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SE-UNSA AIX-MARSEILLE


 Par SE-UNSA AIX-MARSEILLE
 Le  lundi 14 mai 2018

Parler « addictions » au collège

 

Photo Tiphaine - Edited Pourriez-vous nous présenter votre établissement en quelques mots/chiffres ?

Le collège La Croix des Sarrasins se trouve à Auxonne, ville de près de 8000 habitants située à une quarantaine de minutes de Dijon, dans le département de la Côte d’Or en Région Bourgogne/Franche-Comté. Il s’agit d’un établissement rural de quelques 700 élèves, accueillant des classes SEGPA ainsi qu’une classe ULIS. Malgré sa proximité avec la capitale régionale, quelques caractéristiques socio-économiques sont à noter : taux de chômage élevé, problème de mobilité géographique du fait d’un encrage territorial fort touchant massivement les catégories socio-professionnelles les plus fragiles (cela est encore plus vrai pour les jeunes filles, ce qui rend complexe l’orientation de certaines), présence de familles gens du voyage bien souvent sédentarisées, stratégie d’évitement du collège de certaines familles néo-rurales qui privilégient une scolarité dijonnaise en milieu de collège et ceci est encore plus marqué pour certains lycéens.

Comment est né ce projet sur les addictions ?

La problématique des addictions est vaste : de quelles additions parle-t-on ? Faut-il évoquer tous les types d’addictions et ce, dès le collège ? Comment mobiliser les parents ? L’ensemble de la communauté éducative ? Doit-on simplement rappeler la Loi ou véritablement prendre le problème à bras le corps quand on sait que les addictions peuvent toucher à l’intime de l’élève et/ou de sa famille ? S’agit-il simplement d’informer ? De prévenir ? De punir ?

Notre démarche est d’évoquer les addictions de manière générale et d’en expliquer le processus de « cercle infernal » commun à toutes les addictions : tabac, alcool, drogues (dont les médicaments), écrans et même le sexe ! C’est en comprenant les signes, les rouages, les conséquences d’une situation où soi-même ou un proche est « accro » que l’on construit avec les élèves une vraie réflexion en mouvement. Au collège, notre ambition est de semer les « graines d’intérêt et de compréhension » de ces phénomènes à la fois psychiques, physiologiques, sociologiques, donc complexes pour les adolescents.

Ce projet est l’émanation d’une réflexion partagée entre la direction, les collègues infirmières, assistante sociale, psychologue de l’Education Nationale et l’ensemble du service de la vie scolaire. Cette démarche s’inscrit logiquement dans notre projet d’établissement dont l’un des axes de travail est l’amélioration continue du climat scolaire Les addictions peuvent être manifestes ou cachées ; notre travail consiste donc à évoquer clairement et sans tabou les différentes addictions afin d’outiller nos élèves qui seront tentés, entraînés, ou témoins de ce problème. L’enjeu est donc de taille : il s’agit d’informer, d’anticiper pour protéger au sein du collège mais aussi de former nos élèves en les éveillant, dans le sens de « les mettre en éveil » en matière d’addictions.

Pourriez-vous nous expliquer comment se mettent en place les interventions sur les addictions dans votre collège ?

Depuis trois ans, nous faisons appel à la Gendarmerie qui informe les élèves d’une part et, d’autre part, effectue un rappel à la Loi en décrivant les différents délits et amendes et/ou peines associés aux problèmes d’addictions. Cette approche est essentielle mais incomplète ; c’est la raison pour laquelle nous expérimentons une nouvelle formule : les Gendarmes interviennent à raison d’une heure et demie dans chaque classe de 5ème, ce qui constitue un socle commun minimum, enrichi par l’impact fort que constitue la venue de la Gendarmerie au sein des classes. Pour les 4èmes, nous faisons appel aux compétences d’un spécialiste : Gérard Cagni, addictologue de son état. J’ai eu l’occasion de croiser ce professionnel en qualité de parent d’élève, dans le cadre d’une conférence dédiée aux parents : j’avais alors beaucoup appris et apprécié la démarche de ce monsieur. Son approche consiste non pas à faire la morale, à faire peur, mais à éveiller l’esprit critique, à convoquer l’intelligence et le bon sens des jeunes. Il part du principe que les adolescents tenteront, qu’ils expérimenteront de nouvelles choses, qu’ils brûleront plus ou moins leurs ailes. Selon lui, cette attitude est normale, logique voire souhaitable pour grandir. À partir de ce postulat, Gérard Cagni instaure un dialogue en toute liberté, point de départ indispensable pour expliquer, décortiquer les processus d’addictions.

