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Retour sur PIRLS 2016 : le regard du chercheur Roland Goigoux
Article publié le mercredi 10 janvier 2018.
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Roland Goigoux, professeur des universitĂ©s et spĂ©cialiste de l’apprentissage de la lecture, est l’auteur de l’étude de rĂ©fĂ©rence « Lire et Ă©crire Â» menĂ©e dans 131 classes de CP entre 2013 et 2015. Il revient pour le SE-Unsa sur l’enquĂŞte PIRLS et propose des pistes de travail. 

Quels sont les rĂ©sultats de l’enquĂŞte PIRLS 2016 ?

J’en évoquerai quatre, difficiles cependant à interpréter tant leurs causes sont multiples.

  1. le score des Ă©lèves français est infĂ©rieur de 5 % Ă  la moyenne europĂ©enne (511 points contre 540) ;

  2. il est en baisse depuis 2001, avec une dĂ©gradation sensible depuis 2011 ;

  3. la baisse est significative (- 22 points) pour la comprĂ©hension des textes informatifs mais moindre pour les textes narratifs (- 6 points) ;

  4. la comprĂ©hension de l’implicite pose beaucoup plus de problèmes que le simple prĂ©lèvement d’informations (20 points d’écart) : les Ă©lèves dĂ©chiffrent bien mais comprennent mal.

Comment les interprĂ©tez-vous ?

  1. Il faudrait vĂ©rifier la fabrication des Ă©chantillons rĂ©alisĂ©e par les diffĂ©rents pays. Malheureusement, nous ne disposons pas de toutes les informations nĂ©cessaires. L’âge des Ă©lèves, par exemple, pose question : la moyenne europĂ©enne est de 10,3 ans celles des Ă©lèves français de 9,8 ans. Les jeunes russes, en tĂŞte du classement, ont un an de plus que les français. La seconde explication tient Ă  la nature des Ă©preuves de PIRLS. Elles sont inhabituelles pour nos Ă©lèves qui sont rarement interrogĂ©s avec un tel raffinement sur l’implicite des textes (par exemple, sur les Ă©tats mentaux des personnages) et, surtout, peu entrainĂ©s Ă  justifier leurs rĂ©ponses et Ă  rĂ©diger des paragraphes argumentatifs pour expliquer leurs dĂ©ductions.
  2. Les rĂ©sultats de PIRLS sont contradictoires avec ceux que le ministère français avait Ă©tablis en 2016 : le « cycle d’évaluations disciplinaires rĂ©alisĂ©es sur Ă©chantillon Â» (CEDRE) rĂ©alisĂ© par la DEPP avait relevĂ© une stabilitĂ© des performances des Ă©lèves français de CM2 entre 2003, 2009 et 2015, pas une baisse. Cette Ă©valuation menĂ©e auprès de 7400 Ă©lèves (4800 pour PIRLS) Ă©tait très rigoureuse et reposait sur 18 supports Ă©crits diversifiĂ©s, pas seulement 4 textes comme c’est le cas dans PIRLS. Pourquoi mĂ©diatiser l’une au dĂ©triment de l’autre ? L’école française comptait, en 2015, moins d’élèves en très grande difficultĂ© (11 %) qu’en 2003 (15 %) mais la part d’écoliers très performants baissait aussi, ce qui se traduisait par un resserrement vers les groupes intermĂ©diaires. Cette tendance est d’ailleurs confirmĂ©e par PIRLS.

Si la dĂ©gradation constatĂ©e par PIRLS Ă©tait avĂ©rĂ©e, on devrait s’interroger sur l’impact de la rĂ©duction de la durĂ©e hebdomadaire de l’enseignement (24 h au lieu de 26h) dĂ©cidĂ©e en 2007. Selon nos observations, cette diminution s’est souvent accompagnĂ©e d’une rĂ©duction du temps allouĂ© Ă  la lecture car il est plus facile d’allĂ©ger le temps consacrĂ© Ă  l’acquisition d’un savoir-faire que de supprimer certains savoirs notionnels inscrits au programme (grammaire ou histoire, par exemple). La lecture pourtant a besoin d’entrainement pour s’affermir ; il n’est pas sans consĂ©quence de renvoyer sa pratique hors de l’école.

