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SE-UNSA HORS DE FRANCE


 Par SE-UNSA HDF
 Le  jeudi 7 mai 2020

COVID-19 : interview de notre collègue Sébastien , enseignant en Autriche

 

     1/ Comment est gérée la crise dans ton pays d'exercice ?

Pour répondre à cette question, plus encore que pour tout autre pays je crois, il faut vraiment comprendre le contexte local. Les collègues des pays scandinaves ou d’Allemagne retrouveront une culture proche de celle qu’ils connaissent.

Le décor, d’abord. L’Autriche. Un pays d’Europe centrale avec une très longue tradition de consensus politique et social. L’architecture héritée de l’empire austro-hongrois côtoie les premiers logements sociaux du continent; le président de la République, un écologiste historique, travaille en bonne entente avec un chancelier conservateur de 33 ans, les portefeuilles ministériels sont partagés entre les différentes sensibilités politiques du pays. Un peu comme si M. Sarkozy avait travaillé avec M. Hulot pour l’écologie et les «insoumis» sur les question sociales, tout ça en lien avec un MEDEF qui semble trouver presque tout cela normal! Attention, cela ne veut pas dire que le compromis est plus facile qu’ailleurs: il y a peu, il a conduit à une dissolution du gouvernement. Mais le consensus, ici, est un choix de société, un contrat; pas un renoncement, mais la capacité de sacrifier une partie de ses intérêts si c’est au bénéfice d’un projet de société souhaité par la majorité. Blocages ou grève sont donc vécus comme un échec et une absurdité: les partenaires sociaux étant associés aux réformes, qu’ils cosignent, sont nécessairement engagés par eux et en assurent la pédagogie jusqu’au sein de chaque entreprise. On parle alors de « Betriebsrat », c’est-à-dire, mot à mot, de « conseil d’entreprise », plutôt que de « syndicats » - qui existent aussi mais qui impliquent un rapport de forces et un combat plus idéologique plus que pratique.

Dans ce contexte, l’Autriche a géré la crise du coronavirus avec beaucoup de sang-froid. Chancelier et président autrichiens ont pris la parole vite, posément, imposant un style – pédagogique, clair, appelant à faire preuve d’une attitude responsable, sans être tragique ni moralisateur. Discours de 5 minutes maximum à chaque intervention, avec dès les premiers jours, un axe simple : il ne peut surtout pas s’agir de faire disparaître le virus (la nature continuera d’en produire comme elle l’a toujours fait) mais seulement de faire baisser le plus possible la courbe des cas graves afin que les services restent toujours en mesure de les soigner (graphiques à l’appui à l’écran). Le reste, c’est une série de mesures maintenant connues ailleurs mais mises en place ici dès la première semaine sans hésitation: confinement strict tout en veillant aux plus fragiles autour de soi («en te protégeant je me protège») et des milliards pour que tous ceux qui perdent de l’argent en n’allant plus travailler, par civisme, soient totalement indemnisés. Même les détracteurs du chancelier – l’opposition existe comme partout! – s’accordent sur le fait que c’est une gestion de crise quasi parfaite.

2/ Comment s'est déroulée la fermeture de l'établissement ?

Le lycée français de Vienne a été le premier établissement scolaire touché en Autriche, directement au retour des vacances de février ! La raison ? Une de nos familles était présente au rassemblement religieux qui s’est révélé être – après coup - un foyer majeur de l’épidémie dans l’Est de la France. Ne pouvant sans doute pas faire encore de lien, elle ne s’est pas signalée tout de suite à la rentrée, le lundi 3 mars; mais des symptômes se sont déclarés après seulement deux jours de classe et par prévention, selon les préconisations d’alors du ministère autrichien, les élèves et enseignants de cette classe ont été invités à rester chez eux, en attendant les résultats des tests. Le vendredi 6 mars, après une réunion avec l’ambassadeur de France, et en concertation avec les autorités autrichiennes, les deux sites du lycée français ont été fermés – de la maternelle à la classe préparatoire aux grandes écoles. Le même jour, le gouvernement autrichien a finalement décidé de fermer toutes les écoles autrichiennes, les deux informations se sont donc télescopées, créant un peu d’émoi parfois – tout arrivait d’un coup. Mais tout faisait sens, aussi : les vacances de février étant traditionnellement dédiées au ski, les enfants s’étaient évidemment promenés à travers tout le pays, en même temps que le virus !

Depuis le 6 mars, jour de la fermeture du lycée français, la direction a communiqué chaque semaine avec les familles et les enseignants, au moyen du site internet ou de Pronote, faisant un point de situation, rappelant les consignes du pays d’accueil et la déclinaison locale des injonctions ministérielles françaises. Le premier weekend, personne ne savait ce qui était en train de se passer ; on savait seulement qu’il était en train de se passer quelque chose et que le gouvernement autrichien avait été clair : la bonne échelle, ce n’était pas de compter en semaines, mais probablement en mois. La première semaine a donc consisté à trouver la bonne façon d’aborder le problème : en attendant les consignes des directeurs d’écoles et de notre proviseure, qui eux-mêmes les attendaient vraisemblablement de Vienne ou de Paris, reprendre contact avec nos classes, proposer du travail, bref continuer comme si, maintenir de la normalité. Les semaines suivantes, jusqu’aux vacances de Pâques, finies le 19 avril, ont permis de mettre en place des outils, de rôder de nouvelles habitudes – et de découvrir que je n’étais pas seul à me dire que le CNED ne me serait d’aucun secours, et que je m’épuisais, au sens propre, ainsi que mes élèves, à force de vouloir maintenir coûte que coûte cette damnée continuité pédagogique !

