En effet le rapport déplore que “seulement 3,4 % des enseignants proposent à leurs élèves des textes 100 % déchiffrables, malgré la reconnaissance de l’inefficacité des méthodes mixtes”. D’où viendrait cette reconnaissance ? Apparemment, d’une unique étude non encore publiée, le rapport renvoie seulement vers la vidéo d’une présentation des chercheurs qui étudient l’impact des manuels en ayant neutralisé les autres facteurs (notamment la compétence de l’enseignant) qui sont reconnus comme étant primordiaux.
Pire, il est prĂ©cisĂ© que pour permettre une meilleure rĂ©ussite des Ă©lèves il faudrait non seulement une mĂ©thode qui propose des textes 100 % dĂ©codables par les Ă©lèves mais aussi Ă©carter tout apprentissage de “mots outils”, c’est-Ă -dire la reconnaissance de mots non dĂ©chiffrables comme “est” ou contenant des sons non encore Ă©tudiĂ©s, par exemple le mot “toujours” avant d’avoir Ă©tudiĂ© le son “ou”. 

Jusqu’à présent, le consensus scientifique est qu’il faut travailler le décodage intensivement, dès le début de l’année de CP à un rythme suffisamment soutenu, pas qu’il faille s’y tenir strictement à 100 %, sauf à considérer qu’apprendre à lire uniquement à partir de textes du type “papa fume la pipe” soit suffisant et motivant. Évidemment qu’il faut étudier les correspondances phonologiques et les entraîner, mais notre langue n’étant pas strictement phonétique, cette “nouvelle conception de LA SEULE méthode efficace” est non seulement très probablement fausse mais risque d’aggraver encore la situation.

Il y a quelques annĂ©es on avait dĂ©jĂ  eu la vague de la focalisation intensive sur la phonologie, avec les protocoles d’Agir pour l’École très mĂ©caniques et chronophages, qui n’ont pas donnĂ© les rĂ©sultats escomptĂ©s et pour cause. Si les recherches montrent effectivement une corrĂ©lation positive entre une bonne conscience phonologique et une meilleure rĂ©ussite en lecture, tenter de la dĂ©velopper artificiellement avec des entrainements quotidiens systĂ©matiques n’a pas eu les rĂ©sultats escomptĂ©s. 

Ce n’est pas en passant d’une doxa Ă  une autre, en s’appuyant sur des Ă©tudes isolĂ©es et contestables, que l’on va faire progresser nos Ă©lèves en lecture. La phonologie toute puissante, la fluence alpha et omĂ©ga de la comprĂ©hension et maintenant le 100 % dĂ©chiffrable sont autant d’impasses s’ils sont considĂ©rĂ©s comme des absolus prioritaires et non comme des ingrĂ©dients Ă  utiliser en synergie. Apprendre Ă  lire est complexe, les entrĂ©es et les blocages divers, les enseignants le savent, ils doivent ĂŞtre outillĂ©s pour gagner en compĂ©tence et non ĂŞtre contraints Ă  suivre la marotte du moment ! 

Ce qui est tout particulièrement inquiĂ©tant cette fois-ci c’est que la labellisation des manuels scolaires, mise en avant dans le rapport, va permettre d’imposer des mĂ©thodes de lecture 100 % dĂ©codables sans mots outils, qui seront pauvres, austères et inintĂ©ressantes, donc des repoussoirs. De plus, le rapport prĂ©cise bien qu’il ne faut pas mĂ©langer les moments de dĂ©codage et le travail de comprĂ©hension mais les dĂ©connecter au maximum Ă  d’autres moments avec des supports diffĂ©rents. Or, lire n’a de sens que si l’on cherche Ă  comprendre ce que l’on dĂ©chiffre, et chercher Ă  comprendre aide Ă  dĂ©chiffrer efficacement !     

L’Unsa-Éducation déplore cette vision étriquée de l’apprentissage de la lecture et réaffirme son opposition à la labellisation des manuels.
Nous revendiquons une formation de qualitĂ© pour les enseignants qui allie connaissance des travaux de recherche, maĂ®trise de la didactique et capacitĂ© Ă  concevoir et mettre en Ĺ“uvre des pratiques pĂ©dagogiques actives, diversifiĂ©es et motivantes favorisant l’accrochage, l’autonomie, la coopĂ©ration et la rĂ©ussite des Ă©lèves.   

Le rapport complet
Le dossier de presse synthétique