On pourrait aussi s’interroger la priorité accordée, en 2008, par l’Éducation nationale à la maitrise de la langue car le propre d’une priorité est de faire passer le reste au second plan. Malgré les discours adressés à la presse, l’enseignement de la lecture n’est pas une priorité dans notre pays qui considère toujours – et de plus en plus depuis 2006 – qu’elle est l’affaire du CP. Nous ne devons donc pas être étonnés que la situation ne s’améliore pas.

Comment expliquez-vous les rĂ©sultats 3 et 4 ?

Ils ne sont pas surprenants pour ceux qui connaissent les pratiques pĂ©dagogiques au cours Ă©lĂ©mentaire ; rappelons en effet que PIRLS a Ă©tĂ© administrĂ© au premier trimestre du CM1. Au CE, on apprend Ă  lire, on ne lit pas pour apprendre : les textes informatifs sont des supports occasionnels pour les apprentissages disciplinaires en histoire, gĂ©ographie ou sciences mais ils ne sont pas l’objet d’un enseignement spĂ©cifique. On n’apprend pas aux Ă©lèves Ă  les traiter.

Les textes narratifs sont plus nombreux mais ils ne donnent pas lieu non plus Ă  un enseignement explicite des stratĂ©gies connues pour amĂ©liorer la qualitĂ© de la comprĂ©hension. Les maitres – comme les auteurs des Ă©valuations ministĂ©rielles pour le CE – incitent surtout les Ă©lèves Ă  montrer qu’ils ont bien dĂ©chiffrĂ© et qu’ils savent prĂ©lever des informations explicites. Les compĂ©tences de haut niveau sont peu exercĂ©es. Bref, les rĂ©sultats de PIRLS sont le reflet de ce qui est enseignĂ© en classe. D’après les auteurs du rapport PIRLS, qui confirme nos propres observations, plus d’un tiers des Ă©lèves ne savent pas comment rĂ©guler leur propre comprĂ©hension. Ils ne savent pas ralentir, s’arrĂŞter, se mettre en alerte, revenir en arrière, rĂ©soudre un problème que le texte pose mais qu’ils n’identifient pas : ils attendent qu’on leur pose des questions pour rĂ©flĂ©chir et n’utilisent pour cela que les informations explicites. Ă€ force de rĂ©pĂ©ter que « la lecture n’est pas un jeu de devinette Â», on a oubliĂ© de leur apprendre Ă  dĂ©duire des informations Ă  partir des donnĂ©es du texte et Ă  mobiliser des connaissances extĂ©rieures au texte, bref Ă  raisonner. Sur ce point, CEDRE et PIRLS convergent pour signaler un dĂ©ficit de connaissance des stratĂ©gies de lecture utilisables par les Ă©lèves1.

Les pratiques pĂ©dagogiques n’ont-elles pas Ă©voluĂ© ?

MalgrĂ© nos propositions didactiques (cf. Lectorino & Lectorinette, par exemple), malheureusement peu relayĂ©es en formation continue (la faiblesse de cette formation est une autre des grandes caractĂ©ristiques françaises), l’enseignement explicite et structurĂ© de la comprĂ©hension est peu prĂ©sent dans de nombreuses classes de cours Ă©lĂ©mentaire. Les maitres disent manquer de temps pour cela. Rares sont ceux qui y consacrent plus d’une sĂ©ance de 45 minutes par semaine, souvent une lecture silencieuse suivie d’un questionnaire individuel et d’une correction collective. C’est très insuffisant. PIRLS montre aussi que les enseignants français, comparĂ©s Ă  leurs collègues Ă©trangers, recourent beaucoup moins souvent Ă  des tâches dont l’efficacitĂ© a pourtant Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© : Ă©laborer des infĂ©rences Ă  partir du texte, relier ce que les Ă©lèves ont lu Ă  leur propre expĂ©rience, s’interroger sur les intentions de l’auteur, etc. Les ministres successifs ont tellement insistĂ© sur le dĂ©chiffrage et sa nĂ©cessaire automatisation que les entrainements de « fluence Â» (pour accroitre la fluiditĂ© de la lecture) ont envahi l’espace pĂ©dagogique. Les Ă©lèves passent beaucoup de temps Ă  lire et relire les mĂŞmes extraits Ă  voix haute et, par consĂ©quent, moins de temps Ă  lire entre les lignes, Ă  raisonner et Ă  argumenter. Le temps dĂ©diĂ© Ă  l’enseignement de la comprĂ©hension, dĂ©jĂ  affectĂ© par la semaine de 24 heures, s’en trouve encore rĂ©duit (voir par exemple le rapport n° 2013-066 de l’Inspection gĂ©nĂ©rale en 2013 et les contributions prĂ©paratoires Ă  la confĂ©rence de consensus de 2016).

