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Quand le « sage » désigne la lune, devons-nous nous contenter de regarder le doigt ?
L'actualité autour du décret réformant les rythmes scolaires est malheureusement jalonnée de péripéties qui nous interpellent à travers cette référence à Confucius. Cependant, si nous nous permettons ce trait d'humour, nous n'oublions pas non plus l'axiome de Pierre Desproges : « On peut rire de tout, mais pas avec n'importe qui ! »
Sommes-nous d'ailleurs « fréquentables » en cette période, nous qui n'avons pas appelé à la grève les 13 et 14 novembre, et qui continuons à penser que l'école républicaine doit être refondée ?
Cependant, dans ce qui se joue actuellement autour de la question des rythmes, les déclarations excessives, les comportements hâtifs, les manipulations politiques, et les incompréhensions réelles, dues à de longues années où le mépris institutionnel s'est substitué au dialogue social, nous éloignent d'un débat nécessaire et constructif concernant cette refondation.
Citons la conclusion du rapport de la Conférence Nationale sur les Rythmes Scolaires (juin 2011) : « Une réforme de ce type ne pourra toutefois réussir que si l’ensemble des acteurs se mobilisent, ce qui suppose un temps de réflexion, de concertation et d’anticipation. Une réforme pérenne ne saurait être installée dans l’urgence, il faudra des étapes et une mise en œuvre progressive, voire des expérimentations. L’avenir du système éducatif est en jeu. »
Au delà de l'avis de chacun sur le travail effectué par ce groupe de pilotage, ainsi que sur ses commanditaires, on notera la prudence de la démarche.
Or, la réorganisation nécessaire du temps éducatif, ne peut contenir à elle seule l'ossature d'un vrai changement: ou alors, la montagne accouchera une nouvelle fois d'une souris, et la refondation s'avérera n'être qu'une simple refonte !
Depuis des décennies, nous sommes confrontés à de « grandes réformes », censées améliorer la réussite éducative, menées au pas de charge et sans concertation.
Rien ne justifiait donc une telle hâte : la nécessité de regrouper les acteurs éducatifs des territoires, au vu de la diversité de leurs expériences et de leurs moyens était si évidente qu'une telle erreur nuit autant au fond de la démarche qu'à sa forme, et ne saurait être balayée d'un revers de main au nom d'une soit disant « efficacité ».
Par contre, quelle concertation réelle, quelle loyauté dans le dialogue social est-on en droit d'espérer si l'on est prêt un jour à déclarer solennellement (appel de Bobigny en 2010) que la semaine de quatre jours nuit à l'apprentissage des élèves, et incapable de réaffirmer cette position haut et fort (même en mentionnant d'autres critiques, sans doute fondées...), faisant front commun avec ceux qui rejettent cette réforme au nom du sempiternel « c'était mieux avant ! », ou bien avec ceux qui s'opposeraient à toute démarche de ce gouvernement pour des raisons politiciennes ?
Nous avons lu dans la presse que le Front National était présent à Digne les Bains, et que les représentants syndicaux présents ont su, à juste titre, s'en démarquer : nous avions fait part, certes à mots couverts, de notre inquiétude à ce sujet, sachant que d'autres pourraient avancer bien mieux masqués, derrière une page facebook par exemple !
La réalité est bien plus complexe : il suffit de faire une rapide enquête auprès des collègues de notre département pour constater que les positions sont radicalement opposées. Certains étaient à quatre jours depuis fort longtemps (avant les mesures Darcos...) et souhaiteraient y rester, d'autres ont la nostalgie du samedi matin travaillé, d'autres encore préféreraient cinq journées égales...
Où est, dans ces conditions, la fameuse « unité républicaine », argument servi dans les publications de certains de ceux qui ont appelé à la grève pour le retrait du décret ? A ce propos, nous n'avons toujours pas bien compris si chaque organisation syndicale demande son retrait pur et simple ou son aménagement ? Car les positions ne sont pas identiques à ce sujet chez nos partenaires ....
Cependant, alors que le ministre renvoie les collectivités territoriales face à leur responsabilité « à partir de 15 h 40 », de nombreux débats autour de l'organisation dans les écoles laissent planer la possibilité de décisions coercitives prises par l'administration, au vu des difficultés pour les mairies d'organiser des TAP en fin de journée pour tout le monde.
Comment, dès lors, « mobiliser » sereinement « les acteurs » ? Verrons-nous refleurir l'autoritarisme méprisant mis en place par les ministres précédents, sans égards pour le dialogue social ?
De plus, l'une des principales plaintes émanant des parents (de façon informelle, certes, puisque la principale fédération de parents d'élèves, la FCPE, soutient la mise en place de la réforme en l'état...) vient de la difficulté qu'ont actuellement les élèves à se repérer entre les temps d'enseignement et les temps péri-éducatifs !
Les conseils d'école, instances légitimes puisqu'elles regroupent les membres de la communauté éducative, seront-ils écoutés, respectés, ou suivra-t-on seulement le « moins disant » de collectivités territoriales qui, soit par manque de moyens, de motivation, de formation ou de volonté politique, chercheront à faire valoir leur point de vue auprès d'une administration en attente urgente de la mise en place de la réforme ?
