Dans cette tribune à « l’Obs », l’ensemble des responsables de l’Unsa, syndicat majoritaires chez les proviseurs et cadres de l’Education nationale, demandent à Nicole Belloubet de ne pas suivre le « choc des savoirs » conçu par le Premier ministre et dénoncent les pénuries de personnels.
Madame la Ministre, alors que vous prenez vos fonctions, vous aurez un choix décisif à porter, celui d’un modèle éducatif pour la France. Un modèle s’est ébauché avec les mesures appelées « choc des savoirs », annoncées par Gabriel Attal en décembre 2023. Nous, personnels d’accompagnement, administratif, de direction, d’éducation, d’enseignement, d’inspection, de santé, de service social, technique, nous vous exhortons à revenir sur ce choix dangereux pour la France et sa jeunesse et nous continuerons à nous y opposer.
Ce qu’on appelle le choc des savoirs n’est pas si nouveau. En Angleterre, dans certains Etats américains, des gouvernements ont voulu recentrer les enseignements sur les mathématiques et la langue du pays et concentrer les évaluations sur la préparation aux tests standardisés internationaux (Pisa, TIMSS). Ces expériences ont eu des résultats douteux. La pression sur les résultats a détérioré l’attractivité des métiers de l’éducation. Le recentrage des enseignements sur un petit nombre de disciplines, en favorisant le bachotage pour les tests annuels, a dégradé le sens des apprentissages pour les élèves. Le dirigisme pédagogique, qui corsète le choix des manuels et des méthodes pédagogiques soi-disant probantes, en automatisant le travail enseignant, participe à la dévalorisation de ce métier et renforce la pénurie de personnels qui devient un problème majeur des systèmes éducatifs à l’étranger. Est-ce dans cette voie que vous voulez vous engager, sous le faux prétexte de bon sens et en affirmant vouloir suivre les résultats de la recherche ?
Nous, secrétaires générales et secrétaires généraux des syndicats de l’Unsa Education, deuxième organisation représentative des personnels dans l’éducation nationale, exigeons de tourner le dos à ces mesures rétrogrades et passéistes pour faire prendre un autre cap au système éducatif de la France.
Faites confiance aux personnels, dans le cadre de l’autonomie des établissements, en réduisant les mille et une enquêtes qui épuisent les équipes locales, pour faire foisonner l’autonomie pédagogique, avec des marges pour faire des choix éducatifs et pédagogiques adaptés au terrain, avec le soutien des corps d’inspection, dont le rôle d’accompagnement et de pilotage d’une diversité de pratiques pédagogiques efficaces en contexte serait renforcé.
Faites confiance aux équipes pédagogiques, pour développer des projets transversaux qui donnent du sens au travail scolaire et permettent de mieux suivre les élèves, en faisant baisser les effectifs des classes ou encore en accompagnant mieux les personnels pour réussir l’inclusion.
Faites confiance aux personnels, quels que soient leurs fonctions et leurs lieux d’exercices, pour assurer leur autonomie professionnelle et pour revaloriser leur fonction dans la société, en leur laissant faire des choix au plus proche du terrain. Donnez-leur du temps pour travailler en équipe, en inter-métiers, pour se former, pour croiser leurs regards sur les enfants et les jeunes, et ainsi, mieux les protéger et les éduquer.
Faites confiance au sens de l’histoire éducative française quand depuis 60 ans tous les efforts de vos prédécesseurs et prédécesseuses ont tendu à supprimer les voies de relégation, à renforcer l’égalité en dignité de toutes les orientations, en supprimant les filières au collège, en facilitant l’accès des jeunes à des niveaux de qualification. Leur permettant ainsi tous les possibles, en reprenant le pouvoir sur leur destin. Renoncez à la mise en œuvre des groupes de niveaux, au brevet qui exclut du lycée, deux mesures qui font partie du choc des savoirs. Prenez à bras-le-corps les vrais défis de la France et notamment la mixité sociale qui est le ferment de la République, pour que la fraternité ne soit pas un mot creux.
Faites confiance à la jeunesse de France. Donnez aux jeunes les moyens de prendre plus de décisions dans leurs écoles et leurs établissements, avec plus de place pour les compétences sociales dans le quotidien scolaire, pour apprendre à coopérer, à faire des choix éclairés, en donnant une place centrale au bien-être à l’école et au climat scolaire, au lieu de vouloir imposer des échelles de sanction depuis Paris ou la couleur des t-shirts par décret.
Dans l’édition 2023 du baromètre des métiers mené par l’Unsa Education, 91 % des personnels se déclaraient en désaccord avec les choix politiques de leur ministère.
Alors, Madame la Ministre, revenez sur des choix dont la mise en œuvre posera problème dès la rentrée 2024. Vous aurez le soutien des personnels qui, quel que soit leur métier, s’impliquent aujourd’hui sans compter, achètent sur leurs deniers le matériel pour leurs élèves, travaillent soir et week-end sur le fonctionnement des écoles et des établissements, et s’exténuent à dépasser les pénuries de personnels qui font de notre ministère, sous-administré, un piètre modèle de gestion des ressources humaines.