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DĂ©fendons l’école maternelle !
Article publié le samedi 8 mai 2021.
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Nous sommes enseignantes et enseignants de l’école maternelle, Atsem, parents d’élèves, chercheur·es, militantes et militants de syndicats enseignants, d’associations complĂ©mentaires de l’École, de mouvements pĂ©dagogiques. Nous faisons vivre l’école maternelle… et pourtant notre expertise n’a pas Ă©tĂ© jugĂ©e digne d’intĂ©rĂŞt par le Conseil supĂ©rieur des programmes (CSP) qui, sur instruction du ministre, propose une rĂ©orientation profonde du programme de la maternelle transformant ses missions jusqu’à les rĂ©duire Ă  la seule prĂ©paration du CP et Ă  ses tests d’entrĂ©e. Cette rupture avec l’équilibre trouvĂ© en 2015 autour du triptyque « accueil, Ă©ducation, prĂ©paration Ă  la scolaritĂ© future Â» dessine le portrait d’une maternelle oĂą l’importation brutale de contenus inspirĂ©s d’une certaine vision de l’école Ă©lĂ©mentaire et recentrĂ©s sur les seuls « fondamentaux Â» ne peut que nuire au bien-ĂŞtre et aux apprentissages des jeunes enfants, en particulier des plus Ă©loignĂ©s de la culture scolaire.
 
Le programme de 2015 avait Ă©tĂ© plĂ©biscitĂ© et appropriĂ© par les Ă©quipes pĂ©dagogiques. Toutes se retrouvent dans le projet d’une Ă©cole maternelle accueillante, bienveillante, exigeante oĂą la place centrale du langage et le rĂ´le du jeu comme l’une des entrĂ©es dans les apprentissages ont Ă©tĂ© rĂ©instaurĂ©s. Une Ă©cole, soucieuse du dĂ©veloppement de l’enfant dans toutes ses dimensions : langagières, cognitives, sociales, affectives, physiques, artistiques… Une Ă©cole attentive aux progrès et rĂ©ussites de chaque Ă©lève, aux objectifs communs ambitieux, mais avec le respect des diffĂ©rences de rythmes et de dĂ©veloppement si prĂ©gnantes chez les plus jeunes, sans mise en compĂ©tition, ni culte de la performance.
 
Cette école est caricaturée et accusée de ne pas préparer suffisamment aux évaluations standardisées d’entrée au CP. Il est vrai que ces tests fondés sur une conception appauvrie de la lecture et des mathématiques, réalisés en format papier-crayon et instaurant des normes arbitraires sans rapport avec le programme en vigueur sont éloignés de ses objectifs actuels et de la richesse des apprentissages menés dans tous les domaines. Une richesse qui a valu à la maternelle la confiance sans faille des familles, bien avant que l’instruction à trois ans soit rendue obligatoire, cette dernière servant aujourd’hui de prétexte à la révision du programme, alors qu’elle a surtout permis une augmentation du financement public des écoles privées par les collectivités territoriales.
 
Absence de consultation, volontĂ© de mainmise sur l’école, reprise sans condition du projet ministĂ©riel de resserrement de l’école sur les « fondamentaux Â» Ă©triquĂ©s… tĂ©moignent que l’élève est perçu comme un perroquet docile. Le Service public d’éducation, rĂ©duit dans ses missions, ne formerait plus Ă  une citoyennetĂ© Ă©clairĂ©e.
 
Cette rĂ©-orientation aboutirait Ă  des propositions qui confinent Ă  l’absurde : instruire les Ă©lèves de trois ans Ă  l’organisation grammaticale de la phrase ou Ă  la phonologie (relation entre les lettres et les sons)… Comme si le langage pouvait se rĂ©duire Ă  l’étude de la langue, avant mĂŞme que d’être un moyen de communiquer et de penser le monde, comme si la prioritĂ© n’était pas de mettre en confiance tous les enfants pour qu’ils et elles osent s’exprimer et s’approprier les pratiques langagières de l’école.
 
De mĂŞme, sous prĂ©texte que la connaissance des nombres de 1 Ă  20 est difficile pour beaucoup d’élèves au CP, il faudrait obtenir des Ă©lèves de la grande section le comptage jusqu’à 100, de 10 en 10… Comme si rapprocher l’obstacle permettait de le franchir plus facilement ! Exercices systĂ©matiques de transformation de phrases, cahier de mots, carnet d’expĂ©riences scientifiques… comme si reproduire les formes scolaires de l’élĂ©mentaire permettait la rĂ©ussite de toutes et tous, quand la recherche dĂ©montre que « faire trop vite, trop tĂ´t Â» gĂ©nère l’échec, en particulier des Ă©lèves issus des classes populaires !
 
La mesure systĂ©matique de compĂ©tences en fin d’école maternelle cantonnerait les enseignements Ă  des sĂ©ances rĂ©pĂ©tĂ©es d’entraĂ®nement Ă  des techniques puis Ă  un « bachotage Â» pour prĂ©parer les tests en CP. Comment cette note du Conseil supĂ©rieur des programmes qui Ă©voque une Ă©valuation standardisĂ©e des Ă©lèves, non seulement en fin de grande section mais Ă©galement dès trois ans, peut-elle prĂ©tendre prendre en compte le bien-ĂŞtre du jeune enfant dĂ©couvrant l’école ?
Les contenus proposés et la performance précoce induite font de la bienveillance une injonction paradoxale intenable pour les personnels enseignants.
 
