30
 Le  jeudi 28 novembre 2019

L’oral, un enjeu primordial en maternelle

 

Les compétences orales sont sélectives dans un grand nombre de domaines de la vie quotidienne et professionnelle et leur apprentissage est un enjeu déterminant pour l’égalité des chances.  Les jeunes enfants apprennent à parler spontanément mais l’École est chargée de transmettre le « langage légitime », celui de la culture scolaire et des savoirs savants.

Des recherches montrent que la source de l’échec scolaire serait langagière et que la réussite dans les apprentissages serait corrélée à la capacité à « bien parler » le français. Le lien entre difficultés scolaires et compétences linguistiques socialement déterminées se tisse dès les premiers apprentissages à l’école maternelle pour se renforcer au début de l’école élémentaire. Un des rôles de l’école est donc de permettre aux élèves de maîtriser des registres de langages adaptés aux situations et contextes auxquels ils sont confrontés.

La pédagogie de l’oral reste malheureusement un parent assez pauvre de la formation des enseignants, qu’elle soit initiale ou continue.

En fin d’article, retrouvez deux conférences, l’une de Pierre Peroz et la pédagogie de l’écoute qui remet en cause certaines habitudes que l’on peut avoir avec les albums, l’autre proposée par l’IFé avec Yves Soulé qui parle des difficultés que représente l’enseignement de l’oral et qui propose des pistes de formation pour les formateurs.

Petit rappel théorique :

Le langage permet d’exploiter le potentiel cognitif et le fonctionnement de la pensée. Même si chaque humain possède des capacités innées qui les prédisposent à parler, un apprentissage de la manière de les utiliser est primordial. Le langage est le moteur de la transmission de la culture, l’offre langagière apportée par les adultes est directement relié aux réalisations langagières des enfants qui se construisent non pas simplement par imitation du discours de l’adulte mais par un processus interactionnel. Le cadre familial pose les jalons de l’apprentissage du langage d’une manière très hétérogène suivant les milieux, le cadre scolaire conscientise l’entraînement au langage. A l’école, l’enfant doit apprendre à échanger, à pratiquer les diverses fonctions du langage oral, à apprendre, à comprendre et se faire comprendre et connaître le fonctionnement du langage (création d’une conscience métalinguistique). Ce travail sur l’oral (manipulation des sons, des rythmes, des intonations, des structures langagières) et la prise en compte de l’organisation syntaxique et morphologique favorisent un apprentissage ultérieur de l’écrit (Chabanal, 2011).

Dès l’âge de 4 ans, un enfant peut posséder un vocabulaire de base, nommé fondamental, proche de celui de l’adulte. En ce qui concerne la phonologie, ce n’est qu’à partir de l’âge de 5-7 ans que le système de prononciation de la parole est intégralement mis en place (Inserm, 2012).

L’écoute est à la fois une condition préalable à tout travail sur l’oral et un des objectifs de ce travail. La communication en classe repose sur la nécessité de participation des élèves pour que le cours dialogué puisse prendre place. Elle dépend également de la capacité de l’enseignant.e à se faire écouter et à écouter les élèves, de la volonté des élèves à écouter l’enseignant.e et les autres élèves. Gérer les temps oraux est donc une activité aléatoire qui nécessite une gestion efficace par l’enseignant du système d’écoutes multiples tout en renvoyant à des notions déstabilisantes de difficultés communicationnelles de part et d’autre de la classe (Nonnon, 2004). Les échanges oraux sont à la fois condition et moyen de socialisation dans le microcosme de la classe. Ils permettent aux élèves de se situer, de s’intégrer, d’apprendre les règles sociales et scolaires. Il faut apprendre à gérer la prise de parole, les silences, à écouter le ou la professeur.e et les autres élèves même contre son gré. Cela nécessite des qualités de tolérance, d’attitudes civiles et civiques et parfois d’empathie.

En maternelle, les écarts sont très visibles en terme d’acquisition de vocabulaire mais aussi de maîtrise dans les échanges en interaction : anticiper, évaluer, expliciter, tous les enfants de maternelle n’ont pas accès à ces usages. Un socle langagier commun se constitue malgré tout, mais les décalages entre répertoires et conduites langagières s’accentuent, du fait des contextes de socialisation, des formes de culture, des connaissances acquises, qui vont déterminer un « bagage linguistique ».

Les sciences du langage peuvent aider à déterminer ce qui relève des difficultés langagières et/ou d’objectifs d’apprentissage dans l’objectif de dégager des priorités. Par exemple, lors d’activités autour du vocabulaire, envisager de définir les mots « dont l’appropriation serait à un niveau donné prioritaire pour structurer le rapport au monde et à soi (vocabulaire des émotions, des opérations mentales, comme croire, penser, savoir), ou parce que leur acquisition a un coût cognitif important (mots abstraits, relationnels, usages conceptuels de mots connus), ou dont l’appropriation est particulièrement différenciatrice » (Nonnon & Jacques 2014).

