Communiqué de presse du CNAL
Mixité sociale : l’enseignement privé religieux menace, l’État capitule
Attendu
depuis des mois, le versant « enseignement privé » du plan ministériel
de mixité sociale a fait l’objet d’un protocole signé par le
gouvernement et les représentants du réseau catholique d’établissements
d’enseignement privés sous contrat. Ce protocole ne contenant pas de
volet contraignant, il permettra aux établissements privés, à l’instar
du célèbre slogan de mai 68, de jouir sans entraves de la possibilité
qui leur est conservée de sélectionner leurs élèves, essentiellement sur
des critères sociaux.
Commençons
par évoquer l’aspect positif de l’action ministérielle. Le long
cheminement qui a abouti à la conclusion de ce protocole a été
l’occasion de jeter une lumière crue sur l’état de la ségrégation
sociale en milieu scolaire dans notre pays. Clairement, la France
organise la canalisation des élèves dans des voies scolaires en fonction
du rang des parents dans la société, avec le concours décisif de
l’enseignement privé ; cela ne souffre d’aucune contestation depuis la
publication des IPS à l’automne dernier. À ce moment, beaucoup
d’universalistes autoproclamés sont restés silencieux face à cette forme
de séparatisme. Reconnaissons donc au ministre de l’Éducation nationale
le courage d’avoir pris l’initiative sur ce sujet.
Pour le reste, ce protocole laisse trois motifs principaux d’insatisfaction.
La
loi Debré de 1959 a organisé un système contractuel qui ne reconnaît
que des établissements privés, et non une entité confessionnelle
concurrente du service public d’enseignement. Le contrat d’association
permet seulement d’associer au service public d’enseignement des
personnes qui sont ou des fonctionnaires affectés, ou des contractuels
de droit public rémunérés par l’État, ce qui mécontenta fort les
autorités de l’enseignement catholique de l’époque. La pratique
consistant à traiter avec le secrétariat général de l’enseignement
catholique, qui certes n’est pas nouvelle, s’éloigne à la fois de la
volonté du général de Gaulle et de la loi de 1905, dont l’article 2,
faut-il le rappeler ? stipule que « la République ne reconnaît, ne
salarie ni ne subventionne aucun culte. Nous avons donc affaire à un
concordat scolaire.
Le
deuxième problème est celui de la violence symbolique. Certes, nous
sommes habitués aux menaces de relancer la « guerre scolaire » adressées
par le réseau catholique d’établissements d’enseignement privés sous
contrat aux pouvoirs publics, chaque fois que ceux-ci jugent
inacceptable leur privilège de sélectionner les élèves. Mais
imagine-t-on que des représentants d’autres religions puissent menacer
l’autorité publique de guerre – scolaire ou non – sans susciter de
réaction ? Ainsi, les soutiens politiques aux expressions belliqueuses
du réseau catholique reflètent un « deux poids, deux mesures » à l’égard
des religions, qui en dit long sur le véritable attachement au principe
de laïcité de partis politiques tels que Les Républicains ou le
Rassemblement National.
Il
est enfin permis de s’interroger sur l’efficacité de ce protocole. Il
s’inscrit dans un climat maussade pour les établissements d’enseignement
privés sous contrat, depuis la confirmation de leur participation
constante à la séparation de la jeunesse, si manifestement contraire à
l’intérêt de la Nation et, de surcroît, au message évangélique. C’est
dans ce contexte qu’une stratégie de « dos rond et main tendue » a été
adoptée. Elle consiste à s’engager dans un protocole non contraignant,
fixant une trajectoire indicative, tout en exigeant davantage de moyens
publics, notamment en termes de financement de la restauration scolaire.
C’est une manière de laisser passer l’orage en attendant l’arrivée, tôt
ou tard, d’un ministre mieux intentionné à leur égard.
Ces trois constatations amènent le CNAL à tirer trois leçons de cet épisode.
La
question de la mixité sociale en milieu scolaire ne se limite pas au
périmètre éducatif. C’est un enjeu de société, inscrit dans projet
politique global, qui doit être porté par un exécutif mobilisé. Or le
président de la République a récemment déclaré : le ministre a raison de vouloir rassembler tout le monde, mais il ne faut pas réveiller de vieux conflits.
Ces mots ne laissent aucun espoir de changement. Le président
oublierait-il que les premières victimes des « vieux conflits » qu’il
évoque sont les enfants et les familles les plus démunis ?
Les
espaces d’entre-soi social et scolaire offerts par les établissements
d’enseignement privés sous contrat offrent à la frange la plus favorisée
de la population la possibilité d’un séparatisme scolaire. Les
défenseurs de cette caste seront toujours déterminés à conserver leurs
privilèges, financés par la Nation. Le CNAL l’affirme, l’abolition des
privilèges scolaires attend toujours sa nuit du 4 août.
La
République française s’est construite par et dans son École. Cependant,
si les destins scolaires restent, comme aujourd’hui, fortement corrélés
au hasard de la naissance, la République perdra sa raison d’être. Il
est temps de construire un projet politique visant la réunion des
enfants et des adolescents dans la joie d’apprendre, par-delà leur
origine et le rang social de leurs familles. Le CNAL y prendra toute sa
part.
Paris, le 17 mai 2023
Rémy-Charles Sirvent
Secrétaire général du CNAL
Contact presse : cnal@se-unsa.org