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Il faut anticiper la rentrée de septembre. Le SE-Unsa donne la parole à Roland GOIGOUX
Article publié le mardi 9 juin 2020.
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Roland Goigoux est professeur à l’Université Clermont-Auvergne, laboratoire ACTé (Activité, Connaissances, Transmission, éducation), Institut National Supérieur du Professorat et de l’éducation. Après avoir exercé 10 ans le métier d’instituteur, il a travaillé successivement dans deux équipes CNRS de psychologie de l’éducation et de psychologie ergonomique. Il a ensuite créé et dirigé pendant dix ans le laboratoire de recherche en sciences de l’éducation (ACTé) de l’université de Clermont-Auvergne. Ses recherches actuelles portent sur l’influence des pratiques d’enseignement sur les apprentissages des élèves, sur la formation professionnelle des enseignants et sur la conception d’outils didactiques.

L’école de demain : comment va se passer la prochaine rentrée des classes pour les élèves du cycle 2 ? Êtes-vous inquiet pour eux ?

RG. Les écarts entre élèves qui commenceront le cours préparatoire au mois de septembre seront plus forts que jamais : certains n’auront pas été scolarisés depuis mars, d’autres auront été instruits et entraînés par des parents, devenus leurs précepteurs. Ce sera d’ailleurs une des nouveautés de la rentrée pour les enseignants : ils devront construire des relations d’un type nouveau avec les parents qui se seront professionnalisés pendant le confinement et qui auront probablement des curiosités et des exigences accrues envers eux. Il faudra aussi rassurer les autres, inquiets pour leurs enfants.

L’école de demain : que dire Ă  tous ces parents ?

RG. Faites confiance à la maîtresse / au maître, c’est son métier. Elle/il va mettre sa classe en route avec une attention particulière pour les élèves qui ont été moins stimulés pendant le confinement. Elle/il prendra tout le temps nécessaire pour installer des cadres et des habitudes de travail propices aux apprentissages. Elle/il ira, sans doute, plus lentement que d’ordinaire et veillera à ne pas se laisser entraîner par les élèves le plus avancés qui sont souvent aussi les plus impatients et les plus loquaces. Elle/il aura besoin, en particulier, d’accorder la plus extrême importance aux bases de l’écriture : geste graphique, calligraphie, copie, etc. Bon nombre d’élèves seront fortement pénalisés sur ce plan par une grande section tronquée.

L’école de demain : devra-t-elle/il les Ă©valuer avant dès la rentrĂ©e ?

RG. Non, elle/il commencera par enseigner, pas par évaluer. Elle/il guidera pas à pas les élèves dans les tâches qu’elle proposera. Elle/il sera attentive à leurs actions et à leurs tentatives, en réponse à ses sollicitations. C’est comme ça qu’elle/il circonscrira progressivement leurs habiletés mais aussi leurs difficultés et leurs besoins singuliers auxquels elle/il répondra par des dispositifs de différenciation en petits groupes lorsque ce sera nécessaire.

L’école de demain : est-ce spĂ©cifique Ă  la rentrĂ©e 2020 ?

RG. Non, bien sûr. Les enseignants expérimentés cernent mieux les besoins de leurs élèves en les regardant travailler et en leur proposant de l’aide qu’en les testant à l’aide de batteries prédictives. Ils savent ainsi s’ils profitent de leur étayage. Quand ce n’est pas le cas, ils modifient les tâches, le mode de guidage, leurs explications. Les enseignants ne doivent pas se contenter d’évaluer ce que les enfants sont capables de faire seuls. Il faut qu’ils observent comment ceux-ci répondent à leurs sollicitations et à leur guidage, comment ils imitent des actions et des raisonnements qui dépassent parfois leurs capacités actuelles mais qui renseignent sur leur potentiel de développement. Ce que l’enfant sait faire aujourd’hui avec l’aide du maître, il pourra l’accomplir demain seul.

L’école de demain : cette vision de l’évaluation diverge de celle du conseil scientifique de l’Éducation nationale, n’est-ce pas ?

RG. Le conseil scientifique propose un outil de prédiction et de diagnostic mais, en survalorisant l’activité solitaire et décontextualisée de l’enfant, il sous-estime les pratiques pédagogiques. Il ignore ce que c’est que faire classe, c’est-à-dire organiser des apprentissages collectifs, et ne donne presqu’aucune clé d’intervention hormis le renforcement individuel d’automatismes en s’exerçant sur une tablette numérique.

L’école de demain : les Ă©valuations CP-CE1 n’ont-elles pas Ă©tĂ© utiles ?

RG. Qu’est-ce que les évaluations administrées l’an dernier ont changé aux pratiques des enseignants au premier trimestre ? Rien, tout le monde en convient.

