Article publié le dimanche 13 avril 2008.
Tribune libre de Luc Bérille, secrétaire général du SE-UNSA
"Le Monde" du 9 avril 2008
Que la formation soit une pièce maîtresse pour la France et l’Europe fait désormais consensus. Une véritable aubaine pour ceux qui ont en charge la conduite de notre système éducatif, à commencer par le ministre de l’éducation nationale. Et pourtant, Xavier Darcos, en s’engageant à marche forcée dans une refonte générale des programmes de l’école primaire, est en train de prendre le risque de dilapider cet acquis précieux.
De quoi parle-t-on ? L’anarchie régnerait-elle dans nos écoles ? Pas du tout, bien sûr ! En 2002, de nouveaux programmes nationaux pour l’école maternelle et élémentaire ont été arrêtés. Et c’est autour d’eux que s’organise le travail patient de quelque 330 000 enseignants et des 6,5 millions d’enfants qu’ils accueillent. Dire ce que l’école doit transmettre n’est pas chose facile. Les élèves ne sont pas des cobayes soumis aux lubies des adultes, et la continuité fait souvent la force du travail d’éducation.
Il fallait donc d’abord des bilans. Les programmes de 2002, sans annuler évidemment ce qui était jusqu’alors enseigné, ont apporté des inflexions sérieuses, en particulier dans le domaine de l’apprentissage de la langue et des mathématiques. Il fallait pour cela l’avis des scientifiques (car le savoir évolue), des spécialistes (car les apports de la recherche, en particulier sur les processus d’apprentissage chez les enfants, sont précieux), des professionnels de l’éducation (parmi lesquels les enseignants qui connaissent les élèves), enfin des parents, bien évidemment...
Cet énorme travail collectif de construction, d’écoute, de consultation mais aussi d’arbitrage dura un an et demi. Qui s’étonnera que, dans ces conditions, le projet de programmes ainsi élaboré ait été approuvé en 2002 à la quasi-unanimité du Conseil supérieur de l’éducation, la plus haute instance consultative de ce type dans notre pays ? Qui s’étonnera que ces programmes aient survécu au changement de majorité politique survenu peu de temps après ? De cette bonne nouvelle, il fallait se réjouir. Car, pour que notre société accepte de confier ses enfants à l’école, un consensus le plus large est impératif, au moins sur les contenus généraux d’enseignement.
Mais voilà qu’en février, le ministre de l’éducation nationale dévoile devant la presse un... nouveau projet de programmes. Certes, Xavier Darcos ayant décidé la suppression des cours du samedi matin, des retouches étaient nécessaires, mais le projet va bien au-delà. Elaboré à la va-vite par un tout petit groupe anonyme, il contient un bouleversement complet des programmes de l’école primaire française. Le mystère sied parfois aux œuvres audacieuses. Ici, les confusions, les formulations maladroites, les erreurs grossières témoignent surtout de la précipitation qui a présidé à sa confection. S’y rajoute une connaissance de l’enfance plus que lacunaire et des approximations scientifiques parfois graves.
Quelle urgence supérieure justifiait une telle initiative ? Quelles catastrophes ont donc créé ces instructions de 2002, approuvées par l’écrasante majorité de la communauté éducative et appliquées depuis trois petites années ? Quel travail d’évaluation, quel bilan en attestaient ? Ne cherchez pas : il n’y en a aucun. Ce nouveau projet de programmes a été élaboré sans savoir ce qui a été fait dans nos écoles et ce qui y serait critiquable.
Mais alors, au moins, quels scientifiques ont recommandé le charcutage disciplinaire plein de contresens qui est proposé ? Quelles sommités universitaires ont, par exemple, préconisé la disparition de la Déclaration des droits de l’homme dans l’école primaire du pays qui en fut le berceau ? Ou encore, nonobstant les alertes continues de l’Académie des sciences sur la chute inquiétante de la culture scientifique dans notre pays, la quasi-disparition des sciences expérimentales ?
Quelles études nouvelles, invalidant tout ce que l’on sait des processus d’apprentissage, justifient-elles le vieux Meccano pédagogique ressuscité par les concepteurs du projet ? Quels spécialistes de l’enfance ont prescrit de s’asseoir à ce point sur ce que l’on connaît du développement psychique et physique de l’enfant ? La réponse est, selon les questions, personne ou aucune. Pas de bilan, pas d’avis, pas d’études. Annoncée en février, bouclée en mai pour exécution en septembre : une affaire expédiée en trois mois pour imposer le travail d’un petit comité, où l’idéologie et, plus grave encore, les idées reçues, ont tenu lieu d’inspiration. Attention : ici, la méthode et la forme éclairent le fond.
Tout cela paraîtrait ahurissant, burlesque même, s’il ne s’agissait de nos enfants, donc, de l’avenir de notre pays. Monsieur le ministre, ce n’est pas sérieux ! Votre projet divise alors qu’il devrait réunir. Il déstabilise les enseignants des écoles alors qu’il devrait les conforter. Ordres hier, contrordres aujourd’hui et quelles autres consignes demain ? Pensez-y. Stoppez ce passage en force qui serait désastreux.
Il ne manque pas de chantiers fondamentaux à traiter. Comment articuler les programmes avec le principe du socle commun énoncé dans la loi d’orientation Fillon ? Vous vous en souvenez, elle ne date que de 2005 ! Comment aider les enseignants à mettre vraiment en pratique les axes généraux édictés par le ministère ? Comment prendre à bras-le-corps la question fondamentale de la maîtrise du langage, l’une des principales impulsions contenues dans les programmes de 2002 ? Comment tirer toutes les leçons des évaluations internationales ? Les sujets abondent où vous pourriez trouver la participation active de la communauté éducative.
Honorez-vous, Monsieur le ministre, d’être celui qui aura eu la sagesse de penser l’école publique pour ce qu’elle doit d’abord être : un lieu de rassemblement et non un objet d’affirmation politicienne.
Renoncez à votre projet !