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RĂ©ussite scolaire, l’impĂ©rieuse nĂ©cessitĂ© de mixitĂ© sociale : interview de Pierre Merle
Article publié le mercredi 6 juillet 2022.
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Chacun partage la nécessité éducative et démocratique de hisser vers la réussite les élèves des milieux sociaux les plus fragiles. Pour atteindre cet objectif, l’institut Montaigne avait préconisé les dédoublements de classes en REP et REP+. Cette proposition avait été reprise par le candidat Macron en 2017 et mise en œuvre par Jean-Michel Blanquer, après son élection à la présidence de la République.
 
Le SE-Unsa donne la parole à Pierre Merle, sociologue, professeur émérite à l’Inspé de Bretagne.
 
 
Est-il dĂ©sormais possible d’établir un bilan de la politique de dĂ©doublement des classes de CP et CE1 en REP et REP+ ? 
 
Un bilan a Ă©tĂ© rĂ©cemment publiĂ© par la Depp*. Il est possible d’en tirer trois conclusions. D’une part, du CP au CE1, les Ă©lèves scolarisĂ©s dans les classes de REP et REP+ dĂ©doublĂ©es progressent davantage en mathĂ©matiques que des Ă©lèves d’un niveau scolaire comparable scolarisĂ©s hors Ă©ducation prioritaire. Toutefois, seuls 20 % des Ă©lèves les plus faibles scolarisĂ©s dans les classes dĂ©doublĂ©es progressent davantage. Les meilleurs Ă©lèves ne bĂ©nĂ©ficient pas du dĂ©doublement. D’autre part, si le dĂ©doublement est bĂ©nĂ©fique en mathĂ©matiques pour les Ă©lèves les plus faibles, il n’exerce pas d’effets spĂ©cifiques sur leur niveau de compĂ©tences en français quel que soit leur niveau scolaire.
 
 
Pourquoi, selon vous, les dĂ©doublements de classes semblent plus profitables Ă  l’enseignement des mathĂ©matiques qu’à celui du français ?
 
C’est une question difficile. Il me semble possible d’avancer l’hypothèse suivante. Il est Ă©tabli qu’il existe des diffĂ©rences sensibles de compĂ©tences lexicales selon l’origine sociale des Ă©lèves dès l’âge de deux ans (cf. INED, 2018). Contrairement aux mathĂ©matiques, le dĂ©doublement des classes de CP et CE1 interviendrait trop tard pour rĂ©duire des diffĂ©rences de compĂ©tences sociolinguistiques entre Ă©lèves dĂ©jĂ  importantes. En ce sens, le dĂ©doublement des classes de grande section de maternelle aurait peut-ĂŞtre Ă©tĂ© plus pertinent. La politique menĂ©e a d’ailleurs Ă©tĂ© paradoxale. Elle a consistĂ© Ă  renforcer les apprentissages dès la grande section de maternelle sans amĂ©liorer les conditions de travail des Ă©lèves et des enseignants.
 
 
Pendant le prĂ©cĂ©dent quinquennat, cette mesure a frĂ©quemment Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e comme un « totem d’immunitĂ© social Â». Selon-vous, favorise-t-elle concrètement l’égalitĂ© des chances ?
 
Pour les 20 % des Ă©lèves faibles dont le niveau a progressĂ© en mathĂ©matiques, cette politique a Ă©tĂ© utile. Cependant, cette politique de dĂ©doublement est insuffisante pour trois raisons.
 
D’une part, elle ne concerne que le CP et le CE1 de l’éducation prioritaire. Les autres niveaux de l’éducation prioritaire n’ont pas Ă©tĂ© concernĂ©s. D’autre part, la majoritĂ© des Ă©lèves en difficultĂ© scolaire est scolarisĂ©e hors Ă©ducation prioritaire. Telle qu’elle est actuellement mise en Ĺ“uvre, la politique de dĂ©doublement dĂ©laisse 88 % des Ă©lèves en difficultĂ© scolaire scolarisĂ©s dans l’école Ă©lĂ©mentaire. Sa portĂ©e est donc très limitĂ©e.
 
