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SE-UNSA 16


 Par SE-UNSA 16

Les deux fractures qui devraient mobiliser le ministre Attal

 

Dans un article précédent nous mettions en lumière la volonté présidentielle de « remettre l’autorité à l’école »* suite aux émeutes de début juillet. La nomination, le 20 juillet dernier, de Gabriel Attal comme ministre de l’Education nationale et de la jeunesse correspond à cet objectif. Le nouveau locataire de la rue de Grenelle l’a d’ailleurs affirmé dès sa prise de fonction : « Nous devons remettre le respect de l’autorité et les savoirs fondamentaux au cœur de l’école ». Première priorité qui en accompagne deux autres :

  • garantir que chaque élève ait chaque jour de l’année un professeur face à lui ;
  • faire de l’école un lieu où chaque enfant puisse être heureux.

S’il n’y a pas à douter qu’à 34 ans ce plus jeune ministre de l’Éducation nationale de la Ve République agira avec fidélité (peut-être même docilité) pour mettre en place le programme éducatif d’Emmanuel Macron, il ne pourra négliger deux ruptures qui risquent de plomber fortement son action.

Le manque de confiance avec les personnels

Alors qu’il s’en était fait le chantre, Jean-Michel Blanquer n’aura su instaurer « l’école de la confiance » et tout particulièrement avec les personnels de l’Éducation qu’il avait largement réussi à mobiliser contre lui et ses réformes. La nomination de Pap Ndiaye à sa succession pouvait représenter une démarche pacificatrice, comme l’avait été celle de Jack Lang à la suite du dépeceur du Mammouth Claude Allègre en 2000**. 14 mois plus tard, le constat est qu’il n’en a rien été. Tous les indicateurs, dont le baromètre UNSA des métiers de l’Éducation***, montrent une opposition des personnels à la politique menée et leur souffrance d’être ni reconnus, ni réellement (re)valorisés.

Tous les travaux de recherche au niveau national comme international font un lien étroit entre la « satisfaction professionnelle » des personnels et les résultats de leurs élèves. Parce qu’elles et ils sont plus heureux dans l’exercice de leur métier, les personnels d’Éducation sont plus à même d’être à l’écoute, plus enclin.es à l’innovation, plus disponibles à l’accompagnement et à la bienveillance vis-à-vis des enfants et des jeunes qui leur sont confié.es. Le bien-être professionnel rejaillit sur l’ambiance de l’établissement et de la classe, favorisant un climat propice aux apprentissages, à la coopération, à l’investissement de chacune et chacun. A l’inverse la souffrance au travail se traduit par un repli, un ressentiment et un engagement à minima.

Pour permettre à l’École de réussir, il faudra que le nouveau ministre s’appuie sur ses personnels. Et il ne pourra le faire qu’en leur donnant « des preuves d’amour ». Dans le cadre contraint imposé par l’Élysée, cela semble difficile.

La promesse d’égalité non tenue

La seconde rupture vécue dans l’éducation est celle avec les élèves et leur famille. Là encore, études à l’appui, l’école française apparait comme l’une des plus discriminante et des plus inégalitaire par rapport à l’origine sociale, économique et culturelle des enfants et des jeunes.

Dans son Propos sur l’Éducation, le philosophe Alain, qui réalisa plusieurs articles dans l’École libératrice, la revue du Syndicat national des instituteurs (SNI, ancêtre du SE-UNSA), écrivait**** :

« Nous choisissons quelques génies et un certain nombre de talents supérieurs ; nous les estampillons, et nous faisons d’eux une aristocratie d’esprit qui s’allie à l’autre, et gouverne tyranniquement au nom de l’égalité ; admirable égalité, qui donne tout à ceux qui ont déjà beaucoup. Selon mon idée, il faudrait agir tout autrement […]. Tout l’effort des pouvoirs publics devrait s’employer à éclairer les masses par le dessous et par le dedans, au lieu de faire briller quelques pics superbes, quelques rois nés du peuple, et qui donnent un air de justice à l’inégalité ».

La dérive n’est certes pas nouvelle, mais l’École persiste dans le fait de donner « tout à ceux qui ont déjà beaucoup » et est incapable de réduire les fractures liées au déterminisme des naissances. De ce fait, elle entretient une coupure entre deux mondes, deux France qui cohabitent plus qu’ils ne vivent ensemble. Si cela ne justifie en rien que l’on brule une école, cela peut peut-être apporter certains éléments d’explication d’un tel geste*****.

Gabriel Attal aura beau chercher à se démarquer de Pap Ndiaye, avec un discours et des actions appuyé.es sur « l’autorité », il ne sera crédible que s’il sait à la fois renouer le dialogue avec les personnels éducatifs et agir contre les inégalités sociales et scolaires.

« On dit que les nouvelles générations seront difficiles à gouverner », prévoyait Alain avant d’ajouter « Je l’espère bien », l’ancien secrétaire d’État à la jeunesse ferait bien de s’en souvenir.