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SE-UNSA AIX-MARSEILLE


 Par SE-UNSA AIX-MARSEILLE
 Le  vendredi 24 novembre 2017

Ils sont bénévoles auprès des migrants, témoignages

 

  • Babette Collignon, professeure de lettres, accueille des étudiants non francophones en classe de BTS.

Nous nous rencontrons à la rentrée : ils sont perdus et en l’espace de quelques semaines, ils le seront encore davantage. La discipline que j’enseigne est la CGE, Culture Générale et Expression et nous devons communiquer… en français. Nous savons tous combien notre langue est difficile, combien l’est aussi l’épreuve passée en fin de seconde année et pour la préparer, le temps imparti est minutieusement compté.

Pour un étudiant non francophone, coupé de ses racines et des siens, c’est une épreuve au quotidien : prendre la parole, lire à haute voix, lire pour soi, comprendre ce que l’on lit, ce qui est dit, se faire comprendre, tenter de s’approprier une culture qui n’est pas la sienne, penser l’abstraction et la dire… les difficultés sont multiples et semblent le plus souvent insurmontables pour l’étudiant qui essaie de maintenir la tête hors de l’eau et pour le professeur qui doit transmettre méthodes et connaissances.

Rien n’est prévu dans le volume horaire pour apporter l’aide spécifique qui serait nécessaire. Alors on sort les emplois du temps pour trouver des temps de rencontre et chacun fait de son mieux, dans l’urgence, avec l’impression perpétuelle et persistante de « bricoler » pour atteindre un résultat qui ne satisfait personne.

Babette Collignon

  • Témoignage de Rémy Wyhinnyj

Le CAO (Centre d’Accueil et d’Orientation) est situé à une vingtaine de kilomètres d’Arras, dans un petit village. Omar, Adam, Mussa, Abdallah et leurs camarades ont été accueillis après le démantèlement de la jungle de Calais. Le centre était un ancien EHPAD. Rémy, le directeur du centre social municipal a encadré les nouveaux arrivants dès le début. L’organisation était sous la tutelle de « la vie active » qui est gestionnaire de l’ensemble des centres du Pas de Calais.

Ils étaient 36 soudanais et 1 nigérien, âgés de 21 à 60 ans. La moyenne était de 28 ans. Il n’y avait que des hommes. Leur niveau d’études allait de l’analphabétisme à quelques-uns qui avait un niveau d’étude élevé. Seul le jeune qui venait de Guinée parlait le français et nous servait d’interprète au début. La plupart des soudanais était allophones, quelques-uns s’exprimaient un peu en anglais et en arabe, leur langue maternelle.
Au début apprendre le français n’était pas objectif principal. À leur arrivée, leur objectif était de s’installer en France, avoir un toit et se nourrir.

Puis le CAO a eu des impératifs : il fallait qu’ils reçoivent un minimum de 6 mois d’apprentissage du français. Ensuite la demande est venue assez vite des hommes car pour demander le statut de « demandeur d’asile politique » il leur fallait connaître un minimum de français. Au début, on n’avait pas une organisation très opérationnelle en ce qui concerne les cours de français. L’apprentissage du français n’était pas inscrit dans le cahier des charges. Mais petit à petit, avec l’implication des bénévoles originaires du village, mais pas seulement, certains venait depuis Arras voire de Paris pour quelques-uns. Les cours se sont mis en place. Les bénévoles étaient des retraités, des enseignants en activité et des personnes actives qui voulaient donner de leur temps pour enseigner, et aussi certains venaient du secours catholiques.

Chacun s’organisait comme il le souhaitait, en fonction de ses compétences et de ses disponibilités, puis les groupes se sont faits par affinité entre les bénévoles et les « gentils soudanais » comme ils les appelaient. Les cours avaient une durée comprise entre une demi-heure et 6 heures par jour. Pour certains, au début cela leur paraissait beaucoup et petit à petit, ils se sont mis à suivre leurs camarades et ont vu leurs efforts récompensés. Chaque bénévole ou binôme avait sa propre pédagogie pour atteindre son objectif, il n’y avait pas de réelle coordination, mais cela fonctionnait bien.

En voici quelques exemples :

  • Utilisation du livre de la classe de CP
  • Dialogue
  • Mise en situation dans des scénettes de la vie quotidienne
  • Se rendre à la poste et dans les commerces de proximité pour s’exprimer

De plus ils avaient droit avant tout à une formation de 200 h de français dispensée par un centre de formation arrageois afin de passer « l’AFP2I ». Mais avant d’accéder à cette formation, ils ont passé un test. Cette formation de 200 heures de cours sera reconduite s’ils en font la demande. Certains comme Nazeer (21 ans) ont été remarqué par l’École de la 2ème chance. Un stage lui a été proposé aux cuisines de l’hôpital d’Arras. Quelques-uns ont été repérés par des entreprises qui cherchent désespérément des manœuvres. Depuis le CAO a fermé et devrait ré-ouvrir sous le statut de CAES (Centre d’Accueil et d’Examen de Situation), les séjours y seront très courts (quelques jours) et il aura pour but de mettre en place un dispositif spécifique permettant d’accélérer les demandes d’asile. Il nous sera alors impossible de poursuivre nos actions éducatives.

Rémy Wyhinnyj

  • Témoignage de Pascale et Laurent ; bénévoles en binôme 

Pascale est responsable d’une centrale d’achat d’une grande marque américaine (vêtement). Laurent est chimiste dans un laboratoire américain implanté près d’Arras. Dès l’annonce de l’installation d’un CAO (Centre d’Accueil et d’Orientation) dans notre village, des manifestations haineuses se sont déclarées.

C’est sans aucun doute par réaction à la haine que nous nous sommes portés volontaires pour accueillir et aider les jeunes soudanais du centre. Avant de dispenser un quelconque enseignement, nous avons reçu immédiatement de la part de ces jeunes gens, chaleur humaine et reconnaissance. Peu à peu des liens privilégiés se sont noués avec Alsadig, Mohamed et Altayeb qui nous accueillaient tous les samedis matin avec un large sourire et un café-gingembre (à la soudanaise).

Dans leur cahier d’écolier, des dizaines de dessins illustrés, de listes de mots ou encore de tables de conjugaison sont collés soigneusement. N’étant pas professionnels de l’éducation nationale, nous avons pioché sur internet des documents conçus pour l’enseignement du français à des adultes. Au fil des semaines, nous nous sommes découvert de nouveaux amis attachants. Le temps passé avec eux (cours de français mais aussi de musique, cuisine etc…) nous a fait prendre conscience de l’importance de notre soutien moral, de l’importance de nos encouragements pour ces hommes qui ont fui l’atrocité de la guerre mais aussi qui ont quitté leur famille.

Ces échanges nous ont aussi révélé la richesse que nous y avons trouvée : la richesse du cœur et ce que nous avons reçu et partagé n’a pas de prix. Un an s’est écoulé, cette amitié se poursuit avec Alsadig et Mohamed qui ont choisi de vivre dans notre région et nous continuons à leur donner quelques cours de français.

Pascale et Laurent