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SE-UNSA 91


 Par SE-UNSA 91
 Le  mardi 15 octobre 2013

Un système représentatif injuste

 

LU DANS LIBÉRATION DU 4 MAI 2006
Un système représentatif injuste
ALAIN OLIVE, DE L’UNSA, SATISFAIT PAR UN RAPPORT SUR LA FAIBLESSE DE LA DÉMOCRATIE SOCIALE EN FRANCE

 

Faut-il changer les règles de la démocratie sociale ? Dominique de Villepin avait lancé avant la crise du CPE deux missions de réflexion sur le sujet. La première, consacrée au dialogue social, avait été confiée à Dominique-Jean Chertier, ancien conseiller social de Jean-Pierre Raffarin. Remis le 20 avril au Premier ministre, ce premier rapport propose d’inscrire dans la Constitution l’obligation de laisser aux partenaires sociaux le temps de la concertation avant toute modification du code du travail. La seconde mission, conférée à un membre du Conseil d’Etat, Raphaël Hadas-Lebel, s’est penchée sur la représentativité et le financement des syndicats. Son rapport a été remis hier à Matignon. Première concernée par une modification des règles de représentativité, l’Unsa (Union nationale des syndicats autonomes) est reconnue dans le secteur public, mais pas dans le privé où elle est pourtant implantée dans nombre de branches professionnelles. Pour son secrétaire général, Alain Olive, ces deux rapports doivent être l’occasion de lancer un débat de fond sur la démocratie sociale.

Après le rapport Chertier sur le dialogue social, celui d’Hadas-Lebel sur la représentativité syndicale et les insuffisances de la démocratie sociale. Que faudrait-il faire ?

Qu’un tel rapport puisse voir le jour est déjà une première victoire, quand on connaît le conservatisme et la frilosité des différents acteurs sur un tel sujet. Depuis des années, l’Unsa se bat contre un système de représentativité syndicale injuste, discriminatoire et mortifère pour le syndicalisme. Faut-il rappeler que le code du travail interdit à nos militants de se présenter au premier tour des élections dans les entreprises ? La représentativité syndicale doit être démocratiquement vérifiée et non plus administrativement octroyée : le rapport Hadas-Lebel ne dit pas autre chose. Son auteur conclut qu’une réforme est inéluctable afin de rendre les syndicats plus légitimes. Il propose comme pistes de réflexion d’apprécier la représentativité des syndicats en fonction des résultats obtenus lors des élections prud’homales. Reste désormais à traduire ces préconisations dans les faits. Il faut notamment revoir les conditions de la négociation collective. C’est un mal français : nous n’avons pas les outils pertinents pour mener de vraies négociations sociales. Les politiques, qu’ils soient de droite ou de gauche, ne veulent pas changer le fonctionnement du dialogue social par crainte d’être dépossédés d’une part de leur pouvoir. Et de leur côté les bureaucraties syndicales résistent de toutes leurs forces, car les règles actuelles justifient leur existence.

Au moins, lors de la mobilisation contre le CPE, l’intersyndicale à douze a bien fonctionné, et jusqu’au bout...

C’était une première. Nous avions un cas un peu particulier avec huit organisations syndicales de salariés, deux d’étudiants et deux de lycéens. C’est ce qui nous a permis de dépasser les logiques d’appareil. Il a suffi que nous sortions des règles habituelles de représentativité pour avancer ensemble. Cela montre à quel point notre système de démocratie sociale est dépassé, en décalage avec la réalité. L’intersyndicale à douze n’avait rien d’un cadre légal mais a pu revendiquer une légitimité débouchant sur une vraie victoire : le retrait du CPE.

Le syndicalisme français souffre déjà de la faiblesse de ses effectifs. Si l’on change les règles de représentativité, ne risque-t-on pas d’en accentuer son morcellement ?

La tradition française du pluralisme syndical n’a pas vocation à durer indéfiniment. Ce pluralisme sert trop souvent à cacher des patriotismes d’appareil générateurs d’inefficacité. Pour autant, les appels incantatoires à l’unité ne servent pas à grand-chose, et les syndicats n’ont rien à gagner à une bipolarisation entre réformistes et contestataires. Le CPE a au moins montré que l’on pouvait, sur un sujet bien précis, mener jusqu’au bout une action commune.

Autre innovation dans l’affaire du CPE : les discussions directes avec les parlementaires pour sortir de la crise...

La négociation entre parlementaire et syndicats est quelque chose qui se fait naturellement dans d’autres pays. On pourrait imaginer qu’en 2007, sur des questions comme l’emploi des jeunes, la précarité, les discriminations, on ouvre des discussions dans un cadre plus large que celui de la négociation interprofessionnelle avec le Medef. Cela suppose que l’ensemble des acteurs syndicaux puisse élaborer des propositions communes, définir un pacte syndical.

Intervenir dans le débat de 2007 n’est pas le rôle des partis politiques ?

Les syndicats n’ont pas à empiéter sur le terrain des partis politiques. Mais alors que l’échéance de 2007 risque d’être aussi importante que celles de 1981 ou de 2002, il est de leur responsabilité de mettre au coeur du débat le modèle social français, de faire en sorte que les questions du travail, de l’emploi, du chômage soient posées. La victoire que le mouvement syndical dans son ensemble vient de remporter avec le retrait du CPE le met devant des responsabilités nouvelles. Est-ce que nous, les syndicats, saurons prendre le risque de porter ensemble des propositions communes ? L’enjeu dépasse largement nos frontières. Le syndicalisme français sera-t-il capable de s’imposer comme un acteur majeur du débat, comme la Confédération européenne des syndicats est parvenue à le faire dans une Europe où domine le modèle néolibéral ? Ou, est-ce qu’il continuera à mettre en scène son impuissance et ses divisions ?