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Indigestion de guides suprĂŞmes
Article publié le jeudi 10 octobre 2019.
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Dans la continuité du fameux « guide orange », trois nouveaux guides sont disponibles sur Eduscol : “Les mots de la maternelle”, “Se préparer à apprendre à lire et à écrire” (guide phonologie) et “Pour enseigner la lecture et l’écriture au CE1″. Les collègues qui ont de la pratique dans les niveaux concernés n’y trouveront pas leur compte, tant les méthodes proposées sont basiques. Quant à ceux qui débutent, ils peuvent y trouver de premières ressources mais se sentiront vite enfermés. En effet, même si les différents guides disent s’inspirer des résultats de la recherche, ils en oublient de nombreux pans. Et certaines indications et recommandations sont parfois pour le moins étonnantes…

Dans le guide langage Ă  la maternelle : 

Nous découvrons la formule suivante : Compréhension écrite = décodage x compréhension orale et que L’enrichissement lexical implique un enseignement explicite et dirigé de cet apprentissage avec des séquences spécifiques, des activités régulières de classification, de mémorisation de mots, de réutilisation de vocabulaire et d’interprétation de termes inconnus à partir de leur contexte ou de leur morphologie (p3). En pratique les conseils oscillent en permanence entre évidences et considérations étranges. Ainsi on a si l’enfant connaît tout, il n’apprendra rien; s’il ne connaît rien, il n’apprendra rien non plus (p8-9) et isoler les mots dans la chaîne parlée n’est pas chose aisée puisqu’à l’oral les frontières entre les mots n’apparaissent pas dans la langue française ! (p13) Comme s’il existait des langues dans lesquelles on aurait des pauses à l’oral entre chaque mot. Il faudrait selon le guide attirer l’attention des élèves sur les ressemblances avec un mot connu par exemple, savane/savate (p16) ce qui risque de créer une confusion plus que d’en lever une qui ne préexistait pas forcément. Enfin on pourra s’étonner que d’une part il soit déploré que les activités de langage se fassent trop souvent à partir d’albums de fiction parfois très complexes “… je trouve dommage que, dans les petites classes, les activités de langage comme celles de lecture interprétative se fassent de plus en plus souvent, parfois de façon presque exclusive, à partir d’albums de fiction parfois très complexes, et moins à partir de tâches et de supports en technologie, en sciences ou de la vie pratique, par exemple.” (citation de propos d’Élisabeth Nonnon p23) et que d’autre part 6 des 7 exemples de séances du guide reposent sur… des albums jeunesse dont 5 de fiction !

Dans le guide phonologie : 

Nous y trouvons une focalisation très forte sur le prĂ©dicteur de la rĂ©ussite en lecture qu’est  la conscience phonĂ©mique (qui consiste Ă  prendre conscience que les graphèmes, Ă  savoir les lettres ou certains groupes de lettres de l’alphabet, reprĂ©sentent des unitĂ©s abstraites de la langue appelĂ©es phonèmes) appuyĂ©e sur moultes rĂ©fĂ©rences scientifiques. NĂ©anmoins, si la corrĂ©lation entre la lecture et la conscience phonĂ©mique est mise en Ă©vidence, la causalitĂ© pourrait fort bien ĂŞtre inverse Ă  ce que le guide affirme. En effet, comme l’expliquait fort bien AndrĂ© Ouzoulias il semblerait selon les recherches que les enfants accĂ©dant prĂ©cocĂ©ment Ă  la lecture ont une meilleure conscience phonĂ©mique ce qui n’en fait plus un prĂ©dicteur de rĂ©ussite mais une consĂ©quence.

Certaines préconisations pour faire manipuler les phonèmes sont curieuses comme :
– supprimer un phonème Ă  la fin d’un mot : « dans plouf , je retire /f/, que reste-t-il ? 
– substituer un phonème dans des pseudo-mots ou des mots familiers (par exemple : patatra, pititri, pototro, pututru , remplacer les phonèmes d’attaque : « pour moto je dis roto, pour souris je dis rouris, peux-tu faire pareil avec ballon, soleil ? ») (p20)

Et le sous-titre “PrĂ©venir les difficultĂ©s en aidant ceux qui Ă©prouvent des difficultĂ©s persistantes malgrĂ© ces pratiques” (p21) pourrait prĂŞter Ă  sourire… 

