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Accord Ministère / Microsoft : pour qui le juteux marchĂ© scolaire ?
Article publié le vendredi 11 décembre 2015.
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Accord Ministère / Microsoft : l'école, pour qui le juteux marché

 

Rappel des faits :

Ce lundi 30 novembre 2015, l’Éducation Nationale via notre ministre a signé un partenariat1 avec Microsoft, puissant éditeur/manufacturier informatique, portant sur la formation des enseignants, la maîtrise des environnements Microsoft en classe, la mise à disposition d'un écosystème Cloud et d'une plate-forme de formation à distance ainsi que l’apprentissage du code.

Et alors ?

En tant qu’enseignants nous devrions y regarder de plus près…

 

Un accord de ce type avec un Ă©diteur de manuels scolaires aurait Ă©tĂ© impensable : de bon droit, chacun aurait dĂ©noncĂ© une atteinte Ă  sa libertĂ© pĂ©dagogique, l’immixtion d’un industriel dans les affaires de l’école, etc.

Il ne faut pas que cet engagement ministériel passe inaperçu.

L’informatique… juste un moyen ?

Il n’y a pas si longtemps, l’informatique à l’école primaire ne devait servir que de support, ce n’était qu’un vecteur au service des apprentissages dans les autres disciplines. D’ailleurs, ça ne devait pas apparaître en tant que tel dans les emplois du temps…

 

Or il s’agit d’une erreur, car cela implique que finalement il n’est pas nĂ©cessaire de se former Ă  cet outil, que cela vient naturellement. C’était mettre la charrue avant les bĹ“ufs (n’y voyez pas un mauvais jeu de mots ;-D ) car quoi qu’on en dise, c’est d’abord un outil technique. Évidemment on a appris Ă  se servir d’un traitement de texte ou d’un tableur (souvenez-vous des stages autour des logiciels Word, Excel… pour ne pas les nommer) mais ça n’implique en rien qu’on est capable de mener une sĂ©ance d’informatique en classe.

Pourquoi le " numĂ©rique " a autant de mal Ă  s’installer dans les Ă©coles ? Ce n’est pas seulement une histoire d’achat d’équipements sinon ça serait dĂ©jĂ  rĂ©solu (voir les diffĂ©rents plans numĂ©riques depuis 1985). C’est tout simplement parce que nous ne nous sentons pas assez Ă  l’aise avec ces nouveaux outils, que nous avons peur du bogue (ça arrivera au moins une fois) qui va nous bloquer devant toute la classe (pourtant ça marchait tout Ă  l’heure…), que c’est la faute du proxy et des adresses IP (mais qu’es aquò !?), etc.

Et puis, nous ne pouvons pas avoir Ă  chaque problème un technicien Ă  disposition. D’ailleurs serait-ce souhaitable… ?
On pourrait rĂ©torquer qu’avec les jeunes gĂ©nĂ©rations d’enseignants ça ne sera plus le cas car ce sont des " natifs numĂ©riques2 " (digital native). C’est une autre erreur. Ce n’est pas parce qu’on consomme du numĂ©rique depuis la naissance qu’on est capable de le " dompter " : utiliser le numĂ©rique Ă  l’école demande d’autres compĂ©tences (en plus du recul) que de savoir communiquer sur les rĂ©seaux sociaux ou surfer sur Internet.

 

Bref, tout ceci fait que les enseignants ne se sentent pas lĂ©gitimes, que ça n’entre pas dans leur domaine de compĂ©tences. Du coup, on fait confiance (et on abandonne en quelque sorte ce terrain) Ă  ceux qui prennent les dĂ©cisions : nos cadres et les Ă©lus. Or ces derniers ne disposant pas d’un conseil indĂ©pendant se retournent souvent vers un prestataire ou un Ă©diteur ayant pignon sur rue qui aura intĂ©rĂŞt Ă  vendre des logiciels/matĂ©riels proposĂ©s par les grandes multinationales telles que Microsoft, Apple ou rĂ©cemment Google. Du coup, on pourrait penser qu’il n’y a pas d’alternative

 

Mais aujourd’hui, en tant qu’enseignants et citoyens, nous nous devons d’acquérir une réelle CULTURE informatique pour comprendre tous les enjeux liés au numérique. Et cette culture ne doit pas seulement se limiter aux aspects techniques, bien au contraire.

 

Enjeux démocratiques du numérique

L’utilisation informatique n’est pas neutre : nos choix (ou non choix) ont des consĂ©quences sur toute la sociĂ©tĂ©. Par consĂ©quent, elle doit mĂ©riter une toute autre attention de notre part.

Alors, certains se rĂ©jouissent de cet accord en disant qu’enfin les enfants utiliseront Ă  l’école les outils des entreprises (sous-entendu des outils sĂ©rieux, des vrais parce qu’on les achète…). Il s’agit lĂ  d’une affirmation erronĂ©e : de plus en plus d’entreprises, d’institutions abandonnent des logiciels propriĂ©taires" classiques " ou " historiques " au profit (mais d’abord pour le leur) des logiciels libres.
Dans ce cas, l’école serait responsable d’une dĂ©pendance : une fois accro Ă  la marque, il est très difficile de s’en dĂ©faire et donc on va acheter (ou faire acheter Ă  l’entreprise ou l’école, c’est d’autant plus facile quand on ne paie pas) les logiciels que l’on connaĂ®t bien. La boucle est bouclĂ©e…
Qu’on le veuille ou non, nous sommes des prescripteurs : les Ă©lèves et leurs parents voudront avoir lĂ©gitimement Ă  la maison les mĂŞmes outils qu’en classe. Donc, si j’utilise un logiciel onĂ©reux (dont on m’a fait " cadeau " par le biais d’un accord par exemple… en rĂ©alitĂ© rien n’est jamais gratuit dans ce domaine vu qu’à la fin il y en a toujours un qui paie), j’incite les familles Ă  faire une grosse dĂ©pense. Est-ce juste vis-Ă -vis de celles qui n’ont pas les moyens et qui pourraient ĂŞtre tentĂ©es par le piratage ?
Comment favoriserions-nous l’émancipation, la capacitĂ© d’adaptation de nos Ă©lèves avec cet accord ? Notre rĂ´le n’est-il pas plutĂ´t d’apprendre Ă  nos Ă©lèves Ă  se servir d’un traitement de texte plutĂ´t que d’un seul ? N’est-il pas d’ouvrir les horizons au lieu de les confiner dans une marque ?