De plus, l’idĂ©e d’apprendre ensemble disparaĂ®t et c’est au contraire un renforcement de l’individualisation qui se profile, renvoyant chaque enfant, chaque Ă©lève Ă  lui-mĂŞme, ses prĂ©-requis et son adaptation anticipĂ©e Ă  une forme scolaire empruntĂ©e Ă  l’école Ă©lĂ©mentaire. Ainsi, par exemple, le jeu est vidĂ© de sa composante sociale, et est sommĂ© de se mettre au service exclusif d’apprentissages « sĂ©rieux Â». Est-ce ainsi que peut se construire l’école du plaisir et du goĂ»t d’apprendre ensemble ?
 
Nous refusons fermement cette école qui soumet les plus jeunes enfants et leurs familles à la pression du résultat dès l’entrée en petite section. Quitte à faire assumer au seul apprenant et à sa famille la responsabilité d’une inadaptation à une norme scolaire renforcée et uniformément imposée à toutes et tous, le plus tôt possible.
 
Nous refusons cette école de la perte de sens des savoirs, de la performance précoce à tout crin, qui tourne le dos à la spécificité de l’école maternelle française. C’est en étant soucieuse de faire grandir les enfants qu’elle accueille, en explorant à l’égal tous les champs d’apprentissage, en multipliant les découvertes, les expériences de l’échange, de l’esprit et du corps, en construisant un langage réflexif et des savoirs ambitieux, que l’école maternelle cultivera l’envie d’apprendre et contribuera à une émancipation future.
 
Nous refusons cette Ă©cole oĂą les Ă©quipes enseignantes ne seraient que des exĂ©cutantes sommĂ©es de « se conformer Ă  des protocoles prĂ©cis Â». Enseigner est un mĂ©tier de conception.
 
L’école maternelle que nous voulons porte une toute autre ambition. Elle suppose un investissement Ă  la hauteur des besoins : des effectifs rĂ©duits dans toutes les classes, des locaux et du matĂ©riel adaptĂ©s pour favoriser accueil et apprentissages, la prĂ©sence d’une Atsem garantie Ă  temps plein dans chaque classe, la reconstitution des rĂ©seaux d’aide spĂ©cialisĂ©s aux Ă©lèves en difficultĂ© (Rased) et leur intervention dans toutes les Ă©coles, Ă  des fins de prĂ©vention… Cela implique Ă©galement une formation initiale et continue d’ampleur et de qualitĂ©. Seul le maintien du programme de 2015 permet aux Ă©quipes pĂ©dagogiques de poursuivre en continuitĂ© les enseignements au cours des trois annĂ©es du cycle d’une Ă©cole maternelle, en prĂ©servant son identitĂ©.
 
Nous portons ainsi l’ambition d’une Ă©cole maternelle Ĺ“uvrant Ă  former des enfants dĂ©sireux d’apprendre et de comprendre le monde. Former des citoyennes et citoyens Ă©clairĂ©s et critiques, oui, cela commence Ă  l’école maternelle !
 
 
Paris, le 2 février 2021
 
Les organisations signataires :
 
AFEF – Association française pour l’enseignement du français ; AGEEM – Association gĂ©nĂ©rale des enseignants des Ă©coles et classes maternelles publiques – Association gĂ©nĂ©rale des enseignants des Ă©coles et classes maternelles publiques ; ANCP&AF – Association nationale des conseillers pĂ©dagogiques et autres formateurs ; CAPE – Collectif des associations complĂ©mentaires de l’école publique ; CEMEA – Centres d’entrainement aux mĂ©thodes d’éducation active ; CGT-Éduc’action - CNT-SO – ConfĂ©dĂ©ration nationale des travailleurs – solidaritĂ© ouvrière ; Collectif Ă©ducation 94 ; CRAP-Cahiers pĂ©dagogiques – Cercle de recherche et d’action pĂ©dagogiques ; DDEN – FĂ©dĂ©ration des dĂ©lĂ©guĂ©s dĂ©partementaux de l’Éducation nationale ; DEI-France – DĂ©fense des enfants international – France ; FCPE – FĂ©dĂ©ration des conseils de parents d’élèves ; GFEN – Groupe français d’éducation nouvelle ; ICEM-PĂ©dagogie Freinet – Institut coopĂ©ratif de l’école moderne – PĂ©dagogie Freinet ; SE-UNSA – Syndicat des enseignants – Union nationale des syndicats autonomes ; SGEN-CFDT – Syndicat gĂ©nĂ©ral de l’éducation nationale – ConfĂ©dĂ©ration française dĂ©mocratique du travail ; INTERCO-CFDT – Inter-collectivitĂ©s territoriales – CFDT ; SNUipp-FSU – Syndicat national unitaire des instituteurs et professeurs des Ă©coles et PEGC – FĂ©dĂ©ration syndicale unitaire ; SNUTER-FSU – Syndicat national unitaire Territoriaux ; Sud-Éducation
 
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