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SE-UNSA 30


 Par SE-UNSA 30
 Le  vendredi 16 novembre 2018

Pétain, l’école et nous

 
L’hypothèse d’un hommage aux maréchaux de la Première Guerre mondiale a fait polémique puisqu’elle aurait inclus Philippe Pétain. Or, Philippe Pétain est indissolublement lié au régime de Vichy. L’histoire du SE-Unsa rejoint ici l’histoire.

 
La République Française renversée
 
Le 10 juillet 1940, une Assemblée nationale apeurée accorde les pleins pouvoirs au président du Conseil nouvellement nommé : Pétain. 
Le lendemain, une loi constitutionnelle lui donne tout pouvoir pour promulguer « une nouvelle Constitution de l’État français ». Pétain se proclame « chef de l’État » et assume tous les pouvoirs : la IIIe République disparait au profit du régime de Vichy qui entreprend de mettre en œuvre « la Révolution nationale » tout en sombrant dans la collaboration.

 
L’École de la république accusée
 
À l’esprit de revanche envers le Front populaire de 1936 se conjugue à la nécessité de trouver des coupables à la débâcle. Ce ne seront pas les militaires qui, à quelques exceptions près (De Gaulle, Catroux) sont des piliers du régime (Weygand, Darland…). On s’en prend notamment aux institutrices et instituteurs, rendus responsables d’un relâchement de la société ayant entraîné la défaite. Une série de mesures sont prises pour corseter la profession :
 
  • Le 18 septembre 1940, les écoles normales primaires sont supprimées.
     
  • Le 16 novembre 1940, le Syndicat national des instituteurs (SNI, dont est issu le SE-Unsa), la Fédération générale de l’Enseignement (FGE, aujourd’hui UNSA-Éducation) et la Ligue de l'Enseignement sont dissous.
     
  • La loi du 4 octobre 1941, dite « Charte du travail », est votée par le régime de Vichy. Elle interdit la grève.
 
Cela s’accompagne de mesures destinées à « glacer d’effroi » le corps enseignant : un millier d’instituteurs sont victimesd’une violente purge. Les enseignants sanctionnés (par les procédures administrativesde déplacement, de mises à la retraite d’office, voire de révocation) s’étaient souvent publiquement engagés comme militants du SNI, des partis de gauche ou de la franc-maçonnerie.
 
Enfin, le SNI, reconstitué clandestinement dans la Résistance, perdra deux de ses secrétaires généraux, morts en déportation en Allemagne : Georges Lapierre et Joseph Rollo.
 
 
L’école religieuse financée par l’État
 
En 1940, le général Weygand (pétainiste jusqu'au bout) déclara à Vichy, en plein conseil des ministres : « Tous les malheurs de la Patrie viennent du fait que la République avait chassé Dieu de l'École. Notre premier devoir sera de l'y faire rentrer ».
 
Le cardinal Gerlier, primat des Gaules, lui emboîte passionnément le pas : « Pour un relèvement du pays, aucun problème n’est plus essentiel que celui de la formation intellectuelle et morale de la jeunesse.Il faut résoudre, enfin, dans la clarté, dans la justice, la question scolaire. L’École publique doit respecter scrupuleusement l’âme de l’enfant. L’École libre (religieuse) doit être mise effectivement à la disposition des familles chrétiennes qui la désirent, par une attribution équitable des subsides scolaires » (la Croix, 19 juilllet 1940). 
 
Ainsi, l’État Français, soutenu de la hiérarchie catholique (« Car Pétain, c’est la France, et la France, c’est Pétain », déclare Mgr Gerlier), a refondé l’enseignement religieux et assuré son financement public :
 
  • Le 3 septembre 1940, le régime de Vichy vote la loi du 3 septembre 1940, qui abroge dans son intégralité la loi du 7 juillet 1904 qui interdisait aux religieux d'enseigner dans le public, y compris dans les écoles privées.  Désormais, les congrégations enseignantes peuvent revenir en France. Elles ont le droit de fonder des établissements.
     
  • Le 24 novembre 1940, les "devoirs envers Dieu" sont ajoutés aux programmes de morale. Ils avaient été supprimés par Paul Lapie en 1923. Cette mesure n’étant pas appliquée par les instituteurs et institutrices, l’arrêté du 10 mars 1941 les remplace par « les valeurs spirituelles, la patrie, la civilisation chrétienne ».
     
