Marie Robert est directrice pédagogique de l'unique Lycée Montessori de France où elle enseigne également la philosophie aux lycéens et aux primaires. Avec son collaborateur Alexandre d'Esclaibes, elle est à l'origine de l'ouverture, à la rentrée prochaine, d'une nouvelle école maternelle et primaire à Marseille doublée d'un centre de formation à Montessori destiné aux enseignants du public, et aux parents. C'est l'occasion pour nous de présenter cette pédagogie innovante et les synergies possibles avec l'enseignement public. Aujourd'hui, douze écoles Montessori existent dans notre académie et les ouvertures se multiplient signe du dynamisme actuel de cette éducation qui interroge sans cesse les pratiques pédagogiques.

“À la rentrée prochaine, vous ouvrez une école maternelle et primaire à Marseille dans le XIIe arrondissement. Cette initiative pédagogique pourtant née au début du XXe siècle reste encore trop méconnue en France : comment pourrait-on la résumer ?

Marie Robert - La pédagogie de Maria Montessori telle que nous la pratiquons a pour point de départ une envie, un but, un horizon : celui de permettre aux enfants de devenir des adultes autonomes, ancrés dans leur existence, capables d'interroger et d'assumer leurs choix. Pour cela, nous mettons en avant trois piliers. D'abord, l'individualisation du savoir : chaque élève à sa propre temporalité, qui diffère selon les domaines. En fonctionnant avec des plans de travail adaptés et en permettant aux élèves de contrôler eux-mêmes, leurs erreurs, on respecte le rythme des uns et des autres. Le professeur devient un accompagnant, qui guide, qui encourage, qui indique, plutôt qu'un représentant de l'autorité. Le deuxième point est le passage par le concret, chaque notion est d'abord abordée grâce à du matériel. La main, l'expérience, et l'ensemble des sens, font partie du processus cognitif. Le dernier apport est sans doute quelque chose de plus diffus, et pourtant essentiel : c'est la confiance, l'idée que nous sommes des partenaires, travaillant en vue de l'épanouissement de l'élève. L'éthique de la bienveillance n'est pas un concept creux et à la mode, c'est une pratique quotidienne, qui se dévoile dans une capacité à voir l'élève comme une énigme, et à travailler ensemble à des hypothèses qui lui permettrait d'être plus en présence avec son apprentissage. Au fond, c'est accepter que nos élèves vivent pleinement leur altérité ! Il y a beaucoup de bon sens dans la pédagogie Montessori ! Et puis dans nos écoles, Montessori-Esclaibes, nous ajoutons le bilinguisme ! 

"Stimuler tout le spectre cognitif"

L'école Montessori est souvent associée au premier degré. Pourtant vous enseignez dans l'unique lycée Montessori dont vous êtes également directrice pédagogique. Comment peut s'appliquer la pédagogie Montessori dans le 2nd degré ?

M. R - C'est une question quotidienne ! Et cette réflexion fait de notre lycée un vrai laboratoire de pédagogie ! L'idée est de conserver les plans de travail, ce qui permet de garder un rythme individuel. Nous avons très peu recours au tableau, à part pour expliquer certaines notions en commun ou pour faire vivre un récit. Le reste du temps, l'enseignant passe dans la classe et suit la progression de l'élève presque en tête à tête. On conserve aussi l'idée du concret, en mettant en place des ateliers ou en proposant la réalisation de projets qui intègrent une dimension collective, absolument fondamentale. Revues de presse, exposés, ateliers d'écriture, etc., font intégralement partie de notre pédagogie. L'idée n'est pas de faire du "ludique" mais de stimuler tout le spectre cognitif. Pour ma part, j'utilise beaucoup le cinéma, pas seulement parce que j'adore et que certaines références me semblent incontournables dans l'histoire de la pensée, mais aussi parce qu'analyser un plan de film, offre l'opportunité aux élèves de saisir plus aisément l'analyse de textes. L'enjeu est de respecter les programmes en inventant en permanence de nouveaux parcours ! On ne s'ennuie pas tellement ! 