Autre problème : si j’utilise un logiciel qui " analyse " (espionne) le comportement, les usages, l’école n’est plus cette terre " sacrĂ©e " protectrice de tous, puisque livrĂ©e aux appĂ©tits Ă©conomiques du monde extĂ©rieur. Je donne en plus une lĂ©gitimitĂ© Ă  ce système en dehors de nos murs : mais puisque l’école le fait, pourquoi me l’interdirais-je ailleurs (nous avons encore une certaine influence) ?

Pourtant, il existe aujourd’hui des logiciels libres qui garantissent la libertĂ©, l’égalitĂ© et la fraternitĂ© (devise particulièrement mise en avant dans les discours du moment …) :

  • LibertĂ© car ils ne cherchent pas Ă  contrĂ´ler, surveiller, emprisonner l’utilisateur qui a le droit de les modifier, d’en changer facilement grâce Ă  l’interopĂ©rabilitĂ©3.

  • ÉgalitĂ© car tout le monde Ă  le droit de les utiliser, de les adapter (traductions, handicaps…) et qu’ils sont majoritairement gratuits.

  • FraternitĂ© car ils sont issus d’une culture du partage, d’échange oĂą chacun peut aider l’autre.

Outre ces valeurs essentielles, beaucoup de logiciels libres sont conçus pour pouvoir fonctionner sur du matĂ©riel ancien, ce qui permet de recycler des machines qui ne peuvent pas utiliser le dernier Windows par exemple. Du coup, cela permet de faire des Ă©conomies et d’éviter du gaspillage de ressources polluantes : remise en cause du pactole des Ă©diteurs/constructeurs imposant le renouvellement du parc informatique Ă  chaque montĂ©e de version du système d’exploitation (en d’autres termes, fin de la course " gabegique " Ă  l’armement).

OK mais les logiciels libres Ă  l’école, est-ce rĂ©aliste ?

Dans l’idéal, il faudrait employer des outils qui permettent de fabriquer des contenus pérennes (utilisables dans 10 ans par exemple), accessibles à tous quel que soit le système utilisé (définition de l’interopérabilité), sans obligation d’acheter un logiciel permettant leur décodage au risque d’en limiter l’accès.
Encore une fois, les logiciels libres permettent tout cela. Il faut donc les exiger d’autant qu’ils sont aussi accessibles (et même plus du fait de leur gratuité et de leurs licences permissives permettant la copie et la distribution) que les logiciels privateurs qui ne garantissent pas toutes les libertés énumérées ci-dessus.

Bien sĂ»r, ça demande quelques connaissances et compĂ©tences mais comme pour tous les autres systèmes. Et si l’on n’a pas la chance d’avoir un militant passionnĂ© dans ses murs pour se faire aider, on peut adopter les logiciels libres progressivement en ayant toujours Ă  l’esprit toute cette problĂ©matique.

- Tout changer du jour au lendemain serait contre-productif car trop déstabilisant avec une perte de repères brutale.

- Imposer par la force ne serait pas plus efficace car ça ne ferait que braquer les gens qui ne sont pas prêts à réinvestir du temps pour se former à de nouveaux outils (même si c’est une idée fausse vu les nombreuses similitudes).


Leur adoption ne se fera que si les enseignants sont convaincus de leur " supĂ©rioritĂ© " Ă©thique (techniquement et ergonomiquement, dans l’ensemble, les logiciels libres n’ont rien Ă  envier aux autres) : cette prise de conscience ne peut se faire qu’après une Ă©ducation et une information objective (mise en balance des points positifs ET nĂ©gatifs des diffĂ©rents systèmes), sans angĂ©lisme.

Ainsi, il ne peut pas ĂŞtre question de bannir les programmes « payants Â», mais de dĂ©velopper l’alternative numĂ©rique, de faire en sorte que la libertĂ© pĂ©dagogique de choisir tel ou tel logiciel, puisse s’exercer en toute connaissance des possibilitĂ©s offertes et de leurs implications.

Comme tout changement, cela va demander d’abord quelques efforts personnels mais le jeu n’en vaut-il pas la chandelle ? Il s’agit lĂ  d’un choix de sociĂ©tĂ©.
Il est grand temps de rĂ©agir (courage politique ?) face aux lobbies industriels4 qui servent (avec talent, il faut bien le reconnaĂ®tre) leur seule cause, bien loin de l’intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral.


Thierry Munoz

Adhérent du SE UNSA 11



 


 


 

 

3https://fr.wikipedia.org/wiki/Interopérabilité_en_informatique

4Voir le rĂ©sultat de la " consultation " numĂ©rique sur le projet de loi de rĂ©publique numĂ©rique lancĂ©e par Axelle Lemaire : http://www.april.org/projet-de-loi-pour-une-republique-numerique-des-reponses-banales-et-aucun-engagement-ferme

 

 
 
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