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Un collectif de
syndicats enseignants et de quelques associations professionnelles
dénonce la réorientation profonde du programme de la maternelle qui
cantonnerait notamment les enseignements Ă un « bachotage » pour prĂ©parer
les tests en CP.
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Publié le 9 février 2021 dans le journal LIBERATION
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Nous sommes enseignantes et enseignants de l’école maternelle, Atsem, parents d’élèves, chercheur·e·s, militantes et militants de syndicats enseignants, d’associations complémentaires de l’école, de mouvements pédagogiques.
Nous faisons vivre l’école maternelle… et pourtant notre
expertise n’a pas été jugée digne d’intérêt par le conseil supérieur des
programmes (CSP) qui, sur instruction du ministre, propose une
réorientation profonde du programme de la maternelle transformant ses
missions jusqu’à les réduire à la seule préparation du CP et à ses tests
d’entrée.
Cette rupture avec l’équilibre trouvé en 2015 autour du
triptyque « accueil, Ă©ducation, prĂ©paration Ă la scolaritĂ© future »
dessine le portrait d’une maternelle où l’importation brutale de
contenus inspirés d’une certaine vision de l’école élémentaire et
recentrĂ©s sur les seuls « fondamentaux » ne peut que nuire au bien-ĂŞtre et
aux apprentissages des jeunes enfants, en particulier des plus éloignés
de la culture scolaire.
Le
programme de 2015 avait été plébiscité et approprié par les équipes
pédagogiques. Toutes se retrouvent dans le projet d’une école maternelle
accueillante, bienveillante, exigeante oĂą la place centrale du langage
et le rôle du jeu comme l’une des entrées dans les apprentissages ont
été réinstaurés. Une école, soucieuse du développement de l’enfant dans
toutes ses dimensions : langagières, cognitives, sociales, affectives,
physiques, artistiques…
Une école attentive aux progrès et réussites de
chaque élève, aux objectifs communs ambitieux, mais avec le respect des
différences de rythmes et de développement si prégnantes chez les plus
jeunes, sans mise en compétition ni culte de la performance. Cette école
est caricaturée et accusée de ne pas préparer suffisamment aux
évaluations standardisées d’entrée au CP. Il est vrai que ces tests
fondés sur une conception appauvrie de la lecture et des mathématiques,
réalisés en format papier-crayon et instaurant des normes arbitraires
sans rapport avec le programme en vigueur sont éloignés de ses objectifs
actuels et de la richesse des apprentissages menés dans tous les
domaines. Une richesse qui a valu Ă la maternelle la confiance sans
faille des familles, bien avant que l’instruction à 3 ans soit rendue
obligatoire, cette dernière servant aujourd’hui de prétexte à la
révision du programme, alors qu’elle a surtout permis une augmentation
du financement public des écoles privées par les collectivités
territoriales.
Des fondamentaux « Ă©triquĂ©s »
Absence de consultation, volontĂ© de mainmise sur l’école, reprise sans condition du projet ministĂ©riel de resserrement de l’école sur les « fondamentaux » Ă©triquĂ©s… tĂ©moignent que l’élève est perçu comme un perroquet docile. Le service public d’éducation, rĂ©duit dans ses missions, ne formerait plus Ă une citoyennetĂ© Ă©clairĂ©e. Cette rĂ©orientation aboutirait Ă des propositions qui confinent Ă l’absurde : instruire les Ă©lèves de 3 ans Ă l’organisation grammaticale de la phrase ou Ă la phonologie (relation entre les lettres et les sons)… Comme si le langage pouvait se rĂ©duire Ă l’étude de la langue, avant mĂŞme que d’être un moyen de communiquer et de penser le monde, comme si la prioritĂ© n’était pas de mettre en confiance tous les enfants pour qu’ils et elles osent s’exprimer et s’approprier les pratiques langagières de l’école. De mĂŞme, sous prĂ©texte que la connaissance des nombres de 1 Ă 20 est difficile pour beaucoup d’élèves au CP, il faudrait obtenir des Ă©lèves de la Grande Section le comptage jusqu’à 100, de 10 en 10… Comme si rapprocher l’obstacle permettait de le franchir plus facilement ! Exercices systĂ©matiques de transformation de phrases, cahier de mots, carnet d’expĂ©riences scientifiques… comme si reproduire les formes scolaires de l’élĂ©mentaire permettait la rĂ©ussite de toutes et tous, quand la recherche dĂ©montre que « faire trop vite, trop tĂ´t » gĂ©nère l’échec, en particulier des Ă©lèves issus des classes populaires !
