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SE-UNSA AIX-MARSEILLE


 Par SE-UNSA AIX-MARSEILLE
 Le  mercredi 13 janvier 2016

Le collège français existe-t-il ?

 

par Jean Renoux - professeur agrégé d’histoire, lycée Joliot-Curie, Aubagne - responsable académique agrégés et communication du SE-Unsa  (Aix-Marseille)

Aujourd’hui, le gouvernement met en place une vaste réforme du collège qui suscite des débats parfois violents dans nos établissements. Pourtant le constat est clair et partagé par beaucoup: le collège français est un modèle épuisé, aux résultats scolaires déplorables et qui ne parvient pas actuellement à remplir sa fonction émancipatrice. Faire l’histoire du collège français sous la Ve République, c’est découvrir que l’Éducation Nationale n’a pas été en mesure d’en proposer un réel modèle opérant, le collège étant davantage une variable d’ajustement des politiques nationales d’éducation, ce qui explique sans doute les difficultés de ce moment si particulier dans le parcours scolaire des élèves.

Le collège unique n’a jamais eu lieu

L’histoire de la création des collèges d’enseignement général (CEG) en France est celle d’une réforme perpétuellement inaboutie depuis un demi-siècle, en raison de pesanteurs sociales, politiques ou idéologiques. A l’issue de la seconde guerre mondiale, dans  le contexte particulier de l’union nationale de la Libération, un projet scolaire ambitieux est dessiné pour la France par le plan Langevin-Wallon (1947). Aujourd’hui encore, les principes idéologiques de ce plan sont convoqués de manière contradictoire par la gouvernement et plusieurs syndicats. Si l’ambition d’une école émancipatrice est un mot d’ordre qui a été largement partagé, les moyens pour y parvenir eux, divergent amplement et depuis plus d’un demi-siècle, le collège a souffert d’avoir été le lieu de cette confrontation. Reprenons ainsi brièvement chronologiquement (doc. 1) l’histoire de ce collège dont la réalisation n’a jamais pu, réellement, aboutir.

Au retour de De Gaulle au pouvoir, la rénovation de l’enseignement secondaire apparaît comme une nécessité pour répondre à la transformation sociale et économique du pays, boostée par le baby boom et la forte croissance économique du pays. Par la réforme Berthoin, la scolarité obligatoire est étendue à 16 ans (au lieu de 14) et  le premier enseignement secondaire est distingué du lycée par la création de collèges où l’enseignement général commun est rapidement sanctionné par une sélection à la fin de la 2e année, soit la 5e actuellle. Cette étape sélective généralisée qu’est le collège permet de répondre à la massification scolaire alors à l’oeuvre : le nombre d’élèves scolarisés dans les collèges passe de 474 500 élèves (année 1959-60) à 789 000 élèves (1963-64). Cette politique gaullienne est approfondie par la réforme Fouchet-Capelle de 1963. Les collèges créés en 1959 sont rénovés, afin de répondre au mieux à la massification scolaire, en suivant une logique de filières très marquée, proposant peu de passerelles d’un parcours à l’autre. Le collège est le lieu en réalité de la coexistence de trois enseignements : la transition avec le primaire ; les espaces de sélection pour préparer au lycée général ; l’échappatoire des filières courtes professionnalisantes pour ceux qui ne répondent pas, très tôt, aux critères du lycée général.

Dans le sillage de la profonde contestation de mai 1968, l’élitisme d’un système scolaire excluant au collège est remis en cause, jusqu’au tournant de la loi Haby en 1975. Il s’agit d’une profonde rupture idéologique dans le système éducatif français. Par cette loi est créé un réel “collège unique” refusant la logique de filière et la sélection précoce. L’idée est celle d’un enseignement commun validée en fin d’études par un diplôme national, le DNB. Le collège est alors pensé comme un large prolongement du primaire (article 4) et doit offrir une formation initiale solide à tous les enfants, dans une logique polytechnique (même article): “tous les enfants reçoivent dans les collèges une formation secondaire. Celle-ci succède sans discontinuité à la formation primaire en vue de donner aux élèves une culture accordée à la société de leur temps. Elle repose sur un équilibre des disciplines intellectuelles, artistiques, manuelles, physiques ou sportives et permet de révéler les aptitudes et les goûts.” En refusant les filères, le collège Haby rejette l’idée d’une sélection précoce au profit d’une orientation progressive réalisée en fin de 3e, ce qui est le coeur d’un véritable “collège unique”.

Cette réforme ne fut jamais totalement appliquée, devenant rapidement une coquille vide. Le jeu des options maintenues a vite joué comme un filtre dès la 4e, maintenant de fait une logique de filière. Aussi, la force des pesanteurs sociologiques d’une part, et les résistances internes d’autre part, induisant un fort conservatisme au sein d’une structure pourtant repensée. Enfin, la peur et les difficultés posées par la massification scolaire a pu créer un réflexe de sélection et de triage afin de pouvoir être en mesure d’affronter au mieux la masse des effectifs arrivant au collège, qui a produit un rapide alourdissement des classes.

Rapidement, le “collège unique” apparaît en échec. Dans l’opinion publique, c’est ce format scolaire qui est la cible des critiques ; en vérité, les responsables publics ont conscience de la non-application réelle de la loi Haby. Suite à un rapport (le rapport Legrand), le ministre Savary propose plusieurs pistes de transformation pédagogique au sein des collèges comme l’accompagnement personnalisé, l’adaptation au public, le renforcement de l’autonomie locale, développer les activités d’expression et de production technique… Tant de points qui paraissent aujourd’hui toujours d’actualité ! Et pour cause, cette réforme, pour ne pas froisser un électorat proche du PS qui vient d’accéder au pouvoir en 1981, n’est appliquée que sur la base du volontariat ! Par la suite, les mesures et rapports se multiplient, rappelant ici et là de nombreux principes de la loi Haby, mais sans réellement les mettre en oeuvre. Ce fut le cas lors des lois Jospin (1989), avec Bayrou (livre blanc d’Alain Bouchez, en 1994, proposant notamment la pluridisciplinarité), avec le duo Allègre-Royal en 1997 ou encore Jack Lang en 2000 qui propose la création en 4ème à titre expérimental de “travaux croisés” interdisciplinaires (les itinéraires de découverte). Aucune de ces directives pour le collège ne furent durables, avec des avancées timides et des retours permanents au gré des alternances politiques, faisant du collège la variable d’ajustement de toutes les politiques éducatives, coincées entre d’autres priorités, le primaire et le secondaire supérieur...

(pour lire la suite, téléchargez la pièce jointe ci-dessous)