Retour à l'article normal

SE-UNSA 81


 Par SE-UNSA 81
 Le  jeudi 29 mars 2018

Les élèves de maternelle ne sont pas des robots !

 

robots.png

Le retour du calamiteux programme “Parler” du Dr Zorman

Le programme “Parler” de Zorman existe depuis 1998, il a donc 20 ans. Il était très présent en septembre 2011 dans le projet de Luc Chatel qui conduisait à classer les élèves de GS en 3 catégories : RAS, “à risque” et “à haut risque” ; il avait tenté un retour sous la forme d’un outil d’observation avec un programme de renforcement en avril 2012 décrié par tous les spécialistes de la lecture et… le revoilà via l’association “Agir pour l’école”, attachée à l’Institut Montaigne dont on connaît la proximité de vues avec notre actuel ministre.

Nous avons affaire cette fois-ci à une expérimentation (à propos d’un programme qui a déjà 20 ans) menée dans l’académie de Limoges, dans les écoles en REP et REP+ avec le soutien de l’IA et des IEN. (Voir le document officiel présentant l’expérimentation)
Complètement focalisé sur la phonologie, ce programme conçu, rappelons-le, par un médecin et non par des pédagogues, est répétitif et mécanique. Il s’agit de séries d’exercices de découpage en syllabes et en phonèmes qui ne sont pas en lien avec le vécu et les projets de la classe. (Lien vers le livret de l’expérimentation)

Des séances quotidiennes de 30 minutes

Comme cela est clairement indiqué dans le protocole, après une évaluation individuelle des élèves, ceux-ci sont répartis dans des petits groupes de 4 à 7 élèves en fonction de leurs performances, ce qui fait 4 à 5 groupes par classe.
Chaque groupe doit ensuite bénéficier de 30 minutes d’entraînement par jour avec l’enseignant pendant que les autres élèves sont en autonomie.
Donc l’enseignant passe 2h à 2h30 par jour à faire faire ce programme d’entraînement à ses groupes d’élèves. Les élèves quant à eux ont donc ces 30 minutes/jour d’entraînement systématique et 1h30 à 2h00 d’autonomie dans la classe sans intervention de l’enseignant occupé à ce moment là avec un autre groupe. Le protocole précise bien que la classe doit être parfaitement calme et silencieuse pendant ces temps d’autonomie pour ne pas gêner le groupe qui s’entraîne à la phonologie.

De la phonologie à la place de tout le reste !

Ces entraînements se font donc au détriment des autres apprentissages : mathématiques, vocabulaire, graphisme, motricité… qui ne peuvent pas se faire seulement et “magiquement” en autonomie. Le protocole va jusqu’à expliquer comment mettre en place un système de points de comportement en groupe pour récompenser les élèves qui se tiennent tranquilles et sanctionner les autres par la perte de points. Il est précisé que cette méthode a fait ses preuves…

Un programme contesté

Dans un rapport de l’Inspection Générale en 2012 il est constaté que le programme Parler comporte des apprentissages prématurés, des risques de créer des confusions et une absence d’indications pour accompagner les élèves. En effet en cas de non-réussite, il est juste conseillé de refaire faire à l’élève l’exercice “jusqu’à ce qu’il intègre la logique lui permettant d’accéder à la réponse […]”. Mais les rapporteurs constatent qu’à aucun moment, cette « logique » n’est identifiée et que les enseignants ne sont pas outillés pour y remédier. La mise en place de mécanismes phonologiques non productifs sont également évoqués. On a ici affaire à une mécanique de codage/décodage hors contexte qui peut n’avoir aucun sens pour les élèves surtout les plus en difficulté. Un autre effet pervers est constaté dans une école maternelle où les enseignants ont déclaré que “les élèves ayant “résisté” (sic) au programme ne relevaient pas de leurs compétences mais de l’expertise d’un enseignant spécialiste du français langue de scolarisation ou d’orthophonistes”.

Pour Roland Goigoux, chercheur et spécialiste de l’enseignement de la lecture, que nous avons contacté à ce sujet, le dispositif d’Agir pour l’école est contestable tant par la méthode autoritaire utilisée pour imposer l’expérimentation que par le contenu de cette expérimentation.

Les conceptions de l’apprentissage derrière ce programme sont archaïques, les élèves n’apprennent pas par “forcing”, où la simple répétition volontariste de ce qui n’est pas compris ou réussi va mener au succès. De plus il est clairement précisé (page 5 du livret du protocole) qu’il ne faut surtout utiliser aucune autre méthode pour travailler la phonologie. Tant pis pour les élèves auxquels cette approche ne convient pas, ils n’en auront pas d’autre.

Le Se-Unsa interpelle le ministère sur son appui à un tel programme au moment où s’ouvrent les Assises de la maternelle.

Voici le témoignage d’une collègue de la Haute-Vienne dont l’école a débuté le programme cette année dans le cadre de l’expérimentation portée par l’Académie de Limoges :

Comme l’indique le site d’Agir pour l’école, les enseignants de GS doivent par petits groupes de 5 élèves en moyenne travailler la phonologie pendant 30 minutes tous les jours pour chaque groupe voire 2 séances de 30 minutes pour le groupe le plus faible. Par classe, nous avons 4 ou 5 groupes, si on fait le calcul sans compter les transitions on a : 5 groupes x 30 minutes = 2h30 de la journée en phonologie, soit 2 heures par enfant en total autonomie avec impossibilité de déranger l’enseignante comme écrit sur le protocole. Sur une journée de 5h15-25 minutes de récréation, il reste dans le meilleur des cas 2h20 pour les accompagner dans les autres apprentissages!
Bref, mes collègues sont dépitées car elles ont l’impression d’être uniquement des robots qui ne font que faire répéter aux enfants et ont surtout l’impression que cela va plutôt dégouter tout le monde (enfants et enseignants) et que le reste des programmes ne pourra pas être travaillé correctement. Ce travail nous oblige également à redéfinir le décloisonnement des MS, puisque comme le protocole ne travaille pas les syllabes mais uniquement les phonèmes, tout le travail des syllabes doit être fait en MS. Nous n’avons donc plus le temps de travailler en petits groupes les résolutions de problèmes ou le repérage spatial. Finalement, c’est peut-être un puits sans fond pour cette association, car ensuite, ils mettront en place un protocole, pour les mathématiques, le langage oral… et tous les points du programme qui n’auront pas pu être travaillés correctement.
Pour finir, mes collègues, pleine de bonne volonté pour la réussite de nos élèves, sont prêtes à expérimenter « sans rien dire » jusqu’en juin mais s’interrogent pour l’année prochaine où il faudra mener cela à la même cadence de septembre à juin !

Si vous utilisez vous aussi le programme Parler, votre avis et votre façon de mener les activités nous intéresse, nos commentaires vous sont ouverts ! 

Crédit image : Pixabay CCO Public Domain