Au total, même si tout n’est pas parfait évidemment dans le détail, il faut reconnaître que la direction de l’établissement a compris qu’elle pouvait compter sur les équipes pédagogiques, solides et engagées, afin de l’aider à construire une réponse durable et adaptée. Le service informatique a proposé de nouveaux outils et renforcé les actions de formation, capitalisant sur les retours de collègues pour tester et proposer des solutions viables. Le choix a été fait de la simplicité, quitte à faire certains compromis. Mieux vaut un outil qui marche et qui est convivial, car il sera adopté, plutôt que le meilleur qui provoquera plus de stress ! Après quelques hésitations ou couacs, je crois qu’on s’en tire bien. Même très bien. L’équipe du SE-Unsa, qui représente tous les personnels – enseignants du primaire et du secondaire, agents administratifs ou techniques – et qui dispose ici, à Vienne, de la majorité des voix au conseil d’établissement, a fait un énorme travail pour prévenir, proposer, accompagner les décisions qui ont été prises. Un immense bravo à Marie, Olivier, Karine et Françoise!

3/ Étais-tu déjà habitué au télétravail (ex: classe inversée, ...) ?

De façon générale, je n’ai jamais eu d’appréhensions face aux outils numériques. Comme mon écriture est devenue indéchiffrable avec la fin de mes études, je me suis mis vite à l’ordinateur ! C’était en 1995, quatre ans avant les moniteurs monochromes de Matrix, Windows 95 et les ports USB … autant dire la préhistoire. Depuis, par curiosité et puis parce que je suis sans doute geek, je me suis porté volontaire pour certaines expérimentations pédagogiques. Par exemple, le projet européen «eTwinning », qui consiste à créer avec nos élèves une banque de vidéos de référence afin d’offrir des cours de philosophie en libre accès sur internet. Depuis septembre, la maison d’édition pour laquelle je travaille à un manuel de philosophie m’a amené à ne faire que du télétravail. Du coup, je me suis approprié les ressources offertes par les logiciels dans le cadre d’un travail collaboratif : documents partagés, prise de contrôle à distance d’un écran, rétro-injection des contenus vers internet, etc…

Le hasard a donc fait que j’étais prêt, en un sens. Mais on ne l’est jamais autant qu’on le croit, ni à ce qu’il faudrait. L’expérience récente m’a montré, par exemple, que Pronote, que j’utilise pourtant depuis des années, offre bien plus de ressources que celles que je connais. Moi qui pestais parfois contre l’interface datée, j’ai finalement découvert, grâce à 3 semaines de confinement, que je pouvais faire des QCM assez sophistiqués qui valent bien ceux de Moodle. Belle occasion de rire de moi-même et de mes propres habitudes. Ouf ! Le prof de philo était sauvé… mais de justesse !

4/ Comment cette continuité pédagogique par le biais du travail en distanciel a-t-elle fait évoluer tes pratiques pédagogiques mais aussi tes relations avec les élèves, les parents ou même tes collègues ?

 Le vieux prof de philo que je suis – 48 ans et 25 ans d’enseignement comme titulaire – éprouvait déjà le besoin de se renouveler depuis quelque temps. Projeter ses cours, les agrémenter d’images ou d’extraits de films, c’est ce que je fais depuis les années 2000, comme beaucoup d’entre nous. Mine de rien, c’était il y a 20 ans - la moitié d’une carrière. Depuis, Amazon interdit d’utiliser Powerpoint, c’est dire si on a vite fait de se retrouver à critiquer un monde qui n’existe déjà plus depuis longtemps ! Mais entre cours, khôlles de classe préparatoire, corrections de copies, engagement syndical, pas moyen. J’ai donc continué ce que je savais faire. Aujourd’hui, avec le confinement et les outils nouveaux que j’utilise – Zoom et Padlet, dont je découvre que le primaire connait l’usage depuis longtemps ! – j’entrevois de nouvelles façons d’interagir avec mes classes, de construire et critiquer ensemble des contenus tirés du web, de valoriser différemment certaines pratiques anciennes, comme les schémas, afin d’aller vers des cartes mentales dynamiques où les réseaux conceptuels se redessinent en continu.

En tant que professeur principal d’une terminale, donc d’une classe à examen, j’ai vite compris qu’à défaut de prendre la meilleure des décisions – qui peut prétendre savoir ce qu’on dira de tout cela dans un an ? – il faut parfois juste savoir en prendre une et s’y tenir. Elèves comme parents veulent croire – comme chacun de nous – que tout est sous contrôle. Ce qui est évidemment déraisonnable. Nous ne savons même pas si nous posons les bonnes questions, alors comment vouloir être sûr des réponses ? Mais même si ce n’est pas vrai, tous apprécient que vous ayez travaillé à le faire croire, gentiment. Cela vaut pour mes collègues, à qui j’adresse un mail par semaine pour rappeler objectifs et consignes du moment. Appréciations de Parcoursup et conseils de classe sont maintenant passés. Le reste est à écrire. Je me dis qu’au pire des cas, la rentrée aura lieu en septembre. Ce qui tombe bien, quand on y réfléchit  !