Retour à l'article normal

SE-UNSA AIX-MARSEILLE


 Par SE-UNSA AIX-MARSEILLE
 Le  lundi 19 décembre 2016

Le redoublement en questions : une interview de Nathalie Mons

 

Nathalie MONS, membre du CNESCO, le mardi 28 Janvier 2014 - ©Philippe Devernay

Professeure de sociologie à l’université de Cergy-Pontoise, Nathalie Mons est spécialisée dans l’action publique et consacre ses recherches à l’évaluation des politiques éducatives. En 2012, elle a copiloté la concertation pour la refondation de l’École. Elle est depuis janvier 2014 la première présidente du Conseil national d’évaluation du système scolaire (CNESCO).

Le Cnesco organise en partenariat avec l’Ifé un cycle de conférence de consensus dont la première portera en janvier 2015 sur le redoublement. Mais qu’est-ce qu’une conférence de consensus ?

Une conférence de consensus vise à faire dialoguer sur une thématique scolaire qui fait débat chercheurs, praticiens de l’éducation et grand public autour des résultats de la recherche qui peuvent faire avancer l’école.

Concrètement, la conférence de consensus conduit à établir au final des recommandations fondées sur les résultats de la recherche, les connaissances scientifiques et les pratiques de terrain, nationales et internationales. Ces recommandations se concrétisent, sous la forme de conclusions écrites par un jury d’acteurs de terrain, dont des enseignants, après qu’il a auditionné des experts. C’est un outil majeur et efficace de dialogue entre le monde de la recherche et les acteurs de terrain. Les praticiens sont donc un acteur majeur de la conférence. On les retrouve à tous les stades de notre conférence qui dure une petite année : ce sont eux qui élaborent dans près de 150 établissements partenaires les questions de la conférence de consensus qui seront soumises aux experts, ce sont eux encore qui font partie du jury et qui diffuseront les recommandations qui leur semblent pertinentes. Nous souhaitons également que des enseignants, des chefs d’établissement entre autres puissent venir nous parler de pratiques pédagogiques qui sont des alternatives au redoublement.

Pourquoi le CNESCO a-t-il choisi le redoublement comme sujet de sa première conférence de consensus ?

La France demeure l’un des pays où les élèves redoublent le plus dans l’OCDE, comme le montre PISA ou les statistiques nationales.  Près d’un tiers des élèves ont redoublé à 15 ans alors que nombre de pays se sont convertis à la promotion automatique des élèves ou limitent de façon drastique cette pratique.

Or, l’inefficacité pédagogique du redoublement qui fait consensus dans une recherche de qualité, sa nocivité psychologique pour les élèves, ses effets à très long terme jusque dans l’insertion professionnelle des jeunes adultes qui ont redoublé font du redoublement un sujet sur lequel l’école française doit réfléchir de façon approfondie. Le débat ne porte pas seulement sur le recul ou la suppression du redoublement  mais aussi, pour  les praticiens et les parents, sur les solutions alternatives au redoublement. Si on ne fait pas redoubler les élèves, que faut-il faire pour prévenir l’échec scolaire ?  Le Cnesco et l’Ifé ont aussi choisi ce sujet car il nous a semblé « mûr » : même si le niveau du redoublement demeure en France très élevé,  les statistiques les plus récentes mettent en évidence son recul depuis dix ans. Cela montre que cette réflexion est déjà entamée dans la communauté éducative et qu’elle est donc prête à bouger dans ses représentations  et ses pratiques. Mais les solutions alternatives notamment institutionnelles manquent en France et les praticiens de terrain peuvent avoir l’impression d’être démunis. D’où l’idée de commencer par cette thématique sur laquelle la conférence de consensus peut apportera une analyse scientifique des effets du redoublement et une étude des solutions alternatives qui peut aider à faire bouger les acteurs de terrain.

Comment peut-on expliquer une certaine persistance du recours au redoublement de la part des équipes pédagogiques, mais aussi de la part des familles ?

