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DĂ©mission
Kim Hullot-Guiot — 26 septembre 2017 à 18:35
Michel Lussault, en juin 2015 à Paris. Photo Jean-François Robert
Une rencontre et puis s'en va. Le 1er aoĂ»t, le prĂ©sident du Conseil supĂ©rieur des programmes (CSP), l'organisme qui doit garantir la transparence dans l'Ă©laboration des programmes scolaires, Michel Lussault, s'entretenait avec le Âministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer. «Je lui ai dit que le CSP permettait notamment de sortir des dĂ©bats partisans. Je n'ai pas rĂ©ussi Ă le convaincre», a rapportĂ© le premier au Monde. Depuis, les deux hommes ne se seraient plus adressĂ© la parole. Mardi, Michel Lussault a annoncĂ© sa dĂ©mission de cette instance indĂ©pendante composĂ©e de membres de la sociĂ©tĂ© civile et de parlementaires. «Je n'accepte pas ce mĂ©pris, qui est aussi une marque choquante de dĂ©sinvolture par rapport Ă une instance crĂ©Ă©e par la loi» qui remplace depuis 2013 le Haut Conseil de l'Education, a-t-il dĂ©noncĂ© auprès du quotidien du soir.
«Nous avons bien pris note de la dĂ©mission de M. Lussault» : au cabinet de Blanquer, mardi matin, la rĂ©action est lacoÂnique. Plus tard dans la journĂ©e, le miÂnistre a estimĂ© sur RTL que c'Ă©tait «le choix de M. Lussault de dĂ©missionner. [...] Le simple fait qu'il utilise des termes outranciers [pour le justifier] le disqualifie pour la fonction qu'il exerçait, donc il en tire les consĂ©quences. Cela ne me gĂŞne pas du tout, ce n'est pas un problème.» ÂDifficile de la jouer plus «rien Ă fiche»...
Le renoncement de Lussault, nommé à ce poste en 2014 par Najat Vallaud-Belkacem, était certes attendu. Dans un portrait publié en 2015, Libération qualifiait la charge qui lui avait été confiée de «lettre de mission à la Tom Cruise» : «Revoir de A à Z les programmes de toutes les disciplines, de la maternelle à la 3e, et tant qu'à faire, ne plus les penser par année mais par cycle de trois ans.»
Ce fut chose faite, non sans polémiques. Fin 2015, Michel Lussault a présenté les nouveaux programmes – pas dénués, il est vrai, des habituels termes jargonnants – et une version refondée du socle commun de connaissances, qui liste ce que les élèves doivent savoir à l'issue de la scolarité obligatoire.
Selon ses dĂ©tracteurs, Lussault, par ailleurs ancien prĂ©sident d'universitĂ©, agrĂ©gĂ© de gĂ©ographie et docteur en gĂ©ographie urbaine, entendait passer sous silence «tout ce qui rappelle tant les racines chrĂ©tiennes de la France que le fait national» (selon les mots de l'historien Patrice Gueniffey dans le Figaro) au profit d'un enseignement de l'histoire de l'islam... Inexact : le christianisme est abordĂ© en 6e, l'islam l'est en 5e. Lussault avait alors dĂ©noncĂ© «un mensonge dĂ©libĂ©rĂ©, profĂ©rĂ© pour des raisons idĂ©ologiques et poliÂticiennes».
S'il a été la cible de publications réacs, comme Causeur, dont Blanquer fait désormais la une, c'est aussi à cause de l'introduction dans les programmes de l'élémentaire du «prédicat», une notion bien connue des grammairiens, qui permet de distinguer le sujet de la partie de la phrase qui s'y rapporte. Selon Lussault, le prédicat n'était pourtant qu'un premier outil vers l'étude des compléments d'objet directs, indirects, etc. : «La grammaire n'est pas changée, elle reste aussi complexe et aussi redoutable. Elle posera toujours des problèmes à tout le monde.»
Pas de quoi calmer ses opposants, qui le qualifient volontiers de «petit télégraphiste de Vallaud-Belkacem» ou de «gentil idéologue», et ont alors argué qu'on simplifiait à l'extrême l'apprentissage de la langue, qu'on allait niveler par le bas, qu'on devait décidément beaucoup en vouloir à nos chères têtes blondes (ou rousses, ou brunes) pour désirer à ce point appauvrir leur formation...
Du côté des syndicats enseignants, les réactions à l'annonce de la démission de Lussault ont été plus émues que celle de la rue de Grenelle. A l'exception du syndicat du secondaire Snes-FSU, qui ne souhaite «pas commenter les dissensions entre le ministre et Michel Lussault». Le SE-Unsa, qui couvre le primaire et le secondaire, estime qu'il s'agit d'une «mauvaise nouvelle pour l'école, mais peut-être [d']un geste politique utile pour réussir à faire entendre que le débat scolaire prend une mauvaise direction en flattant les plus réactionnaires et en laissant croire que l'école se serait laissé aller au laxisme pédagogique». Au contraire, insiste le représentant du syndicat, Stéphane Crochet, les enseignants et le CSP ont «travaillé à l'exigence de démocratisation scolaire par des programmes ciblant les acquis des élèves plutôt que les connaissances déversées sur tous, mais dont seulement une partie tire profit».
Au Snuipp, premier syndicat du primaire, le discours est raccord. «C'est Ă©vident qu'il y a deux lectures de cette dĂ©mission : une personnelle, car [Lussault] a Ă©tĂ© mis dans la case des Ă©galitaristes, des pĂ©dagogistes, alors qu'au Âcontraire il se retire pour ÂrĂ©gler les histoires d'affect et dire : «On va voir ce que vous allez faire du CSP.» Et une lecture oĂą il dit : «Je vous donne la possibilitĂ© de clarifier votre projet pour l'Ă©cole.» Il repose les choses en termes de projet et non plus en termes de personne», suggère sa secrĂ©taire gĂ©nĂ©rale, Francette Popineau, qui loue une «personne très reconnue par les politiques et la sociĂ©tĂ© civile».
Les syndicats partagent des craintes sur l'avenir du CSP, à l'heure où Blanquer multiplierait, selon Lussault, «sans discussion ni concertation, les annonces souvent unilatérales qui [l']arrangent opportunément» pour justifier ses choix programmatiques et méthodologiques. Popineau abonde : «On a le sentiment que le ministre avance seul, sans le CSP et sans les enseignants.»