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SE-UNSA 93


 Par SE-UNSA 093
 Le  jeudi 31 mai 2012

Le socle commun

 

Serge Boimare : profiter des recommandations du socle commun

Le psychopédagogue Serge Boimare vient de publier aux éditions Dunod “La peur d’enseigner” (2012), livre dans lequel il incite les professeurs à profiter des recommandations du socle commun. 

Avec son autorisation et celle de l’éditeur, nous reproduisons ici un large extrait consacré à la question du socle commun (p.85-88)

Des objectifs qui ne négligent plus les compétences et les attitudes

“Développer l’esprit critique, permettre l’accès à la culture, stimuler la curiosité et la créativité, aider à exprimer sa pensée au plus juste de ses intentions, donner la conscience de l’universel, aider les élèves à devenir des citoyens actifs et responsables…”
Et si les propositions contenues dans le socle annonçaient la révolution pédagogique que nous sommes nombreux à attendre ? Et si les propositions contenues dans le socle, permettaient enfin que soit prise en compte dans le travail pédagogique la nécessité de construire et d’améliorer des attitudes indispensables aux plus fragiles pour pouvoir apprendre ?
Ces recommandations qui s’attachent à donner du sens et de l’intérêt à la culture scolaire sont-elles compatibles avec une transmission exigeante des savoirs ?
Bien évidemment, pour s’en convaincre, il suffit de lire avec attention la liste des connaissances et des compétences faisant partie du socle pour maîtriser la langue française et avoir une culture humaniste. Il suffit de faire la liste des lois fondamentales de mathématiques, de sciences et de technologie à connaître à la fin de la scolarité obligatoire.
Avec un peu d’objectivité et d’honnêteté, nous verrons qu’à l’heure actuelle nous en sommes loin, pour plus de la moitié de nos élèves.
Ces recommandations qui veulent tenir compte des différences de rythme dans les apprentissages vont-elles freiner nos meilleures élèves ?
Cette crainte, si facile à agiter chez les parents, n’a pas lieu d’être. Pourquoi les meilleurs n’y trouveraient-ils pas les conditions d’une pleine réussite ?
L’esprit critique, l’autonomie, l’expression personnelle manquent parfois à nos bons élèves, ici elle est l’objet d’attention. Arrêtons de dire qu’il s’agit d’un apport accessoire ou marginal, c’est une véritable nécessité pour diminuer le nombre de ceux qui échouent à l’université, faute de pouvoir se resituer devant une approche de la connaissance, qui sollicite davantage d’indépendance d’esprit et leurs capacités réflexives.

Des pistes pédagogiques encore à inventer
Mais comment faire pour que ces bonnes intentions passent au niveau de la pratique ? Comment en professeur doit-il s’y prendre pour faire progresser ces attitudes ?

  • faire des ponts entre les disciplines ?
  • donner du sens à la culture ?
  • se placer du point de vue de l’élève ?
  • augmenter les pratiques artistiques et sportives ?
  • suivre la progression de chacun grâce au livret personnel de compétences ?
  • faire des études surveillées et du tutorat ?

Puisque ce sont quelques-unes des pistes évoquées pour atteindre le niveau du socle.
Mais à l’évidence, elles sont trop floues et trop généralistes. Encore une fois, elles ne feront qu’alimenter la peur d’enseigner des professeurs qui ont besoin de recommandations plus pratiques et plus précises pour se rassurer et pour oser se lancer dans une pratique différente.
Comment faire progresser des capacités personnelles qui ont des racines psychologiques et éducatives, quand on a été à peine formé à la technique de transmission des savoirs disciplinaires ?
Cette mission paraît d’emblée illusoire à certains. Devant cette impossibilité, le plus simple est encore d’attaquer ce à quoi on n’a pas accès. C’est ainsi que l’on entend déjà dire, que les savoirs sont bradés, que nous entrons dans l’aire de la démagogie, que le livret de compétences est une “usine à cases”, que les professeurs ne sont pas des psychologues, etc.
Arrêtons avec ces critiques injustifiées qui empêchent encore une fois que se mettent en place des propositions cohérentes, exigeantes et utiles qui ont fait leur preuve dans d’autres pays européens qui nous devancent dans les classements internationaux.
[...] Il est possible de faire interagir la présentation des savoirs avec un souci de faire progresser (ou parfois de mettre en place), des attitudes, sans lesquelles il n’est pas envisageable d’aborder les contraintes de l’apprentissage avec les plus faibles.
Pour moi le plus logique est encore de partir des cinq besoins fondamentaux des empêchés de penser : être intéressé, être nourri, être entraîné à la réflexion, trouver du sens aux savoirs fondamentaux, être intégré au groupe. [...] En respectant ces besoins essentiels pour ceux qui habituellement ne trouvent pas leur place dans la classe, il n’y a que des bonnes choses à attendre, tant pour une transmission exigeante des connaissances que pour l’épanouissement de nos meilleurs élèves et la sérénité de nos écoles.

Roger Monjo : le socle commun, une nouvelle approche de l’obligation scolaire

Au-delà des questions traditionnellement évoquées (certes importantes) lorsqu’on débat du socle commun (les destinataires du socle, la distinction du socle et du programme et la question de leur évaluation, l’organisation scolaire à promouvoir, …), il est une question qui me semble plus fondamentale encore car elle constitue une sorte de question préalable. Il s’agit, tout simplement, de la question de l’obligation scolaire. Une question, en effet, centrale dans la mesure où le socle commun, cet ensemble de connaissances et de compétences que tout élève devra avoir acquis « à l’issue de la scolarité obligatoire », a d’abord vocation, à mes yeux, à redonner du sens à cette obligation.

