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SE-UNSA AIX-MARSEILLE


 Par SE-UNSA AIX-MARSEILLE
 Le  vendredi 17 mars 2017

Conférence sur la différenciation pédagogique

 

La recherche au service de la différentiation pédagogique
 

Le CNESCO* organisait une nouvelle conférence de consensus les 8 et 9 mars à Paris dont la thématique était la différentiation pédagogique (DP). Plusieurs chercheurs ont présenté leurs travaux à un jury d’experts qui devra proposer des préconisations au courant du mois d’avril.

La DP est une tâche complexe pour les enseignants : « c’est une pédagogie des processus. Elle met en œuvre un cadre souple où les apprentissages sont suffisamment explicités et diversifiés pour que les élèves puissent travailler selon leurs propres itinéraires d’appropriation tout en restant dans une démarche collective d’enseignement des savoirs et savoir-faire communs exigés. »

Cette démarche demande une prise en compte de nombreux facteurs comme le montrent les postulats de Burns**,  Il n’y a pas 2 apprenants qui :

1 – progressent à la même vitesse.

2 – soient prêts à apprendre en même temps.

3 – utilisent les mêmes techniques d’étude.

4 – résolvent les problèmes exactement de la même manière.

5 – possèdent le même répertoire de comportements.

6 – possèdent le même profil d’intérêt.

Les postulats de BURNS édités dans « Essor des didactiques et des apprentissages scolaires » de JP ASTOLFI, 1995 mettent en évidence la complexité de la tâche de l’enseignant pour satisfaire les attentes de tous.

La DP doit se faire suite à l’identification des besoins des élèves.

  1. Quand a lieu la DP par rapport à l’enseignement d’une notion :

– Avant (tester, réactiver, préparer)

– Pendant (soutenir, adapter, évaluer)

– Après (revoir, exercer)

  1. dispositifs/gestes : groupes de besoins, plan de travail, tutorat, table d’appui (espace dédié à l’aide).

La DP n’est pas une science exacte, elle peut provoquer les effets contraires à ceux recherchés lorsqu’elle n’est pas assez pensée. Étant destinée à réduire les difficultés de certains élèves, il faut d’abord connaître ces dernières. Elle ne viennent pas forcément d’un manque de connaissances. Les enseignants doivent se demander pourquoi certaines connaissances ne sont pas acquises. De plus, ce n’est pas le nombre mais plutôt le profil des élèves qui va permettre ou pas de la faciliter. Une bonne dynamique de groupe, des rapports constructifs entre élèves sont bons pour l’entraide et le tutorat.

Processus de différenciation passive

L’enseignant installe des situations d’enseignement (entrée dans l’écrit, situation de recherche, résolution de problème…). Cependant, l’activité en elle même ne suffit pas pour provoquer un apprentissage. Il est attendu un certain nombre de prédispositions de la part de l’élève pour qu’il investisse ces situations et qu’il en comprenne les enjeux. Or, les élèves possèdent inégalement ces prérequis qui permettent ce saut cognitif entre l’exercice et le savoir, et sans doute parce qu’ils sont bien souvent « invisibles » ou non conscientisés ou difficilement « explicitables », ils sont peu ou pas enseignés. S’installent alors un certain nombre de malentendus entre l’enseignant et certains élèves. La notion de malentendus vient ici rompre avec une conception « déficitariste », voire déterministe, qui attribue les échecs scolaires de certains élèves à des causes sociales, ou à l’absence de travail personnel. Pour Jean-Yves Rochex et Jacques Crinon ce sont davantage des processus institutionnels ou didactiques qui facilitent, gênent ou interdisent l’appropriation des savoirs par les élèves indépendamment du milieu socio-culturel auquel ils appartiennent.

Quand l’enseignant installe une situation, il dévoile rarement ses intentions en termes d’apprentissages à ses élèves. S’ils accomplissent la tâche demandée, certains élèves ne perçoivent pas forcément l’enjeu de l’activité, l’intérêt en terme d’apprentissage qui va permettre de construire du savoir. Bien souvent, l’enseignant priorise la forme de l’activité, pour la rendre attractive et appropriable, au détriment du savoir en jeu. Or, se méprendre sur l’enjeu d’une tâche empêche de comprendre et d’apprendre, permet tout au plus d’effectuer la tâche, en dépit même d’un investissement cognitif élevé. La reprise faite par l’enseignant après l’activité, permet rarement de revenir sur les processus intellectuels, les stratégies et les points d’appui utilisés. La charge est donc laissée aux élèves de mettre en relation les tâches entre elles, de percevoir les savoirs qui s’émancipent de ces tâches et d’anticiper sur d’autres tâches. Seuls certains élèves y parviennent. Ce sont ceux qui disposent de prédispositions pertinentes acquises en général hors de la classe, dans leur univers familial, ou lors d’une étape antérieure de leur cursus scolaire. Ces élèves initiés s’engagent dans le dispositif, non pas en respectant les consignes matérielles et chronologiques, mais en embrassant préalablement l’agencement général du dispositif pour entrevoir les étapes, les articulations par lesquelles il va falloir passer, et ensuite investissent chacune des tâches à la lumière de la conscience des sauts cognitifs qu’ils savent attendus.

