Le
SE-Unsa donne la parole à Nicolas Cadène, rapporteur de l’Observatoire
de la laïcité, à l’occasion de la parution de son livre « En finir avec
les idées fausses sur la laïcité ».
La nécessité d’avoir des éléments de clarification s’impose dans une actualité troublée.
La nécessité d’avoir des éléments de clarification s’impose dans une actualité troublée.
L’attentat
islamiste qui a visé Samuel Paty a été fomenté à partir de
contestations d’un cours portant sur la liberté d’expression. Quel sens
politique donnez-vous à cet événement ?
Un
professeur a été assassiné simplement parce qu’il apprenait à ses
élèves la liberté d’expression, à travers l’explication de caricatures
de presse. Très clairement, Samuel Paty a été la victime d’un fanatisme
islamiste qui glorifie l’instinct de haine, alors que cet enseignant
transmettait à ses élèves les outils leur permettant de toujours se
fonder sur la raison. Le terrorisme issu de cette idéologie islamiste
veut nous diviser en s’en prenant à des symboles et à nos valeurs
communes par des actes d’une immense barbarie, pour convoquer les
instincts.
Face à
cela, nous devons faire bloc. Mais, très concrètement, nous devons aussi
apporter un soutien sans faille à tous les personnels de l’Éducation
nationale. Ils ne doivent jamais se sentir seuls et doivent toujours
pouvoir compter sur l’ensemble de l’administration qui doit être en
capacité d’immédiatement intervenir chaque fois que nécessaire.
Plus
largement, il y a bien sûr deux types de réponses à apporter : celles
qui relèvent de l’ordre public, de la répression, et celles qui relèvent
de la prévention. Pour les premières, je vous renvoie au discours du
président de la République aux Mureaux le 2 octobre dernier qui reprend
plusieurs préconisations de l’Observatoire de la laïcité. Pour les
secondes, outre ce qui se fait et doit se faire à l’École, une attention
particulière doit être portée sur la mixité sociale et le mélange des
populations. Cela a d’ailleurs également été évoqué par le président de
la République. C’est un vrai point de vigilance, tant il est à la racine
de grandes difficultés.
Car
s’il y a trop peu de mixité sociale (dans certains quartiers, mais
aussi dans certains établissements scolaires), les individus sont amenés
à se constituer en communautés relativement homogènes, porteuses du
risque d’une pression sociale, notamment religieuse, sur des habitants
ou des élèves. La commission Stasi le rappelait dans son rapport en
2003, et Jean Jaurès l’affirmait déjà un siècle plus tôt lorsqu’il
déclarait : La République doit être laïque et sociale. Elle restera laïque que si elle sait rester sociale.
Lorsque cette
insuffisante mixité sociale concerne des populations fragilisées, avec
notamment un taux de chômage important et donc une faible interaction
sociale par le travail ; lorsqu’elle se concentre dans des quartiers où
les services publics se font rares, où l’éducation populaire est
affaiblie par un manque de moyens, alors il peut y avoir une diffusion
aisée (et certains pays du Golfe y ont contribué depuis les années 1990)
de thèses rigoristes comme celles du salafisme, surtout auprès de
jeunes dont l’esprit critique n’est pas suffisamment construit.
Et
ce d’autant plus que les contre-discours sont trop rares, en raison de
logiques clientélistes ou d’un culte musulman insuffisamment structuré
dans l’hexagone (il l’est bien plus à La Réunion par exemple), notamment
du fait de ce qu’on appelle « l’islam consulaire ». Dans cette
situation notamment, il peut y avoir un risque sérieux de
radicalisation.
Vous venez de publier un livre intitulé Pour en finir avec les idées fausses sur la laïcité. Quelles sont selon vous les principaux contresens que vous avez observés ?
Le
plus courant est sans doute celui selon lequel la laïcité supposerait
la neutralité DANS l’espace public. En réalité, la laïcité suppose la
neutralité DE l’espace public (donc pas des citoyens et usagers qui y
circulent). Comme le dispose la loi du 9 décembre 1905, il est interdit,
pour la collectivité publique, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit (notamment bien sûr dans les écoles et établissements scolaires), à
l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture,
des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions. La
laïcité impose la neutralité de l’administration publique et donc de
toute personne qui exerce une mission de service public. Cette
neutralité découle de la séparation des Églises et de l’État définie
par cette loi de 1905.