Cette hypothèse de devoir, aujourd’hui, redonner du sens à l’obligation scolaire peut paraître incongrue au regard du consensus qui a toujours accompagné la régulière augmentation de sa durée depuis son instauration : 13 ans au début, 14 ans dans les années 30, 16 ans depuis les années 60, certains évoquant même, à l’heure actuelle, la perspective de sa prolongation jusqu’à 18 ans. Pourtant, ce consensus me semble, aujourd’hui, objectivement fragilisé.

La promesse d’une intégration réussie à la « communauté des citoyens », en échange d’une soumission préalable à un dispositif de formation contraignant, a été au cœur de ce consensus. C’est précisément ce « deal » républicain qui est devenu problématique. En distinguant l’obligation scolaire « légale » (l’âge inscrit dans la loi) et l’obligation scolaire « réelle » (cet âge auquel il convient de sortir de l’école aujourd’hui pour pouvoir espérer une intégration sociale, professionnelle et politique réussie, âge que mesure assez bien ce qu’il est convenu d’appeler « l’espérance de vie scolaire moyenne »), force est de constater que l’écart entre les deux n’a cessé de se creuser durant les dernières décennies. Longtemps, l’âge fixé pour l’obligation scolaire a correspondu à l’âge auquel une masse importante d’élèves sortait effectivement du système éducatif. Ce n’est plus le cas aujourd’hui et un élève qui se contente de respecter strictement l’obligation scolaire est, le plus souvent, un élève en échec.

Comment, alors, continuer à justifier l’obligation scolaire, s’il n’est plus possible d’invoquer le pacte républicain des origines ?

La réponse s’énoncerait ainsi : en renonçant à interpréter cette obligation comme l’imposition d’une discipline en échange de la promesse, de plus en plus difficile à tenir, d’une insertion socioprofessionnelle, mais aussi politique, réussie et en revenant à sa signification première ou véritable, anthropologique plus qu’historique. C’est-à-dire en l’interprétant comme une obligation qui pèse d’abord sur l’école, les éducateurs et, plus généralement, les adultes : l’obligation d’instruire et d’éduquer les nouvelles générations. Une obligation absolue mais, en même temps, sans contrepartie véritable, une sorte d’impératif catégorique qui s’inscrit, au-delà du droit, dans le registre de l’éthique. C’est précisément, me semble-t-il, le sens du socle commun, lorsqu’on l’interprète en terme d’obligation de résultats.

On peut faire un parallèle entre la loi de 2005 et la loi de 2007 qui instaure le « droit au logement opposable ». Or, on réalise aujourd’hui, au vu des difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de ce droit, la charge d’utopie dont il était porteur. De telle sorte que certains (Alain Renaut, par exemple) propose de considérer ce droit davantage comme un droit moral que comme un droit strictement juridique. Un droit inconditionnel qui génère un impératif absolu pour celui qui a la charge de satisfaire ce droit, mais un droit sans véritable recours, c’est-à-dire un recours qui pourrait déboucher sur une véritable « sanction », du côté de celui qui en est titulaire.

La même analyse vaut, me semble-t-il, pour le socle commun, entendu comme ce « droit opposable » qui permettrait de renouveler la signification de l’obligation scolaire comme obligation d’instruire et d’éduquer. Car, autant on sait sanctionner un élève (c’est-à-dire ses parents …) lorsqu’il ne respecte pas l’obligation scolaire, autant on ne saurait pas comment sanctionner un enseignant dès lors que l’obligation d’instruire dans laquelle il est n’a pas produit l’effet attendu, en l’occurrence la maîtrise par l’élève, à l’issue de cette « scolarité obligatoire », du socle commun. On est donc bien, là aussi, dans l’ordre de l’exigence éthique plus que de la contrainte juridique. Dans l’ordre de l’utopie, mais au sens où une utopie peut être mobilisatrice. De telle sorte que l’expression « droit inconditionnel » serait sans doute plus pertinente que « droit opposable ».

Je vois une deuxième conséquence importante de cette interprétation du socle commun comme obligation de résultats, entendue dans un sens éthique plus que juridique : la rupture avec le ciblage « social » de l’obligation scolaire.

Ce qui légitime fondamentalement le caractère obligatoire de l’école, c’est sa dimension commune. L’école ne peut être obligatoire que si elle est (et que tant qu’elle est) commune. Tant que l’école est obligatoire, toutes les opportunités doivent rester ouvertes pour tous les élèves car ce sont des êtres en devenir. Réciproquement, le seul impératif, la seule obligation véritable qui pèse sur une telle école, c’est précisément de produire du commun. Le « commun » au sens de l’ordinaire : une telle école doit échapper à la logique de l’excellence (qui implique compétition et sélection). Mais le commun au sens, aussi, de ce qui est partagé. Cette perspective d’une mise en commun se situe au-delà de l’opposition à laquelle on réduit souvent le débat aujourd’hui, en particulier à propos du collège, l’opposition de la différenciation, voire de l’individualisation et de l’homogénéisation, voire de la standardisation. Il s’agit, en réalité, de rapprocher, de rassembler, de faire du lien, sans pour autant nier les différences. Au contraire même, puisque ce sont précisément ces différences qui font la richesse de ce qui est partagé, mis en commun. C’est pourquoi l’appellation « école commune » me semble finalement préférable à l’appellation « école unique ».

Roger Monjo

Maître de Conférences en sciences de l’éducation

Université Montpellier3