Comment cette collaboration avec cet addictologue se traduit-elle ?

Nous avons demandé à M. Cagni de faire un zoom sur les problématiques liées aux écrans et au cyberharcèlement tout particulièrement. il nous a semblé indispensable de monter ce projet face à de nombreux problèmes liés, amplifiés, relayés par Internet (via les réseaux sociaux) qui s’invitent au collège. Ainsi, les 5èmes bénéficient d’une première étape d’information ; puis, en 4ème, ils approfondissent avec ce spécialiste et partagent leurs ressentis, leurs expériences ; enfin, en 3ème, dans le cadre de notre dispositif de tutorat 6èmes/3èmes, certains élèvent pourront sensibiliser et transmettre leurs connaissances sur le sujet auprès des plus jeunes, à travers une ou plusieurs actions à choisir et à élaborer ensemble.

Cette année, à l’occasion des Portes Ouvertes du collège, des 4èmes volontaires vont bâtir, sous le regard aiguisé de Gérard Cagni, un questionnaire simple à faire passer aux futurs 6èmes. Ils s’appuieront sur un power point ludique, première approche d’une problématique encore une fois, très complexe qui nécessite plusieurs piqûres de rappel, d’où un projet étape par étape.

En parallèle, en amont de ses interventions au collège, une conférence pour les parents et les personnels a été proposée en présence de cet addictologue : avancer sur ce sujet, comme sur tant d’autres, ne peut se faire sans les parents qui sont, bien souvent, désarmés par ce sujet. La perspective recherchée est de dépasser les formules du type « fumer, ce n’est pas bien », « boire, c’est dangereux », « se droguer, c’est catastrophique » … Il s’agit de sortir d’une vision répressive pour progresser vers une réflexion nourrie par des faits (mécanismes psycho-physiologiques, conséquences sociales…). En parlant de fait, je voudrais illustrer mes propos par le cas d’un jeune de terminale que j’ai suivi lorsque je travaillais en lycée : ce jeune multi-addict (marijuana, alcool, médicament) a été obligé de déménager, harcelé par ses dealers auxquels il devait plus de 6000 euros. Ses parents ont épongé la dette, le jeune a effectué un séjour assez long à l’hôpital puis, la famille a déménagé dans une autre région afin de rompre tout contact toxique. Je reste marquée par ce jeune homme qui ne mangeait presque plus, ne dormait plus ; il était constamment mis sous pression par ses dealers. Malheureusement, ce n’est pas un cas isolé… Les addictions mènent à une multitude de problème connexes : maladies, dépression, suicide, harcèlement, dettes, prostitution… L’école doit outiller les élèves en fonction de leur âge. Quand on constate l’âge auquel les jeunes possèdent un téléphone, outil idéal pour contacter, être contacté, regarder toutes sortes de vidéos, s’informer ou se désinformer, les addictions liées aux écrans ont de beaux jours devant elles si l’ensemble des acteurs de l’éducation et les professionnels de santé n’agissent pas en amont.

Quels sont les bénéfices de ces actions sur les élèves ?

Il est trop tôt pour le dire mais si, dans un premier temps, la parole des jeunes est écoutée, libérée, alors, on peut imaginer que cette action sur le moyen terme impactera positivement leur vie de collégien, de lycéen et au-delà !

Si l’on arrive à mettre en place un tutorat 3èmes/6èmes sur cette question, ce projet prendra alors tout son sens. L’enjeu est de responsabiliser, d’autonomiser les jeunes en leur transmettant des outils et des réflexes qui leur permettront de mieux « gérer » leurs réactions face aux additions.

Si vous aviez une citation ou un proverbe à choisir pour illustrer ce projet, quel serait-il ?

« La liberté est choix » (Jean-Paul Sartre) : être addict, c’est être esclave ! Nous souhaitons former des citoyens libres de leurs pensées, de leurs actes et donc de leurs choix ! Du moins, nous efforçons-nous de tendre vers ce bel objectif, ce qui implique d’intégrer, parmi nos différentes et nombreuses missions, un travail sur les addictions.

Tiphaine Saulais
Collège La Croix des Sarrasins, Auxonne (21)
Académie de Dijon