La pédagogie Montessori, par ignorance, est souvent perçue comme une niche pédagogique, à l'image de bien d'autres initiatives (Freinet, collège Clisthène à Bordeaux). Nombre de détracteurs ciblent alors l'incapacité de ces initiatives locales à être élargies à une plus grande échelle, ne pouvant supposément s'adresser qu'à des cas particuliers, très isolés. Pourtant, l'intérêt renouvelé des parents pour les outils Montessori ou les ouvertures d'écoles qui se multiplient semblent indiquer l'inverse...

M.R. - Il est évident que des effectifs réduits autorisent une meilleure mise en place de la pédagogie. Et il faut aussi être honnêtes, et admettre qu'une approche montessorienne demande beaucoup de rigueur ainsi qu'une certaine expertise, car de nombreuses écoles ouvrent mais ferment aussi. Pourtant, notre expérience nous montre que les outils mis en place ont des résultats pragmatiques sidérants. Car au-delà de l'état d'esprit, il est fascinant de constater que certaines notions sont beaucoup plus simples à acquérir avec une approche concrète. D'où l'intérêt de former les professeurs, de les sensibiliser à cette pratique, et de les aider à les instaurer dans des classes plus nombreuses. Certains points peuvent tout à fait être systématisés. Et puis comme je vous le disais, il y a aussi beaucoup de bon sens dans les remarques de Maria Montessori : une fois que l'on est initié au matériel, on s'aperçoit qu'il répond en grande partie à notre intuition. On oublie que la pédagogie a pour objectif de fluidifier notre rapport au savoir, de le rendre moins abrupt, voilà sans doute ce que cherchent les parents... Un élève de CM2 m'a fait comprendre l'extraction d'une racine carrée, pour la littéraire que je suis et qui n'avait jamais rien compris, c'est la preuve que la pédagogie répond à une nécessité pratique ! 

"C'est grâce à l'énergie des enseignants du public que nous ferons bouger les frontières"

Vous êtes très attachée au rapprochement entre le public et les écoles Montessori. Comment mettez-vous en oeuvre ce dialogue entre deux enseignements ?

M. R - Les enseignants du public sont des héros. Je le dis en toute sincérité. Je suis intimement convaincue que l'opinion ne se rend pas du tout compte des réalités pragmatiques auxquelles se confrontent au quotidien les professeurs. Chaque journée est un défi. A travers notre organisme de formation, nous rencontrons de très nombreux enseignants du public, nos échanges sont passionnants car ils sont en constante recherche de solutions afin d'avancer dans leur classe. Ils financent eux-mêmes leur modules, se battent pour installer du matériel dans leurs salles, fabriquent des cartes de nomenclature, lancent des groupes de réflexion etc.  Nous sommes convaincus que c'est précisément grâce à leur énergie et leur motivation que nous ferons bouger les frontières et que nous diffuserons notre approche. Idéalement, nous aimerions que les écoles privées Montessori n'existent pas et que la pédagogie soit intégrée au cursus classique. En plus de nos formations, nous ouvrons nos écoles aux enseignants afin qu'ils viennent observer notre démarche. Nous dialoguons lors de petit-déjeuners pédagogiques que nous mettons en place à Marseille, et puis, nous sommes en train de monter une association ayant pour but de récolter des fonds et de proposer d'équiper en matériel des classes pilotes afin de convaincre à travers des preuves... C'est aussi éreintant que palpitant mais l'espoir est invincible ! Ca bouge déjà beaucoup !”

Propos recueillis par J. Renoux

Pour aller plus loin et en savoir plus 

Le site internet de la nouvelle école Montessori de Marseille : ici

La page facebook de l'école Montessori de Marseille : ici

L'organisme de formation Montessori : ici