L’enseignant peut croire que l’élève qui a réussi l’activité demandée a assimilé les savoirs visés. Or, le non-initié peut arrêter l’essentiel de son activité au terme du faire sans construire les savoirs et les connaissances liés à ce savoir-faire. Les élèves peuvent ne pas percevoir que le faire n’est qu’une étape pour accéder au comprendre, que la phase qui suit, où l’on tire le sens de l’expérience, est la phase la plus importante. Ils peuvent se réfugier dans les tâches faciles et mécaniques qui leur permettent de trouver une place dans la classe, et passent ainsi à côté des activités intellectuelles plus exigeantes. Ces connaissances non enseignées et ces compétences non prises en charge dans le cadre scolaire sont ainsi laissées au hasard des autres opportunités éducatives dans le milieu familial notamment. Ainsi Jean-Yves Rochex et Jacques Crinon montrent que le système scolaire sélectionne les élèves pour une large part sur ce qu’il ne leur enseigne pas.

Processus de différenciation active

On a vu que les situations effectives dans lesquelles sont placés les élèves ne correspondent que rarement à celles que l’enseignant pense avoir installées. Cela permet de comprendre qu’il ne soit pas en capacité de mesurer l’écart qui existe entre sa compréhension de la situation et la représentation que ses élèves se construisent de cette même situation, ni de percevoir pourquoi certains élèves ne réussissent pas. L’enseignant va alors avoir tendance à différencier le type de tâches et de supports pour « aider » les élèves qu’il va juger les plus en difficulté. Cette volonté sans visée pédagogique différenciée relève plutôt de modes d’adaptation où se mêlent représentations sociales, souci de bien faire et rapports différenciés aux tâches. Ceux qui sont considérés comme étant les plus faibles ne vont pas être confrontés aux connaissances et aux savoirs de la même manière que le reste de la classe.

L’enseignant va décliner les situations effectives suivant le niveau supposé des élèves, à partir d’éléments tangibles ou ressentis . Pour les élèves présupposés « faibles, » il surinvestit plutôt la dimension technique et matérielle, pour viser une valorisation de ces élèves sur des réussites ponctuelles à des tâches simples engageant essentiellement des savoirs procéduraux à automatiser. L’enseignant va devoir guider pas à pas l’élève qui a des difficultés à faire de lui-même des liens entre les dispositifs. Il va segmenter les tâches pour lui permettre de réussir chacune d’entre elles, car leur agencement dans un cheminement d’ensemble lui apparaît comme hors de portée pour l’élève en difficulté. Confrontés, de manière répétitive, à des tâches et à des apprentissages différenciés, sur des temporalités longues, parfois depuis la maternelle, les élèves œuvrent dans des univers différents avec des modalités de travail différentes, ce qui contribue à creuser un écart entre les élèves présupposés « bons », plutôt issus de classes moyennes et aisées, et les élèves présupposés « en difficultés », majoritairement d’origine populaire et appartenant à des familles immigrées ou issues de l’immigration.

Le fait de faciliter les réussites ponctuelles des élèves en difficulté en leur évitant d’avoir à se confronter aux sauts cognitifs les prive de suivre le cheminement intellectuel complet, exigé pour les autres élèves et les enferme dans des activités de moindre niveau. Cela participe à la fabrication passive de difficultés de compréhension pour les non-initiés. De manière invisible, enfermés dans ces pratiques de différenciation les élèves les plus en difficulté sont condamnés à n’avoir que rarement l’occasion de décontextualiser leurs connaissances pour élaborer du savoir. Ce que l’on attend d’eux, les ressources qu’on leur fournit et celles dont on les prive ne leur permettent pas de développer les mêmes compétences et les mêmes connaissances que les autres puisqu’ils ne sont pas mis en situation pour progresser comme leurs camarades. S’ils sont les plus faibles, ce n’est pas, ou pas seulement, parce qu’ils sont moins capables que les autres d’apprendre, mais plutôt parce que c’est à eux qu’on enseigne le moins. Se renforce ainsi année après année la difficulté scolaire. Les inégalités qui résultent de ces processus produisent leurs effets à long terme. Au fil du temps les élèves pourront avoir des niveaux très différents, sans lien avec leurs capacités propres ou celles présupposées de leurs familles à les accompagner dans leur parcours scolaire. En fait, ils n’auront pas été confrontés aux mêmes situations.