Que pensez-vous des mesures annoncĂ©es par le ministre suite Ă  la publication des rĂ©sultats de l’enquĂŞte ?

Elles ne sont pas Ă  la hauteur du problème identifiĂ© et ne font que renforcer la conception « Ă©tapiste Â» de la lecture (le code d’abord, la comprĂ©hension plus tard, si on a le temps) qui nous paralyse. Le ministre rĂ©itère les deux erreurs que je viens de pointer : il survalorise l’orthographe en attirant l’attention des maitres sur la dictĂ©e (l’impact de l’orthographe sur la comprĂ©hension en lecture est très faible) et il fait porter au cours prĂ©paratoire la responsabilitĂ© des difficultĂ©s. Or le dĂ©chiffrage n’est pas le problème principal des Ă©lèves français. Ă€ la fin du CE1, par exemple, ils parviennent Ă  lire 76 mots par minute ce qui est au-dessus de la moyenne de bon nombre de pays europĂ©ens. En revanche, l’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© des performances est forte : 20 % des Ă©lèves ne dĂ©passent pas 50 mots alors que 20 % en lisent plus de 100 dans le mĂŞme temps. Le problème n’est donc pas celui des mĂ©thodes au CP, c’est celui de la diffĂ©renciation pĂ©dagogique et de l’aide personnalisĂ©e, un chantier Ă  rĂ©ouvrir.

Que faudrait-il, selon vous, mettre en place pour amĂ©liorer la comprĂ©hension de l’écrit des Ă©lèves français ?

  • Concevoir un rĂ©el enseignement de la comprĂ©hension, sur un continuum allant de la maternelle Ă  la 6e sans interruption.

  • Suivre les recommandations que le directeur gĂ©nĂ©ral de l’enseignement scolaire faisait en 2010, un certain Jean-Michel Blanquer, qui indiquait aux enseignants de CE et de CM que la lecture silencieuse suivie de questionnaires ne suffisait pas.

  • Suivre les recommandations du jury de la confĂ©rence de consensus organisĂ©e en 2016 par le CNESCO : « dĂ©velopper des stratĂ©gies de lecture-comprĂ©hension en privilĂ©giant un enseignement explicite pour tous les Ă©lèves et le prolonger aussi longtemps que nĂ©cessaire pour les Ă©lèves moyens ou faibles afin d’en faire des lecteurs autonomes. Â»

  • Utiliser les outils didactiques qui visent l’enseignement explicite de la comprĂ©hension. Les plus anciens sont ceux que notre Ă©quipe a Ă©laborĂ©s il y a dix ans (Collection Lector & Lectrix) mais il en existe bien d’autres qui peuvent les complĂ©ter. L’important est que des moments spĂ©cifiques soient dĂ©diĂ©s Ă  cet enseignement en lien Ă©troit avec une prioritĂ© accordĂ©e au vocabulaire. Le lexique est l’un des facteurs qui explique le mieux les difficultĂ©s de comprĂ©hension de nos Ă©lèves. Son enseignement devrait ĂŞtre indissociable de celui de la lecture.

 

1 La DEPP explique pudiquement que ces diffĂ©rences « s’expliquent vraisemblablement par l’accent plus ou moins marquĂ© que met chaque système Ă©ducatif sur l’enseignement de ces processus de comprĂ©hension, Ă  ce niveau de scolaritĂ© Â».

Sur le mĂŞme sujet vous pouvez lire aussi sur notre blog :
Résultats de l’enquête PIRLS 2016
Comment travailler la compréhension ?

 

 

 
 
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