Enfin, question complexe qui nĂ©cessiterait un dĂ©veloppement plus prĂ©cis, les pratiques pĂ©dagogiques mises en Ĺ“uvre ne sont pas toujours les plus adaptĂ©es. Il existe une abondante littĂ©rature scientifique montrant qu’une pĂ©dagogie explicite favorise davantage les progressions scolaires des Ă©lèves qu’une pĂ©dagogie constructiviste trop souvent privilĂ©giĂ©e (cf. Bissonnette et al., 2010).
 
 
Vous avez indiquĂ© qu’en l’absence d’une politique de mixitĂ© sociale en France, la promesse d’égalitĂ© risque d’être sans lendemain. Pourquoi ?
 
Au niveau international, de nombreuses recherches ont montrĂ© les avantages de la mixitĂ© sociale. D’abord, les Ă©lèves d’origine dĂ©favorisĂ©e, en moyenne plus faibles, scolarisĂ©s avec des Ă©lèves d’un meilleur niveau scolaire, progressent davantage en raison d’un « effet de pairs Â» positifs. Les bons Ă©lèves sont des « locomotives Â» dans la classe. La mixitĂ© sociale favorise ainsi l’égalitĂ© des chances. Ensuite, la mixitĂ© sociale favorise les ambitions scolaires des Ă©lèves d’origine populaire et participe ainsi Ă  leur meilleure intĂ©gration scolaire et professionnelle.
Cette politique de mixité sociale a fait l’objet d’expérimentations réussies au niveau des collèges sous le quinquennat de F. Hollande. La récente réforme de l’Affelnet parisien a aussi favorisé la mixité des lycées. Pour être approfondie, cette politique nécessiterait aussi une politique de logements sociaux plus active, notamment dans les quartiers des centres-villes. Cette politique a été délaissée durant les cinq dernières années.
 
 
Si la mixitĂ© sociale est identifiĂ©e comme un puissant levier de rĂ©ussite scolaire, comment interprĂ©tez-vous les atermoiements des pouvoirs publics ?
 
Ni E. Macron ni J. - M. Blanquer n’ont favorisĂ© une politique de mixitĂ© sociale. Ils adhèrent Ă  une conception individuelle du succès scolaire. Les Ă©lèves « mĂ©ritants Â» parviendraient toujours Ă  rĂ©ussir. Au mieux, il suffirait de rĂ©duire le nombre d’élèves par classe pour les Ă©lèves en difficultĂ©. Ces politiques minorent ou ignorent les effets de pairs et les effets nĂ©gatifs de la surreprĂ©sentation des professeurs peu expĂ©rimentĂ©s et des contractuels peu formĂ©s le plus souvent affectĂ©s dans les Ă©tablissements de l’éducation prioritaire.
La réticence relative à la mixité sociale tient aussi à une volonté de l’entre soi, à une forme de mépris de classe, plus ou moins conscient, à l’égard des populations défavorisées et étrangères.
Les images du sauvageon, de la racaille et du Kärcher prĂ©sentes dans l’imaginaire collectif, contribuent Ă  cette rĂ©ticence. L’actuelle sĂ©grĂ©gation scolaire est une forme de sĂ©paratisme social. Elle permet aux enfants des CSP+ de bĂ©nĂ©ficier, de façon privilĂ©giĂ©e, d’une scolarisation dans des Ă©tablissements du centre-ville, mieux dotĂ©s en options, et dans lesquels sont affectĂ©s plus souvent des professeurs titulaires et expĂ©rimentĂ©s.
 
Pierre Merle, sociologue, professeur Ă©mĂ©rite Ă  l’InspĂ© de Bretagne.
Dernier ouvrage : Parlons Ă©cole, La Documentation française, 2021.
 
* Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance

 

 
 
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