  • Le 13 décembre 1940, les délégations cantonales (actuels DDEN), soutiens historiques de l’École laïque, sont supprimées.
     
  • Le 15 août 1941, les élèves du privé ont accès à des bourses alors que la gratuité de l'enseignement secondaire est supprimée.

    À ce sujet, le journal La Croix écrivait le 3 septembre 1941 : « juridiquement insoutenable, financièrement onéreuse, pédagogiquement pernicieuse, socialement et moralement néfaste, la gratuité de l’enseignement secondaire consacrait, sous prétexte d’égalitarisme, une troublante iniquité. Elle excluait en fait les masses paysannes au seul bénéfice des populations urbaines ».

    A
    insi, on nommait déjà à cette époque « égalitarisme » les mesures destinées à faire accéder tous les élèves, notamment les plus pauvres à la réussite scolaire.
     
  • Le 2 novembre 1941, les "caisses des écoles privées" sont créées dans chaque commune, avec possibilité de subventionnement public l'enseignement privé. 
 
 
La loi de 1905 modifiée
 
La loi du 25 décembre 1942 autorise les associations cultuelles à recevoir « des libéralités testamentaires et entre vifs destinées à l’accomplissement de leur objet », et notamment des dons et legs (défiscalisés depuis 1960). En outre, cette loi permet la réfection de tous les bâtiments affectés aux cultes. Jusqu’alors, ce financement était seulement possible pour les édifices classés.
 
Cette modification de la loi de 1905 vise l’augmentation des ressources des cultes, au détriment du budget public.

 
L’antisémitisme de Vichy
 
Grand historien de cette période, Robert Paxton soulignait en 2015 que « Le bilan final - la perte de 25% de Juifs vivant en France, y compris 15% des citoyens juifs de France, dont de nombreux enfants - est plus lourd qu'il ne l'aurait été sans la participation de l'administration et de certains citoyens français ».
 
  • Le 17 juillet 1940 : loi dispose que « nul ne peut être employé dans les administrations de l'État s'il ne possède pas la nationalité française, à titre originaire, comme étant né de père français ».
     
  • Le 22 juillet 1940 : loi portant révision des naturalisations obtenues depuis 1927.
     
  • Le 3 octobre 1940 : premier statut des Juifs, publié le 18 octobre : ils sont exclus de la Fonction publique, de l'armée, de l'enseignement et de la presse.
     
  • Le 11 décembre 1942 : loi imposant aux Juifs de faire apposer la mention « Juif » sur leur carte d'identité.
 
Ainsi, et malgré l’aide admirable de certains français aux Juifs persécutés, l’antisémitisme de l’État français a conduit à la déportation 76 000 Juifs de France vers les camps nazis, soit un quart de la population juive qui résidait dans notre pays en 1940. Seuls 2 500 d'entre eux ont échappé à l'extermination. Avec les 3 000 juifs morts dans les camps français d'internement et le millier de Juifs exécutés ou massacrés sommairement, le bilan avoisine les 80 000 victimes.
 
 
Armer des Français contre des Français
 
La création de la milice en 1943, soutenue par Pétain et Laval visait le maintien de l’ordre collaborationniste et l’inhibition de tentatives révolutionnaires. Il faut ici comprendre que la milice était une force supplétive de la Gestapo contre la résistance française.
Marquée par la haine de la République, l’anticommunisme et l’antisémitisme, c’est la milice qui exécuta des anciens ministres du Front Populaire, notamment Georges Mandel, Marx-Dormoy et Jean Zay.
Ce dernier avait été le ministre de l’Éducation nationale du Front populaire qui avait imposé la gratuité des études secondaires. Cet assassinat, après des années de détention arbitraire, visait un opposant politique franc-maçon et juif, acteur de la démocratisation scolaire.
 
 
La condamnation
 
Le 15 août 1945, Philippe Pétain a été condamné par la Haute Cour de Justice  à la peine de mort, à l’indignité nationale, à la confiscation de ses biens. Tenant compte du grand âge de l’accusé, la Haute Cour de justice émet le vœu que la condamnation à mort ne soit pas exécutée. L’indignité nationale entraîne la perte du rang dans les forces armées et du droit à porter des décorations ; Pétain perd alors son titre de Maréchal.
 
 
Au regard de l’histoire et de son histoire, le SE-Unsa affirme avec force qu’aucun hommage public, sous aucun prétexte, ne peut être rendu par un représentant de la République française à Philippe Pétain.