Heureusement la partie sur l’écriture, en fait la production d’écrit, est plutĂ´t intĂ©ressante. En effet ce type d’activitĂ©, outre son aspect ludique, permet d’impliquer les Ă©lèves en donnant du sens aux activitĂ©s de phonologie et en montrant leur utilitĂ©. “Au-delĂ  de l’aspect ludique, les Ă©lèves s’impliquent plus volontiers si les activitĂ©s de phonologie ont un sens. Le professeur veille Ă  faire du lien entre les apprentissages et Ă  montrer l’utilitĂ© de ce qui est travaillĂ©.” (p37) 

Dans le guide rouge pour le CE1 : 

Rien que le titre est problĂ©matique « Pour enseigner la lecture et l’écriture au CE1 ». Heureusement que les enseignants ne l’ont pas attendu. Ce guide est un mĂ©lange de thĂ©orie et d’exemples pratiques, se montrant parfois pertinents comme la sĂ©ance proposĂ©e autour de la grenouille Ă  grande bouche. Mais ces derniers ne sont pas mis en valeur, ce qui rend la lisibilitĂ© du guide très moyenne. 

Le dogmatisme qui se dĂ©gage Ă  la lecture du guide est prĂ©occupant, page 6, on peut lire « Pouvoir lire tous les mots sans en avoir appris aucun fait partie de l’apprentissage de la lecture, ce qui signifie qu’il convient de s’abstraire de toute forme de reconnaissance globale », Ă©crire cela, c’est ne pas savoir ce qu’il se passe en maternelle, les Ă©lèves reconnaĂ®tront toujours certains mots de manière globale, mĂŞme si cela ne fait pas partie d’un enseignement spĂ©cifique. 

L’enseignement explicite semble être la marotte des auteurs du guide, ce qui réduit les possibles en matière de pédagogie. Varier sa pédagogie, sans s’enfermer dans des modèles trop figés, permet de toucher la totalité des élèves, et de les mettre tous dans des situations qui soient complexes de temps en temps.

« Quels supports et quelle mĂ©thode pour comprendre les textes ? » page 35, le guide dit qu’il n’y a qu’une seule mĂ©thode, cette dernière, tant elle pousse loin le modèle explicite, est caricaturale, elle Ă´te aux Ă©lèves la possibilitĂ© de comprendre certains mots en se basant sur le contexte. 

Page 84, les propositions d’exercices se basent, en partie, sur des phrases erronées « Je vais chez le docteur, c’est quand je suis malade. J’y vais à la piscine. Le père il attend son enfant. » Réfléchir à comment écrire correctement à partir de ce qu’écrivent les élèves est intéressant mais pourquoi institutionnaliser les erreurs comme le propose le guide ?

La façon dont sont présentés les manuels laisse entendre que les profs les utiliseraient d’une manière univoque alors que l’étude de Goigoux “Lire et écrire” (p47) a montré que les profs expérimentés les utilisaient de manières très différentes et qu’il n’y avait pas spécifiquement d’effet manuel.

page 38 : « Trois résultats importants ressortent de cette étude. Tout d’abord, le niveau de compréhension écrite est expliqué principalement par le niveau de décodage dans le groupe des décodeurs faibles et moyens alors que, chez les bons décodeurs, il est surtout expliqué par le niveau de compréhension orale. Ensuite, le pourcentage d’enfants ayant un problème de compréhension écrite est plus élevé dans le groupe de faibles décodeurs (55 %) que dans les deux autres groupes (7 % chez les décodeurs moyens et 0 % chez les bons décodeurs). Enfin, seulement 6 enfants (1,5 %) ont un déficit de compréhension écrite avec des capacités intactes en décodage, en compréhension orale et en vocabulaire. »

Belle démonstration mais cela ne dit pas où en est le niveau de compréhension écrite des élèves qui ont un bon niveau de compréhension orale. Cette dernière devrait être la priorité de la maternelle avant de se focaliser sur le principe alphabétique et la phonologie. Le guide sert sa propre idéologie sans prise de recul.

Le SE-Unsa considère que les professionnels, ce sont les enseignants. Le choix de la méthode ou de la démarche relève de leur responsabilité. Il rappelle que ces guides, bien peu utiles en fait, ne sont que des outils mis à disposition. Ils ne doivent pas constituer une « pédagogie officielle » qui serait soi-disant fondée sur des preuves alors qu’aucun chercheur digne de ce nom ne les considère comme définitives. Les enseignants demandent des temps de concertation afin d’échanger sur leurs pratiques et de conduire des débats professionnels. Ils ne demandent pas que le ministère les gave à coup de guides aussi discutables qu’indigestes.

 

À lire aussi l’analyse de Mireille Brigaudiot à propos du guide “Les mots de la maternelle”

 
 
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