La philosophie est une discipline dont on ne vante plus les mérites en termes de compétences logiques, de développement de l’intelligence et d’ouverture aux autres et au monde. Et pourtant, elle est encore une discipline réservée à la seule classe de terminale de la voie générale et technologique. Ce qui pose question.

A l’occasion de la Journée internationale de l’éducation, deux enseignantes chercheuses et un philosophe étaient les invités d’une émission sur France Culture* pour évoquer la question d’une éducation à la philo dès le plus jeune âge et pour dire combien il y aurait intérêt à en faire régulièrement tout au long du cursus scolaire.

Les trois témoins ont d’abord unanimement réfuté certaines vieilles idées comme celle que l’enfant de moins de 12 ans, comme l’arguait Jean-Jacques Rousseau, ne serait pas en capacité de raisonner, enfant qui dès son plus jeune âge est amené à s’interroger sur un environnement qu’il découvre à chaque instant.

Le concept, une notion relativement « précoce Â»

Pour Johanna Hawken, chercheuse en philosophie de l’éducation aux universités de Liège et Paris-I, et animatrice d’ateliers philosophiques pour enfants, la notion de concept, bien que non explicite chez les jeunes enfants, est pourtant bien présente chez eux dès qu’ils font appel à leur intelligence pour tenter d’apporter une solution à un problème. Et d’évoquer les nombreux objets et matériaux utilisés dans ses ateliers (tapis de philo, concepts en bois…) qui les aident à entrer dans cette démarche de la notion de concept par le biais d’un appui sensoriel.

« On apprend ce qu’on ressent Â», renchérit Thierry Pacaut, philosophe et essayiste, en évoquant le phénomène de la classe « hors les murs Â» qui vise à mettre la réflexion philosophique au service de « l’émerveillement dans le monde Â». « Les enfants connaissent des choses et quand on sort du cadre institutionnel, on a accès à un autre type de connaissance. Â»

Ateliers sensoriels

Edwige Cherrouter, professeure en philosophie de l’éducation à l’université de Nantes, estime quant à elle qu’une didactique est tout à fait envisageable en philosophie, de la maternelle au bac, et qu’on pourrait construire un cheminement permettant à tous les élèves de toutes les classes d’âge de répondre aux exigences du programme de Terminale. Une démarche justifiée par l’autre enjeu, plus politique, de la place de la philosophie dans la cité et de l’accès à une démocratisation de la pensée philosophique, et ce dès le plus jeune âge ou quelque soit le niveau scolaire. L’enseignante interroge aussi le fait que les jeunes de la voie professionnelle n’ont pas de philosophie au programme alors qu’ils ont tout à fait « la capabilité ** Â» de faire de la philo.

Une réflexion riche et féconde où ces témoins ont clairement démontré qu’on pouvait développer les compétences philosophiques chez les enfants et les adolescents, explicitant que les grandes questions existentielles comme les sujets importants concernant l’homme et la société ne sont pas l’apanage d’une catégorie sociale ou d’âge. Ce qui semble très loin de ce que nos institutions et nos propres réflexes culturels tentent de nous faire croire. A écouter et réécouter.

*France Culture : « Avec philosophie Â». Eduquer, pour quoi faire ? 2/4 : Le bon âge pour apprendre à philosopher (24 janvier 2023).

**Néologisme pour dire la possibilité pour les individus de faire des choix parmi les biens qu’ils jugent estimables et de les atteindre effectivement, selon l’économiste et philosophe Amartya Sen. Les « capabilités » sont, selon lui, les enjeux véritables de la justice sociale et du bonheur humain. (cf. www.scienceshumaines.com).