Il est vrai que lorsqu'on lit que monsieur le maire de Cannes, commune dont la pauvreté est bien connue, et faisant partie des maires qui refuseraient d'appliquer la réforme, « n'a pas les moyens d'appliquer la réforme », nous sommes en droit d'être étonnés.
Bien-sûr, et il ne faut pas avoir honte de le dire (ou de l'écrire), il est difficile pour les enseignants de venir travailler une journée de plus. Les motifs de leur mécontentement, en tant que fonctionnaires dont le pouvoir d'achat diminue depuis des décennies, et en tant qu'éducateurs peu considérés par les ministres précédents (rappelons-nous M Darcos et sa réflexion sur l'école maternelle où l'on « changeait les couches » ou M Sarkozy quant à la plus grande importance d'un prêtre que d'un enseignant sur la transmission morale...), sont nombreux.
Certains, choqués par la grève de certains de nos collègues, recommencent à parler de « corporatisme enseignant » : ces paroles-là sont blessantes et erronées ; elles ne favoriseront pas la mobilisation nécessaire de chacun pour la refondation de l'école ! Il faut sortir de cette dynamique négative de « l'action/réaction » !
La profession, notre organisation syndicale, nous sommes battus pendant des années pour combattre les attaques contre le service public d'éducation … et il faudrait renier ces positionnements qui défendent l’intérêt général, ainsi que les intérêts des élèves et des personnels ?
Sur la défense des intérêts des enseignants, cette réforme est aussi celle qui :
- recrée 60 000 postes d'enseignants sur 5 ans
- remet en place une formation professionnelle digne de ce nom
- remet en place le dialogue social
- pérennise les AVS
- crée une prime ISAE
- augmente le quota des enseignants pouvant obtenir la hors classe et enfin considère les PE comme les profs du 2nd degré (prime évoluant sur 3 ans)
- recrée un Conseil supérieur des programmes et consulte les professionnels sur ce sujet.
Mais vous avez raison, ce « changement » n'est pas rassurant dans un premier temps ... car il bouleverse complètement notre conception du temps scolaire. Nous ne nions pas les difficultés (partage des locaux, mise en œuvre pour la maternelle, harmonisation des règles du vivre ensemble dans les différents temps, bouleversements dans notre organisation personnelle... ) et la démotivation qui s'ensuit, même chez certain(e)s de nos collègues, pourtant favorables à la refondation.
Ces changements ne peuvent pas se faire rapidement et il faudrait du temps pour ajuster, évaluer et réajuster au cas par cas, pour que, à terme, chacun puisse s'y retrouver.
Pourquoi ne pas voir aussi les opportunités positives et les impacts sur l'emploi dans le rural ? Il faudra bien sûr des animateurs de qualité pour des activités de qualité. Former des femmes (ou des hommes) disponibles (et il y en a) dans le secteur rural (autrement que par un BAFA, mais avec une certification professionnelle "animateur périscolaire") permettrait aussi de redynamiser les territoires.
On a tendance, quand on a « la tête dans le guidon », à ne voir que sa proximité ... Essayons de ne pas amalgamer tout, décisions des collectivités territoriales et réforme de l'école.
Les moyens donnés aux écoles par les communes ont toujours été inégaux, c'est parfois une question de choix politique, il en est de même pour les moyens donnés au périscolaire. Ce n'est pas une nouveauté, même si nous le déplorons...
Nous siégeons aux comités de suivi départemental et académique et y défendons le point de vue des enseignants, alors, nous vous proposons de nous dire concrètement vos attentes, vos doutes et ce dont vous pensez que cela risque de poser problème dans votre commune (répondre à l'enquête).
La Ligue de l'enseignement écrivait en 2005, dans un manifeste intitulé « Refonder l'école pour qu'elle soit celle de tous » (car, certes, l'aménagement du temps scolaire sera plus profitable à ceux qui sont actuellement « laissés pour compte » qu'aux enfants qui bénéficient déjà d'activités associatives et/ou d'une plus grande disponibilité familiale, mais n'est-ce pas là aussi notre conception de l'école républicaine, « donner plus à ceux qui ont le moins » ?) :
« C’est ainsi que l’École retrouvera confiance en elle-même, dans ses propres capacités d’évolution et d’adaptation fondées sur l’initiative, l’inventivité et la créativité des personnels, la coopération au sein de la communauté éducative et avec les partenaires sur des objectifs partagés, affichés et transparents pour être évalués. »
En effet, refonder, c’est construire sur de nouveaux principes, de nouvelles bases et changer profondément la forme d’une institution pour l’améliorer et en obtenir de meilleurs résultats.
Cette démarche, nous la soutenons résolument, même si elle semble actuellement mal engagée.
Le défi est audacieux, mais incontournable pour celles et ceux dont nous nous réclamons, qui refusent que le destin de notre planète soit confisqué par une minorité qui se gave d’un capitalisme de la démesure, et dont nos échecs éducatifs servent les intérêts.