Depuis
2016, suite à un avis de l’Observatoire de la laïcité, la loi rappelle
cette obligation de neutralité des fonctionnaires, y compris par
l’interdiction du port de signes (qu’ils soient discrets ou
ostensibles). En effet, les fonctionnaires, mais aussi d’ailleurs tous
les personnels de droit privé qui exercent une mission de service
public, ne représentent pas leur individualité mais bien
l’administration publique dans son ensemble, neutre et impartiale, et ce
tant auprès du grand public qu’auprès de leurs collègues. Or, la
laïcité permet un parfait équilibre, fondé objectivement, entre la
garantie des libertés individuelles et le respect du cadre collectif.
Aller plus loin, c’est ouvrir le risque de fonder de nouvelles
interdictions sur du ressenti. Ce serait offrir l’argument de la
discrimination aux radicaux et endoctrineurs.
Pour
parler de l’école, une autre idée fausse assez courante est celle
prétendant que la laïcité imposerait un menu unique à la cantine. En
réalité, la laïcité suppose simplement le respect de la neutralité
confessionnelle de cette dernière. Et dans une approche laïque, le
meilleur service de cantine scolaire est celui de l’offre de choix, à
savoir des menus différenciés avec et sans viande. Bien sûr, il ne
s’agit pas de servir de la viande confessionnelle (halal ou casher). Par
ailleurs, servir un « plat de substitution » (c’est-à-dire,
généralement, un autre plat, sans porc, que celui servi le jour
concerné avec du porc) n’est pas suffisamment pertinent car cela renvoie
à un plat en particulier attaché à une croyance. Il s’agit donc
d’instaurer l’« offre de choix », car cette offre entre un menu carné et
un autre non carné permet à tous, que les élèves soient croyants
musulmans, juifs ou hindouistes par exemple, qu’ils suivent un certain
régime alimentaire pour des raisons de santé ou de conviction, qu’ils
soient végétariens ou encore qu’ils n’aient tout simplement pas envie de
viande ce jour-là, de manger ensemble. Le plus important étant de ne
pas assigner les élèves à leur choix et à leur conviction, et donc de ne
pas les séparer selon ce qu’ils mangent. Il faut toujours préserver le
repas en commun, sur les mêmes tables, quel que soit le choix de menu.
Il s’agit ainsi, non pas de répondre à des intérêts particuliers, mais
d’offrir une réponse d’intérêt général.
Le
lien entre la laïcité et l’École est au cœur du projet républicain,
néanmoins les personnels éducatifs connaissent parfois des difficultés à
faire vivre ce principe. Que préconisez-vous pour les aider dans cette
démarche ?
C’est
à l’école que se construit le futur citoyen. Il faut donc que les
personnels éducatifs soient suffisamment formés, outillés et accompagnés
pour délivrer les enseignements en ce sens. Or, nous savons que les
enseignants sont trop peu formés sur la laïcité mais aussi sur
l’enseignement laïque des faits religieux. C’est pourquoi l’Observatoire
de la laïcité préconise depuis plusieurs années, d’une part de créer
des modules communs de formation à la laïcité et à l’enseignement laïque
des faits religieux dans les Inspé, d’autre part de relancer la
formation continue sur ces sujets. Délivrer l’enseignement moral et
civique (EMC), qui se veut très concret, sans avoir été suffisamment
accompagné pédagogiquement pour ce faire est évidemment très délicat.
L’enseignement laïque des faits religieux et des courants de pensée, qui
doit être transdisciplinaire, n’est quant à lui quasiment pas délivré.
Par manque de temps et par manque, là encore, de formation.
Nous
demandons trop aux professeurs et à l’École qui ne peut ni tout porter
ni tout faire. Mais ces sujets sont d’une très grande sensibilité et
d’une grande actualité. Il faut donc les rendre à nouveau prioritaires
dans la formation et l’accompagnement des personnels, car une simple
interpellation en classe ou dans la cour peut vite dégénérer. Dans ce
monde où les faits religieux apparaissent en permanence dans
l’actualité, nous pensons nécessaire d’apprendre aux élèves à en
reconnaître les formes multiples, à en comprendre la diversité, à en
saisir le sens, et à bien distinguer ce qui relève de la croyance, et
qui ne concerne pas l’École, de ce qui relève des savoirs et qui la
concerne. Il s’agit ainsi d’aborder les faits religieux en tant que
faits sociaux.
Enfin, pour revenir au renforcement de la mixité sociale à l’école, des expérimentations entre 2015 et 2018 ont abouti à de bons résultats, en jouant sur la carte scolaire, l’emplacement des établissements, le choix des équipes pédagogiques et celui des options proposées. Le plus souvent, il en est ressorti des populations plus mélangées, des résultats scolaires absolument pas détériorés, et un climat autour de la laïcité bien plus apaisé.