À propos d’Annabelle Allouch, La Société du concours. L’empire des classements scolaires, Paris, Seuil, « La République des idées », 2017.
Les concours sont partout, pour devenir enseignant et fonctionnaire, pour être sacré meilleur pâtissier à la télévision ou pour accéder aux grandes écoles. Cela n’entraîne pas de débats, pas de contestations, tant il semble normal que les capacités individuelles soient mesurées par ce biais. C’est donc le grand mérite de ce livre que d’interroger ce qui a priori ne posait pas de problème. Une fois cette lecture terminée, on se dit que oui finalement, il est plus qu’urgent de questionner cette course aux concours, sacralisée dans toute la société française, sur cette compétition de plus en plus criante dans l’ensemble du système scolaire. Le concours comme un moyen méritocratique et égalitaire, est-ce encore vrai aujourd’hui ?
Concours = mérite ?
L’auteure, maîtresse de conférences en sociologie, développe sa pensée en de courts et incisifs chapitres qui entraînent l’adhésion grandissante du lecteur. « Le concours s’est imposé comme l’un des principaux modes de reconnaissance du mérite des individus » et détermine la suite du parcours professionnel, au détriment de la formation sur le long court ou des diplômes. Avoir réussi un concours est supposé être le résultat d’une mesure juste des capacités de celles et ceux qui ont été aptes à passer avec succès l’épreuve. Mais Annabelle Allouch démontre avec intelligence et sagacité qu’il n’en est rien.
Le livre prend ainsi le contrepied de nombreuses idées reçues et oblige à réfléchir sur la place du concours dans notre système scolaire, et plus largement dans notre société. Le concours participe à l’acte de sélectionner, avec des gestes, des attitudes et des techniques communes. Conçu à partir du XIXe siècle comme un outil démocratique et juste pour accéder à des fonctions, le concours a dû s’adapter à la démocratisation scolaire, et il est devenu de plus en plus un instrument de sélection inégalitaire qui peine à dire son nom. L’auteur montre que « familles et acteurs du secteur valorisent la sélection comme gage de réussite, au détriment, des filières ouvertes, en particulier à l’université, par ailleurs ignorée des élites politiques ». De plus, la réussite à un concours détermine souvent la suite du parcours, et la réussite professionnelle.
Une remise en cause de la société du concours
La culture scolaire très hiérarchisante, avec les notes, et l’idée de méritocratie, souvent dévoyée de son origine même, accélèrent cette folie des concours. L’auteure rappelle que l’origine sociale surdétermine aujourd’hui la réussite aux concours, comme les travaux de Pierre Bourdieu ou Jean-Claude Passeront l’avaient déjà montré. Des parcours de jeunes passant des concours sont racontés et illustrent les attendus et les impensés de cette course aux concours. Mais les concours s’adaptent aussi, valorisant par exemple de plus en plus les épreuves orales au détriment des exercices académiques écrits, qui peinent à partager des candidats plus nombreux et ayant le même profil. On cherche ainsi à valoriser l’individu, à trouver les meilleurs candidats « authentiques » et pourvus d’une personnalité qui les distingue du lot. Mais se faisant, on créé de nouveaux standards de réussite. Annabelle Allouch le souligne : "on dévalorise de facto les compétences acquises sur la base d’une formation de longue haleine au profit du savoir-faire de « bêtes à concours »".
Cet excellent essai se termine par quelques propositions pour se libérer de l’emprise du concours sur l’école et notre société. Sont aussi abordés des questions d’une brûlante actualité, comme la sélection à l’université, les inégalités dans la réussite scolaire et universitaire et on ne peut que souscrire à cette affirmation que l’on trouve dans ce livre : « se dégager de l’émulation par le concours relève d’une philosophie de vie ».
Nous militons au SE-Unsa pour un parcours Bac-3/Bac+3 mieux adapté et plus égalitaire. Nous souhaitons également redonner tout son sens à l’école comme « philosophie de vie » où la compétition et la sélection ne soient pas les seuls buts. Le livre d’Annabelle Allouch apporte du grain à moudre à notre réflexion. C’est pourquoi nous en conseillons vivement la lecture. Le débat ne fait que commencer…