La mesure systĂ©matique de compĂ©tences en fin d’école maternelle cantonnerait les enseignements Ă des sĂ©ances rĂ©pĂ©tĂ©es d’entraĂ®nement Ă des techniques puis Ă un « bachotage » pour prĂ©parer les tests en CP. Comment cette note du conseil supĂ©rieur des programmes qui Ă©voque une Ă©valuation standardisĂ©e des Ă©lèves non seulement en fin de grande section mais Ă©galement dès 3 ans peut-elle prĂ©tendre prendre en compte le bien-ĂŞtre du jeune enfant dĂ©couvrant l’école ? Les contenus proposĂ©s et la performance prĂ©coce induite font de la bienveillance une injonction paradoxale intenable pour les personnels enseignants.
De plus, l’idĂ©e d’apprendre ensemble disparaĂ®t et c’est au contraire un renforcement de l’individualisation qui se profile, renvoyant chaque enfant, chaque Ă©lève Ă lui-mĂŞme, ses prĂ©requis et son adaptation anticipĂ©e Ă une forme scolaire empruntĂ©e Ă l’école Ă©lĂ©mentaire. Ainsi, par exemple, le jeu est vidĂ© de sa composante sociale, et est sommĂ© de se mettre au service exclusif d’apprentissages « sĂ©rieux ». Est-ce ainsi que peut se construire l’école du plaisir et du goĂ»t d’apprendre ensemble  ?
Nous refusons fermement cette Ă©cole qui soumet les plus jeunes enfants et leurs familles Ă la pression du rĂ©sultat dès l’entrĂ©e en petite section. Quitte Ă faire assumer au seul apprenant et Ă sa famille la responsabilitĂ© d’une inadaptation Ă une norme scolaire renforcĂ©e et uniformĂ©ment imposĂ©e Ă toutes et tous, le plus tĂ´t possible. Nous refusons cette Ă©cole de la perte de sens des savoirs, de la performance prĂ©coce Ă tous crins, qui tourne le dos Ă la spĂ©cificitĂ© de l’école maternelle française. C’est en Ă©tant soucieuse de faire grandir les enfants qu’elle accueille, en explorant Ă l’égal tous les champs d’apprentissage, en multipliant les dĂ©couvertes, les expĂ©riences de l’échange, de l’esprit et du corps, en construisant un langage rĂ©flexif et des savoirs ambitieux, que l’école maternelle cultivera l’envie d’apprendre et contribuera Ă une Ă©mancipation future. Nous refusons cette Ă©cole oĂą les Ă©quipes enseignantes ne seraient que des exĂ©cutantes sommĂ©es de « se conformer Ă des protocoles prĂ©cis ». Enseigner est un mĂ©tier de conception.
L’école maternelle que nous voulons porte une tout autre ambition. Elle suppose un investissement à la hauteur des besoins : des effectifs réduits dans toutes les classes, des locaux et du matériel adaptés pour favoriser accueil et apprentissages, la présence d’une Atsem garantie à temps plein dans chaque classe, la reconstitution des Réseaux d’aide spécialisés aux élèves en difficulté (Rased) et leur intervention dans toutes les écoles, à des fins de prévention… Cela implique également une formation initiale et continue d’ampleur et de qualité. Seul le maintien du programme de 2015 permet aux équipes pédagogiques de poursuivre en continuité les enseignements au cours des trois années du cycle d’une école maternelle, en préservant son identité.
Nous
portons ainsi l’ambition d’une école maternelle œuvrant à former des
enfants désireux d’apprendre et de comprendre le monde. Former des
citoyennes et citoyens Ă©clairĂ©s et critiques, oui, cela commence Ă
l’école maternelle  !
Les organisations signataires :
AFEF – Association française des enseignants de français
AGEEM – Association générale des enseignants des écoles et classes maternelles publiques
ANCP&AF – Association nationale des conseillers pédagogiques et autres formateurs
CAPE – Collectif des associations complémentaires de l’école publique
CEMEA – Centre d’entrainement aux méthodes d’éducation active
DEI-France – Défense des enfants International - France
GFEN – Groupe français d’éducation nouvelle
ICEM-Pédagogie Freinet – Institut de l’école moderne – Pédagogie Freinet
La Ligue de l’enseignement
FCPE – Fédération des conseils de parents d’élèves
CGT Educ’Action – Confédération Générale du Travail Éducation
CNT-SO – Confédération national des travailleurs – solidarité ouvrière Collectif éducation 94
INTERCO-CFDT – Inter-collectivités territoriales – CFDT
SE-UNSA – Syndicat des enseignants – Union nationale des syndicats autonomes
SGEN-CFDT – Syndicat général de l’éducation nationale – Confédération française démocratique du travail
SUD Éducation – Solidaire unitaire démocratique Éducation
SNPI-FSU - Syndicat national des personnels d’inspection – Fédération Syndicale Unitaire
SNUipp-FSU – Syndicat national unitaire des instituteurs et professeurs des écoles et PEGC – Fédération syndicale unitaire
SNUTER-FSU – Syndicat national unitaire territoriaux – Fédération Syndicale Unitaire