Tout commence en maternelle, mais…

Problématique entre ce qui est préconisé et ce qu’il se passe en classe : « Trente pour cent des élèves ne prennent pas la parole et la longueur moyenne des interventions des autres élèves est de 6 à 8 mots, bien loin de ce qui serait nécessaire pour construire les phrases complexes ou acquérir les compétences discursives raconter, décrire, expliquer etc. attendues en grande section par les Programmes (2015) pour l’école maternelle » (Péroz, 2016).

Selon la tradition scolaire en France, l’enseignant.e, en position d’autorité, pose les questions, et l’enfant répond. Il s’agit d’apprendre à « bien parler » et l’enseignant.e assume un double rôle de modèle et de censeur. On observe donc deux types d’interventions, question-réponse et maintien de la discipline qui définissent « un type particulier de communication où l’enfant ne peut ni construire son apprentissage sur un oral participatif entre pairs ni se construire en tant qu’élève en dehors d’une soumission passive à l’autorité imposée et à un dialogue inégal avec son maître » (Grandaty, 2002).

La mise en place d’ateliers de paroles lors d’un travail en groupe ne garantit en rien, à lui seul, un travail oral réellement partagé car la dimension linguistique et discursive n’est pas prise en compte. Ces ateliers favorisent certes la libre circulation de la parole, mais pas la transformation de la parole de l’élève en réel outil d’apprentissage (Reverdy, 2016).

Instaurer un traitement didactique des conduites discursives repose sur le fait que l’oral doit être travaillé en classe, comme tout outil indispensable aux apprentissages, pour apprendre à décrire, reformuler, récapituler, expliquer, raconter, et ne peut être construit que dans et par la coopération langagière entre pairs.

Travailler les conduites discursives (Grandaty, 2002) 

« La démarche générale en est la suivante :

  • les enseignants visent d’abord à construire chez les élèves une culture commune sur un contenu disciplinaire donné. Le but est de permettre, en principe, à tous les élèves de s’exprimer sur la situation qu’ils construisent ensuite. À l’expérience, si ce principe n’a pas d’effets de manière univoque, il s’avère être d’une grande efficacité pédagogique sur la durée de l’année. Notons qu’il est à l’opposé de pratiques scolaires qui postulent que, pour que l’élève de maternelle puisse s’exprimer, il doit parler de lui ;
  • ils prévoient ensuite la mise en place d’un dispositif (taille des groupes, présence de l’enseignant.e, usage de traces écrites) adapté à la tâche orale prescrite (expliquer comment on fait des crêpes, par exemple) afin de pouvoir anticiper un certain nombre de stratégies d’étayage ;
  • ils prélèvent enfin des indices de compétences à partir d’indicateurs de progrès durant la tâche réalisée réellement par les élèves. Prélever ces indices se fait sur la durée, de manière souple, avec pour but précis d’avoir des informations précises pour chaque élève, par trimestre ».

Pédagogie de l’écoute

Les travaux que Pierre Péroz, linguiste, a développés depuis le début des années 2000 incitent les enseignants à mettre en place une pédagogie de l’écoute. Selon cet auteur, une pédagogie de l’écoute conduirait à la mise en place de structures d’échanges polylogales. Ces structures, qui caractérisent les échanges entre pairs, seraient l’opposé des structures d’échanges les plus courantes en classe, que l’auteur qualifie de dialogales. Dans ce cadre, le travail de l’enseignant revient à trouver des supports de travail permettant de faire échanger les élèves (concrètement, des albums) et à réguler les échanges entre ces derniers. Autrement dit, l’enseignant favorise les prises de paroles des élèves en trouvant des sujets de discussion appropriés et en n’intervenant que si les échanges des enfants nécessitent une régulation, pour que chacun ait voix au chapitre. Le coté modélisant de la parole de l’enseignant serait ainsi relégué à un troisième plan, derrière le coté modélisant de la parole des pairs et celui de la structuration du texte de l’album dont on parle.

Péroz présenté les résultats d’une recherche dans laquelle des enseignants d’une quinzaine de classes de maternelle ont suivi ces préconisations et ont amorcé des séances de langage avec un album intitulé « Danger dans le potager ». Les résultats permettent de mettre en avant que le suivi de ces préconisations laisse beaucoup de place à la parole des élèves. Ils sont à l’initiative d’environ 2/3 des interventions, alors que dans la plupart des recherches sur l’oral à la maternelle, l’enseignant intervient autant que tous les élèves réunis. Les résultats conduisent également à constater que le suivi de ces préconisations permet aux enfants de parler de plus en plus, au long des séances. Enfin, les analyses mettent en avant que les élèves produisent des énoncés de plus en plus longs, la part de leurs énoncés complexes passant progressivement à environ 90%. (PÉROZ, P. (2013), « Apprentissage du langage oral à l’école maternelle. Quel modèle ? », Journée Prévention de l’illettrisme, « Les enjeux de l’oral dans nos classes », Académie d’Aix-Marseille, Marseille, le 29 novembre 2013).

Conférence de Pierre Péroz en ligne.

Les travaux de Pierre Peroz : la pédagogie de l’oral

Site d’une enseignante qui a testé la pédagogie de l’écoute

La délicate question du langage en maternelle, Ifé, Yves Soulé

Ressources institutionnelles concernant l’enseignement de l’oral