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SE-UNSA 50


 Par SE-UNSA 50
 Le  jeudi 8 septembre 2022

Evaluations nationales : évaluer la fluence, pour quoi faire ?

 

A quelques jours du début des évaluations nationales en CP, CE1 et 6e (évaluations étendues "à titre préparatoire" à certains élèves de CM1 et de 4e selon la circulaire de rentrée), le Se-Unsa vous propose quelques éléments de réflexion autour de la fluence.

Installée depuis quelques années comme un élément incontournable de l'enseignement de la lecture, la fluence (et son évaluation) mérite qu'on s'y attarde pour apprécier sa pertinence.

"La fluence est la capacité à lire un certain nombre de mots en un temps court. Il a été démontré que les bons lecteurs avaient une bonne fluence. De là à en déduire qu’il faut multiplier les entraînements à la fluence pour que tous les élèves deviennent de bons lecteurs, il n’y a qu’un pas, trop vite franchi. Car, si déchiffrer péniblement nuit à la compréhension, oraliser rapidement des mots lus ne veut pas dire que l’on a compris ce qu’on a lu. Or, savoir lire, c’est comprendre ce qu’on a lu." in Une bonne fluence fait-elle un bon lecteur ? Blog du Se-Unsa L'école de demain novembre 2020.

Introduite lors des évaluations nationales à l'entrée en 6e en 2020 et présentée depuis,  notamment en conseils école-collège, comme un axe prioritaire de travail, l'évaluation "à la française" de la fluence pose problème.

La prosodie occultée

C'est également ce que pointe Roland Goigoux dans une série d'articles publiée par les Cahiers pédagogiques (accessible librement) :

"Bien que plusieurs définitions de la fluence existent dans la littérature scientifique internationale, un consensus s’est dégagé depuis une vingtaine d’années pour affirmer que celle-ci est le produit de trois éléments indissociables[8] : 1° la précision de la lecture (l’exactitude de l’identification des mots), 2° sa vitesse (révélatrice du degré d’automatisation) et 3° la prosodie (mode d’expression approprié à la transmission du sens). Les chercheurs en sciences cognitives et en sciences de l’éducation considèrent que l’automaticité contribue à la compréhension en libérant l’attention du lecteur au profit de la construction du sens et que la prosodie y contribue à travers la segmentation du texte, le rythme et l’intonation.

Cette définition permet d’identifier un premier problème créé par la manière dont est évaluée la fluence. Les épreuves ministérielles que nous avons commentées dans l’épisode 1 la réduisent, en effet, aux deux premières dimensions, la vitesse et la précision, et occultent la troisième : la prosodie. Les enseignants ne sont invités qu’à dénombrer des mots correctement lus par minute puis à remédier aux difficultés des élèves en visant un accroissement de ce nombre. Cette réduction affaiblit la pertinence de l’information retirée de l’évaluation qui renseigne sur le degré d’automatisation des processus de décodage des mots, isolés ou en contexte, mais ne dit rien des éléments de compréhension révélés par la prosodie[9]. Son niveau informatif est donc minime, inférieur même à celui de l’ancien certificat de fin d’études primaires qui jugeait l’expressivité d’une lecture à haute voix[10]"in Qu'est-ce que l'Education nationale appelle fluence ? (épisode 2), février 2022.

NMCLM : une hypothèse insoutenable

Sur le plan scientifique, une synthèse internationale récente a conclu que la norme CWPM (en français NMCLM : nombre de mots correctement lus par minute) reposait sur une hypothèse insoutenable, dorénavant réfutée.

L’analyse des données d’évaluations de la lecture dans 11 pays auprès de populations monolingues et multilingues et l’examen des relations entre vitesse (CWPN), précision de lecture (non chronométrée) et compréhension ont montré que la vitesse n’est pas un critère pertinent si l’on vise l’amélioration de la compréhension[15].

La conclusion des chercheurs était sans appel : les gouvernants des systèmes éducatifs devraient cesser de privilégier cette norme et promouvoir une autre mesure de la fluidité qui combine précision, automaticité et prosodie.

A l'heure de débuter ces évaluations nationales, il peut s'avérer utile de méditer la conclusion de Roland Goigoux : "Une fois de plus dans notre système scolaire, les outils d’évaluation sont utilisés par le ministère comme des vecteurs de prescription du travail enseignant[18]. Les professeurs sont vivement incités à privilégier des tâches d’enseignement isomorphes aux tâches d’évaluation : on bachote le test dans des « ateliers de fluence », l’œil rivé sur la progression du nombre de mots lus par minute. L’école française s’enfonce dans une vision étriquée de la pédagogie : enseigner l’évaluable à l’aide des exercices conçus pour l’évaluation."

Pour aller plus loin, nous vous proposons en pièce-jointe le webinaire proposée par Erika Godde intitulé Fluence et prosodie en lecture. Erika Godde est l'autrice d'une thèse sur la question de l'évaluation et le développement de la prosodie en lecture chez le jeune lecteur français.