Qu’ont-elles appris aux maîtres qu’ils ignoraient à propos de leurs élèves ? Pas beaucoup plus.

Quelles remĂ©diations originales ont-elles permises ? Aucune, mĂŞme l’inspection gĂ©nĂ©rale de l’Éducation nationale le reconnait. Les ressources d’Eduscol ont rarement Ă©tĂ© consultĂ©es ; il faut dire qu’elles Ă©taient pauvres et que rien ne les distinguait des pratiques d’enseignement ordinaires. Bref, ces Ă©valuations ont surtout servi la communication politique du ministre. Elles ont fait perdre beaucoup de temps aux enseignants et ont parfois renvoyĂ© aux enfants et Ă  leurs parents une image peu encourageante. Il ne faut pas recommencer Ă  la rentrĂ©e prochaine.

L’école de demain : N’avaient-elles pas quelques vertus ?

RG. Quand elles n’étaient pas dévoyées pour exercer une pression hiérarchique sur les enseignants, elles permettaient à ces derniers de situer leur classe par rapport aux moyennes nationales et elles les incitaient à intervenir sans tarder auprès des élèves en grande difficulté. Mais elles n’ouvraient aucune perspective de remédiation nouvelle. Pire, les évaluations CP et CE1 ont conduit certains maîtres à des impasses didactiques néfastes. Centrées sur les activités de décodage (lecture), les épreuves minoraient voire ignoraient les activités d’encodage (écriture) qui sont pourtant les plus efficaces pour accroître la maîtrise du code au cours préparatoire. Au CE1, l’accent mis sur la seule fluence a réduit comme peau de chagrin le temps consacré à l’enseignement de la compréhension et son corollaire, le vocabulaire. À force de n’enseigner que l’évalué ou l’évaluable, les enseignants risquent fort d’appauvrir leur enseignement, de plus en plus limité au Français et aux mathématiques. Ce risque sera exacerbé à la rentrée prochaine. Or, on sait que même la compréhension en lecture dépend de la base de connaissances encyclopédiques des enfants, de l’enseignement des sciences, de l’histoire, de l’art… Les bénéfices à court terme peuvent s’avérer de mauvais investissements d’avenir.

L’école de demain : de quoi auront besoin les Ă©lèves qui ont manquĂ© d’école maternelle ?

RG. Ils n’auront pas besoin d’activitĂ©s diffĂ©rentes de celles de leurs camarades mais de plus de temps pour apprendre, de plus d’étayage, de plus de rĂ©itĂ©rations, de plus de feed-back positifs et constructifs. De plus de patience, d’encouragement et d’attention. Le cahier des charges que constitue le programme de 2015 est excellent : il faut seulement le mettre en Ĺ“uvre et ne pas le rĂ©duire aux seules compĂ©tences Ă©valuĂ©es par les tests ministĂ©riels. L’impasse sur l’écriture en dĂ©but de CP en est un exemple Ă©clatant.

L’école de demain : comment donner plus Ă  ceux qui ont moins reçu pendant le confinement ?

RG. Deux dispositifs anciens qui ont fait leurs preuves, mais qui ont été supprimés pour de très mauvaises raisons, gagneraient à être réactivés.

L’aide personnalisée sur le modèle instauré en 2008 : au sortir du déconfinement, certains élèves auront besoin de plus d’école. Il me semble indispensable que les professeurs titulaires leur proposent deux heures de classe supplémentaire chaque semaine afin de renforcer les enseignements dispensés en grand collectif.

Le dispositif « Plus de maĂ®tres que de classes », sur un modèle voisin de celui de 2013 : il pourrait faciliter l’indispensable diffĂ©renciation pĂ©dagogique. Les moyens allouĂ©s aux classes dĂ©doublĂ©es en GS, CP et CE1 (dispositif très coĂ»teux et peu efficace), gagneraient Ă  ĂŞtre reventilĂ©s dans un plus grand nombre d’écoles pour bĂ©nĂ©ficier Ă  beaucoup plus d’élèves (environ 6 fois plus) sur la base des avancĂ©es pĂ©dagogiques des annĂ©es 2013-2017.

L’école de demain : est-ce que cela n’impliquerait pas un autre mode de pilotage de l’école ?

RG. Si, bien sûr. Il faut sortir de l’autoritarisme et de la caporalisation dont l’école primaire et ses cadres ont été victimes depuis 2017. La période de confinement et l’expérience de la continuité pédagogique ont montré les ressources de la profession enseignante qui a su être réactive et inventive, qui a su, toute seule, construire des solutions à des problèmes inédits. Il serait bon que le ministre ne l’oublie pas et renonce à imposer de manière bureaucratique des pratiques qui font fi de l’intelligence et des savoir-faire des enseignants.

 
 
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