Nos interviews de praticiens – enseignants, chefs d’établissement…- nous montrent que le thème est bien débattu dans les établissements scolaires, dans les salles des profs, il existe d’ailleurs des injonctions institutionnelles fortes pour faire reculer le redoublement. Mais si la pratique, bien qu’en recul persiste, c’est parce qu’il n’y a pas d’alternatives ou peu d’alternatives efficaces au traitement de la difficulté scolaire. Il existe des initiatives locales qui sont conduites par des établissements mais le soutien institutionnel aux politiques locales de prévention de l’échec scolaire demeure faible, à l’exception des quelques dispositifs d’accompagnement personnalisé ou autres aides individualisées qui se développent aux marges des classes et dont l’efficacité est encore à démontrer.

Et puis il faut savoir que le redoublement a aussi des fonctions que les sociologues appellent « latentes » et qui sont tout aussi centrales. Le redoublement, par l’incitation au travail scolaire qu’il induit implicitement, sert aussi à réguler la discipline dans les classes ou à dynamiser le travail scolaire. D’ailleurs, c’est pour cette raison que certains pays, les USA par exemple, après avoir considéré la suppression du redoublement ont seulement mis en place des politiques visant à le faire reculer mais sans l’interdire.

Et du côté parents, l’attachement n’est pas moins fort.

Les sondages montrent à la fois de façon récurrente un attachement fort au redoublement par près des 2/3 des parents, avec des différences selon les catégories socio-professionnelles. Mais les mêmes sondages montrent aussi que les parents soutiennent dans des proportions tout aussi importantes les solutions alternatives qui seraient apportées : le suivi plus individualisé des élèves notamment. Donc pour résumer, quand on demande aux parents dans les sondages s’ils veulent changer la forme scolaire traditionnelle qu’ils ont connu enfants, ils répondent négativement mais si on leur propose d’autres solutions ils y adhèrent tout autant. L’attachement des parents au redoublement pose cependant une question qui est centrale : la faiblesse de l’information sur les formations et les métiers et le manque de valorisation des voies technologiques et professionnelles. Nombre d’entre eux continuent, notamment en 3ème ou en 2nde à exiger le redoublement, qui est un droit dans les classes d’orientation faute d’informations approfondies sur la poursuite d’études au lycée. Les classes de 3ème et de seconde sont les classes les plus redoublées de toute la scolarité, loin devant celles de CP et de CE1 qui sont pourtant les plus redoublées au primaire.

Peut-on espérer réduire davantage voire supprimer les redoublements dans un système éducatif par ailleurs inchangé ?

Le sujet du redoublement est complexe car il pose tout autant la question de la prévention de l’échec scolaire, du rythme des apprentissages, des pédagogies différenciées et de l’information sur l’orientation. Sur les deux jours  de séances publiques de la conférence de consensus, après une journée entière  dédiée à l’analyse du redoublement – l’ampleur de cette pratique, ces effets sur les apprentissages… -, la seconde journée  sera consacrée aux alternatives au redoublement, à la fois à l’étranger mais aussi en France. Je profite, d’ailleurs de cet entretien pour vous annoncer que le Cnesco et l’IFE vont lancer  un appel à témoignage en direction des établissements qui ont mené des politiques  pédagogiques d’accompagnement des élèves ou d’orientation qui ont conduit à un recul du redoublement dans ces établissements. Il  se passe beaucoup de choses dans les établissements que nous ne connaissons pas et que nous souhaitons valoriser.

Quand se tiendra la conférence de consensus sur le redoublement ? qui peut y participer ?

Elle se tiendra les 27 et 28 janvier 2015, à Paris. Nous avons la chance d’être accueillis dans un lycée qui est confronté à ces problèmes de redoublement, nous voulions que la conférence se tienne directement dans un lieu où les praticiens travaillent. C’est une conférence qui est ouverte à tous, il suffira de s’inscrire sur les sites du Cnesco et de l’Ifé pour recevoir une invitation dans la limite des places disponibles.