Un autre pan important de la DP, la collaboration entre enseignants:

  1. Co-intervention :

– soutien à l’élève

– interne/externe

– diversité des intervenants

– diversité de pratiques

Pédagogique :

– effets potentiellement forts

– conditions particulières

– on peut prendre de 1 à 4 élèves

Limites :

– ça coûte cher

– impact sur les élèves (stigmatisation possible, perte de temps et de contenu)

– impacts sur l’enseignement (déresponsabilisation, types de tâches proposées, groupement homogène, absence de transparence, …)

  1. Co-enseignement :

– Soutien à l’enseignant

– 2 enseignants qui se partagent la même classe avec des objectifs communs

– l’un enseigne, l’autre observe ou aide

– les deux enseignent en parallèle

– enseignement par ateliers

– enseignement alternatif

– enseignement partagé

On s’adresse à tous les élèves. Enseignement transparent, on voit l’autre faire et on peut s’approprier des techniques.

Points positifs :

– Participation volontaire

– Égalité

– Buts communs

– Responsabilité partagée

– Partage des expertises

– Imputabilité partagée

– Intensité et structure

Besoins exprimés :

– Soutien administratif

– Volontariste

– Temps de préparation accru

– Formation nécessaire

– Compatibilité entre les deux enseignants

Il faut aller vers plus de travail coopératif entre enseignants via un temps dégagé pour le travail collaboratif (plus-value remarquée au bout de deux ans en Allemagne)

  1. L’effet enseignant :

Il doit gérer les apprentissages et gérer la classe (cette partie est primordiale mais compliquée). Des études ont montré que l’effet enseignant était plus important que le milieu familial et social d’où sont issus les élèves.

Enseignement de qualité : enseignement structuré en étapes séquencées (enseignement explicite par exemple) : préparation (idées maîtresses du curriculum), interactions avec les élèves (mises en situation, expériences d’apprentissage), consolidation.

Une pratique guidée est importante, cela permet à l’enseignant de suivre le degré de compréhension de chacun.

Gestion de la clase :

prévenir les problèmes (80%)

corriger les problèmes (20%)

Tout se joue en début d’année, il faut prendre du temps pour bien installer les bons comportements.

Interventions préventives :

– installer de bonnes relations

– encadrer et superviser les élèves

– créer un environnement sécurisant, ordonné, prévisible et positif

– organiser la classe afin de maximiser le temps d’enseignement et d’apprentissage des élèves (penser aux phases de transition)

– enseigner de manière efficace afin de favoriser la réussite du plus grand nombre

Valeurs engagées : respect, responsabilité, collaboration ; à traduire en attentes comportementales.

  1. Interventions correctives au niveau de la classe :

écarts de conduite mineurs : intervention directe ou indirecte

écarts de conduite majeurs

Système de soutien aux comportements positifs

Pour plus de détails, voir le modèle RAI : http://edu1014.teluq.ca/mes-actions/modele-rai/

Le modèle comportemental de réponse à l’intervention (RAI) est un modèle d’intervention et d’organisation de services issu de la recherche en éducation réalisée aux États-Unis, qui peut être utilisé à titre préventif et pour intervenir efficacement auprès des élèves en difficulté.

Lors de la DP, il faut également faire attention à l’utilisation des supports numériques : la multiplication des formats pour répondre à tous les besoins entraîne une saturation : la charge cognitive est trop grande. Il faut limiter le nombre de sources d’information. La problématique est la même avec les liens internet qui demandent des compétences complexes : prise de décision, organisation du parcours, représentation du document.

Le rôle de l’enseignant afin d’utiliser correctement ces documents consiste à guider les élèves :

  • aider à sélectionner l’information pertinente
  • favoriser l’intégration des différents formats d’information
  • structurant et incitatif mais non restrictif (l’élève garde sa liberté pour consulter le document)

Ce guidage doit disparaître progressivement avec l’augmentation du niveau de l’élève.

Pour aller plus loin en ce qui concerne la Théorie de la charge cognitive : http://webcom.upmf-grenoble.fr/sciedu/pdessus/sapea/chargecog.html

Un des chercheurs conclut sur le fait qu’il faut garder un peu d’humilité vis à vis de la DP tellement le champ est vaste. Sur la base des travaux des chercheurs, les préconisations du jury seront là pour guider les enseignants qui sont confrontés à la réalité de la classe tous les jours.